Première réunion du genre à cette échelle : des dizaines de trentenaires et de quadragénaires officiant d’un bout à l’autre du continent étaient rassemblés du 29 au 31 octobre à Marseille, à l’invitation du grand rabbin Réouven Ohana et de la Conférence des rabbins européens.
Le rav Yoann Sabbah a accueilli le 29 octobre, dans la grande synagogue Breteuil de Marseille dont il est le rabbin, les participants au premier séminaire de la Conférence des rabbins européens dédié aux jeunes qui officient un peu partout sur le Vieux Continent. Il n’a lui-même que quarante-et-un ans et une trentaine de ses confrères trentenaires ou quadragénaires se sont déplacés spécialement dans la cité phocéenne depuis Saverne ou Toulouse en France mais aussi Londres, Berlin, Varsovie, Minsk, Kichinev, Athènes, Istanbul… Les débats se sont déroulés principalement en hébreu avec quelques parenthèses en anglais et ont duré trois jours. Les 30 et 31 octobre, les invités du rav Réouven Ohana, grand rabbin de la ville et membre du bureau permanent de la Conférence, ont poursuivi leurs échanges au Merkaz Halimoud dont il est le fondateur. La nouvelle génération des rabbanim marseillais était bien eprésentée avec le rav Eliahou Hassoun de la communauté orthodoxe Adath Yechouroun ou encore le rav Michaël Rosenthal, qui officie au Beth Habad du quartier Château-Gombert. Des étudiants du Merkaz les ont rejoints pour écouter les intervenants et plancher sur les différents thèmes abordés. Autant de modules de travail qui ont passionné l’assistance. D’emblée, les coordinateurs de cette réunion internationale (le rav Aharon Shmuel Baskin et Gady Gronich, deux chevilles ouvrières de la Conférence aux côtés de son président, le rav Pinhas Goldschmidt, grand rabbin de Moscou) ont insisté sur le kirouv, fil rouge des discussions à venir. Principaux sujets évoqués : comment approcher les non pratiquants ? Comment leur parler ? Comment sortir de la « routine » pour innover pratiquement et
spirituellement afin de s’adresser à tous de façon efficace et audacieuse, en phase avec les bouleversements numériques en cours ? « Les messages classiques, conventionnels ne passent plus, constate le rav Sabbah. D’où l’importance de ce genre de séminaire. Nous devons confronter nos idées, même si personne n’a encore trouvé de solution miracle… On pourrait résumer la problématique ainsi : aujourd’hui, beaucoup d’adolescents – et d’adultes ! – juifs perçoivent la Torah comme une série d’informations ou de convictions parmi d’autres survolées sur Internet. Ils sont blasés. Dans ce contexte marqué par l’abondance quasi-infinie des sources et le relativisme, il est difficile de répondre, de transmettre le caractère absolu des mitzvot ». Des pistes ont été esquissées pendant ces trois jours. Le rav Ohana a souligné la nécessité de créer des structures réservées aux jeunes, comme il l’a fait lui-même à travers l’association marseillaise Héritage, animée par son fils Avraham. Un succès et un aimant permanent pour le judaïsme local. Toujours au chapitre organisationnel, remarquons que la communauté vieillissante de Breteuil a élu en octobre un conseil d’administration tout frais dont trois membres sur six ont moins de quarante ans. Un ‹hidouch accompagné d’initiatives diverses comme le rapprochement de la grande synagogue et de l’école Yavné (Paul Fitoussi, son directeur, siège au conseil en question). Sur le fond, l’essentiel a été dit par le rav Réouven Leuchter, proche du rav Goldschmidt : pour entrer en relation avec les plus éloignés du kodech, il faut éviter dans un premier temps les thèmes religieux. Ce qui compte est le contact humain, le respect d’autrui, l’exemple comportemental – bref le derekh eretz, cette courtoisie élémentaire qui conditionne l’accomplissement des commandements divins. Parallèlement, le racolage est proscrit. Il convient de s’adapter à l’état d’esprit et au degré
de connaissances de chacun. Mais pas question de trahir la Torah. Le rav Moshé Lebel de Moscou, directeur rabbinique de la Conférence, a martelé qu’il était interdit de masquer ou d’édulcorer quelque mitzva que ce soit, comme le rapporte la massekhet Baba Kama. Dans ce traité talmudique, des Romains s’étonnaient de la différence de traitement entre un Juif et un non-Juif s’agissant du remboursement d’une créance. L’injustice n’est qu’apparente, explique-t-on dans la massekhet, puisqu’en l’espèce, les non-Juifs refusaient d’observer les sept lois noahides qui incombent à l’humanité entière. Il n’est donc ni stupide ni honteux d’en parler. Pour le reste, tout est affaire de présentation… Globalement, le rav Sabbah note que les mots prononcés à destination des personnes rencontrées ponctuellement sont déterminants. « Il suffit d’une expression, dit-il, d’une seule citation évocatrice pour susciter la techouva, parfois bien longtemps après. C’est pourquoi la constance dans la conduite et le langage est cruciale pour un rabbin – surtout pour un jeune rabbin ! »
Axel Gantz