1.Trois petits tours et puis s’en vont… Quand, au printemps 2017, la folie du « hand spinner » s’était emparée des cours de récréation, des salles d’attente et même des réunions de travail, on avait pensé qu’elle durerait éternellement. Pourtant, il n’avait fallu que de quelques mois pour que la fièvre retombe et que ce petit gadget en plastique à trois branches cesse de faire tourner les têtes. À l’inverse, près de 2200 ans ont eu beau s’écouler depuis les décrets du Roi Antiochos Épiphane, mais cette modeste toupie qui a jadis permis à nos ancêtres d’étudier la Torah au nez et à la barbe des soldats grecs reste la star incontournable des fêtes de ‘Hanouka. Une fois la ‘Hanoukia allumée, le traditionnel plat de beignets au fumet alléchant servi à table, petits et grands se réunissent pour honorer cette coutume ancestrale de la fête. Et, au passage, tenter d’empocher une belle cagnotte de Dmé ‘Hanouka/‘Hanoukka Guelt, ces pièces d’argent de poche offertes aux gagnants. Parce que chez nous les Juifs, la tradition c’est la tradition !
2. À l’époque de ‘Hanouka, quand les enfants juifs étaient surpris en train d’étudier la Torah dans leurs écoles, ils s’empressaient de sortir leurs toupies pour tromper l’ennemi. Mais t’es-tu déjà demandé pourquoi leur choix s’est porté sur ce jeu précis, et non pas un autre ? La réponse est très simple ; chaque époque a sa mode particulière de jeu et de jouets. Par exemple, si tu passes près de n’importe quelle école de garçons religieuse en Israël, tu verras les élèves accroupis à même le sol en train de taper furieusement sur le sol pour retourner des cartes autocollantes appelées klafim. (Pour plus de renseignements sur les règles du jeu éminemment complexes, veuillez-vous adresser à mes fistons…) À l’époque des Grecs et des Romains anciens, la coqueluche des enfants était le totum, ou toton en français. Il était composé d’un fuseau (bâton en bois) enfoncé dans un dé à quatre, six, huit ou douze faces et utilisé pour toutes sortes de jeux de hasard. C’est donc vers cet ancêtre de la toupie que le choix des enfants juifs s’est porté en cas d’irruption des soldats. Et ces derniers, habitués à voir leur propre jeunesse s’adonner à un tel passe-temps, n’y ont vu que du feu.
3. Après avoir distrait les Grecs et les Romains, le totum est arrivé au Moyen-Orient puis en Allemagne, en Angleterre et en France où il a connu un succès phénoménal. Si jamais tu profites des vacances de ‘Hanouka pour visiter un musée consacré aux jouets médiévaux, tu en apercevras peut-être un spécimen à quatre faces orné respectivement des caractères latins suivants : A, D, N et T. À quoi renvoient ces lettres ? Ce sont les initiales de termes en latin qui indiquent les quatre différentes options s’offrant au joueur. A c’est Aufer ou « prendre » : le joueur qui tombe sur cette lettre prend une pièce du bol placé au centre de la table. La lettre D est l’initiale Depone ou « déposer » : dans ce cas, le pauvre joueur doit se délester d’une pièce qui lui appartient et la déposer dans la caisse centrale. N renvoie à Nihil ou « rien » : ici le joueur passe son tour sans rien prendre ni contribuer à la caisse. Quant au T, il est l’initiale de Totum, qui signifie « tout » ; le chanceux qui tombe sur cette lettre rafle la totalité de la cagnotte
4. Quand la toupie romaine arrive dans les pays germanophones (qui parlent l’allemand) comme l’Allemagne, l’Autriche ou la Suisse, on lui attribue un nouveau nom : de Totum, elle devient Trundl, qui signifie « tournoyer ». Par la même occasion, on modifie les quatre lettres qui figurent sur les quatre faces en initiales de termes allemands : N pour Nicht (rien) – passer son tour sans rien faire ; H pour Halb (moitié) – empocher la moitié de la cagnotte, S pour Stell in (déposer) – verser une pièce dans la cagnotte et G pour Ganz (tout) – rafler la totalité de la cagnotte. Comme tu as pu le remarquer, la version allemande est plus indulgente que son ancêtre romaine ; ici plus question d’amoindrir sa petite fortune en se délestant ne serait-ce que d’une seule pièce… On préfère l’option consistant à remporter la moitié de la cagnotte. À leur tour, les Juifs des pays germanophones vont adopter ce jeu populaire, mais pas avant de l’avoir adapté à l’époque de ‘Hanouka : les caractères en allemand vont laisser place aux lettres en hébreu que nous connaissons : Noun, Guimel, Hé, Chin. Lesquelles forment les initiales de l’expression Ness Gadol Haya Cham – un grand miracle s’est produit là-bas. Quant au nom Trundl, il va donner le fameux Dreidel en yiddish.
5. Pour les maîtres de la ‘Hassidout, outre la référence au miracle de ‘Hanouka, ces quatre lettres qui ornent la toupie de ‘Hanouka renferment également de nombreux secrets et messages profonds. Ainsi, le Rav Tsvi Elimelekh Shapiro de Dinov, auteur de l’ouvrage Bné Issakhar, ces quatre lettres nous rappellent les quatre royaumes qui tentèrent d’annihiler le peuple d’Israël, mais qui finirent par disparaître de la face de la terre sans avoir mené leur funeste mission à bien. La lettre Noun renvoie à Névou’hadnetsar, l’empereur babylonien qui détruisit le Premier Beth Hamikdach. La lettre Guimel fait référence à Gog, l’empire grec qui tenta d’éloigner les Juifs de la pratique de la Torah et des Mitsvot en imposant toutes sortes de décrets. La lettre Hé nous rappelle Haman, le perfide vice-roi qui essaya par tous les moyens d’exterminer le peuple juif à l’époque de Mordekhaï et Esther. Enfin, la lettre Chin renvoie au mot Séir, un titre évoquant l’empire ancien de Rome qui s’attaqua au Deuxième Beth Hamikdach. En jouant à la toupie, nous nous rappelons de ces redoutables ennemis qui nous attaquèrent au fil des siècles et remercions le Maître du monde de nous avoir permis de leur échapper.
6. Selon le Guinness World Records, la toupie de ‘Hanouka la plus chère du monde est évaluée à 70 000 dollars, ce qui correspond à quelques 63 000 euros. Composée d’or jaune et d’or blanc à 18 carats, elle arbore des lettres hébraïques serties de petits diamants. Quant à sa base triangulaire, elle repose sur un exquis joyau de 4,20 carats. Difficile à croire que son propriétaire, le patron de la firme Estate Diamond Jewelry, accepte que ses enfants s’amusent avec, le soir de ‘Hanouka
7. « Mon instituteur m’a donné un sévivon coulé en plomb durci. Savez-vous pourquoi, en l’honneur de quoi ? En l’honneur de ‘Hanouka ! » Dans la célèbre comptine israélienne inspirée d’un poème de Haïm Nahman Bialik, les enfants jouent avec une toupie en plomb durci. Pas très écolo, n’est-ce pas ? Quoi qu’il en soit, les Sévivonim d’aujourd’hui se déclinent sous toutes sortes de formes, de couleurs et de matériaux : on en trouve en bois, en plastique, en terre glaise, en argent et même en or, comme nous venons de le découvrir dans la bulle précédente. En parlant de Sévivon en métal précieux, on raconte que le ‘Hatam Sofer (Rabbi Moché Sofer) se faisait un point d’honneur de jouer avec une toupie en argent les soirs de ‘Hanouka. C’était sans doute pour lui une manière d’honorer cette coutume ancestrale du peuple juif de la manière la plus somptueuse qui soit.
8. En hébreu, les lettres possèdent une valeur numérique ; on appelle cela la Guématria. Si tu additionnes celles des quatre lettres hébraïques qui figurent sur le Sévivon, quel chiffre obtiendrastu ? Noun vaut 50, Guimel vaut 3, Hé vaut 5 et Chin vaut 300. Au total, cela fait 358. Or ce chiffre correspond aussi à la valeur numérique d’un mot qui est très cher à notre cœur : Machia’h ! (Mem = 40 ; Chin = 300 ; Youd = 10 ; ‘Heth = 8) En jouant à la toupie les soirs de ‘Hanouka, nous nous rappelons que quelles que soient les épreuves que notre peuple a traversées, Hakadoch Baroukh Hou se trouve à nos côtés pour garantir notre survie miraculeuse. Jusqu’au jour où il enverra le Machia’h pour nous délivrer définitivement
PAR ORA MARHELY
PAR ORA MARHELY
D’après un article d’Yvette Alt Miller paru sur le site Aish.com