Le Camp de Personnes Déplacées Feldafing, Yom Kippour 1946. Le Rabbi de Tsanz Klausenbourg est debout, enveloppé de son talit, entouré de survivants au cœur et au corps brisés. Auprès d’eux se trouvent des Américains non-juifs, parmi lesquels le Général Dwight Eisenhower (général des forces armées américaines en Europe pendant la guerre. Le Rabbi le bénit à cette occasion : « Que D.ieu vous aide à vous élever de plus en plus et d’atteindre le poste le plus haut de votre pays ». Il devint plus tard le 34ème président des Etats-Unis.)
Le Rabbi ouvrit le ma’hzor de Yom Kippour et se mit à lire à ses frères : « Achamnou ? Bagadnou ? Avons-nous trahi D.ieu ? Gazalnou ? Qui avons-nous volé à Auschwitz et à Miheldorf ? Maradnou ? Contre qui nous sommes-nous rebellés ? Contre Toi, Maître du monde ? Ce Vidouy n’a pas été écrit pour nous ». Et il ferma le ma’hzor.
« Mais nous avons commis des fautes qui ne sont pas écrites dans le ma’hzor, reprit-il. Combien de fois avons-nous prié : ‘Maître du monde, je n’ai plus de force ! Prends mon âme pour que je n’aie plus besoin de dire ‘Modé Ani Lefanékha’ le matin… Nous devons demander au Maître du monde de nous rendre notre foi et notre confiance en Lui. Ayez confiance en D.ieu à jamais… Déversez votre cœur devant Lui. »
Voilà ce qu’a crié le Rabbi après avoir perdu sa femme et ses onze enfants dans la Shoah.
L’image la plus proche que nous pouvons nous représenter de l’esclavage en Egypte, c’est l’image des événements de la Shoah. Le Rabbi de Klausenbourg et des hommes comme lui peuvent représenter pour nous l’image des Juifs qui sont sortis d’Egypte.
Que leur a donné la force de survivre ? Et de quoi parlait le Rabbi en criant « nous avons fauté » ?
L’espoir !
L’espoir, ce n’était pas l’espoir de vivre, ni « quand cela va se terminer », car personne ne savait quand cela se terminerait… De nombreux Juifs ont perdu la vie dans la vallée de la mort quelques instants avant la libération, alors qu’ils ne savaient même pas que la fin de la guerre était toute proche.
L’espoir, c’est la foi, la foi entière que nous nous trouvons à l’endroit précis où le Créateur désire que nous soyons. La foi et la confiance en D.ieu parfaites.
Rabbi Akiva enseignait : « Par le mérite des femmes pieuses, le peuple juif est sorti d’Egypte » (Yalkout Chimoni, Tehilim chap. 68). « Rabbi Avira enseignait : « Par la récompense des femmes pieuses de cette génération, le peuple juif fut délivré d’Egypte. Lorsqu’elles allaient puiser de l’eau, le Saint béni soit-Il leur faisait trouver de petits poissons dans leurs cruches. Elles recueillaient la moitié d’eau et la moitié de poissons. Elles allaient chauffer deux marmites, l’une d’eau chaude et l’autre de poissons, et les apportaient à leur mari au champ… »
Ces femmes ont fait naître l’espoir en l’avenir et en la perpétuation du peuple juif ; elles ne se sont pas laissées troubler par les événements de l’époque. C’est grâce à elles que le peuple fut délivré, car quand l’homme a l’espoir, il dit qu’à chaque endroit et dans chaque situation, D.ieu est avec lui, l’observe et désire qu’il croie en Lui et accomplisse Sa volonté, dans cette situation.
Rabbi Baroukh Rosenblum a raconté ces derniers jours que le Rabbi de Gour, auteur du Imré Emet, voyageait en carriole avec ses disciples quand les chevaux se sont brusquement emballés. Tous se mirent à crier de peur alors que le Rabbi restait calme. Quand on lui a demandé ensuite comment il a pu rester imperturbable, il expliqua : « Celui qui marche constamment sur un sol ferme, en pensant qu’il est ferme, s’emplit d’inquiétude dès qu’il arrive à un sol penché. Mais celui qui sait que même le sol ferme n’existe seulement parce que D.ieu ‘étend la terre sur l’eau’, sait que quand le sol devient penché, rien n’a changé en réalité, et il peut rester calme. »
L’espoir, ce n’est pas quand cela va se terminer, cela ne se terminera peut-être pas, le sol peut pencher de plus en plus. Telle est l’épreuve, en fait. L’espoir, c’est s’appuyer entièrement sur Lui, accepter la situation comme elle est, et savoir bien l’utiliser. Sans minyan, sans étude en groupe, sans communauté. Dans cette situation, on peut faire beaucoup en prenant contact avec soi-même, et avec sa famille proche.
L’épreuve de prier seul, une prière qui peut monter très haut, c’est peut-être l’épreuve du « sol ferme ».
L’un des voisins de baraque du Rabbi de Klausenbourg, Avraham Yaacov Kish, raconta qu’à séouda chlichit, dans cet enfer, le Rabbi se disait à lui-même des divré Torah comme il le faisait autrefois quand il était Rabbi à Klausenbourg, avec enthousiasme et joie.
Rav Moché Reikh, qui a traversé la tempête avec le Rabbi, raconte qu’ils devaient prendre un sac de 50 kg de ciment et monter sur une planche à une hauteur de deux étages. L’Allemand était debout en bas, et celui qui tombait recevait des coups féroces. « Un jour, le Rabbi est tombé. Les Juifs qui étaient avec lui ont commencé déjà à penser où l’enterrer. Un Juif qui n’était pas observant a demandé au Rabbi : « Est-ce que tu diras encore dans la tefila : ‘Tu nous as choisis parmi tous les peuples ?’ ». Le Rabbi lui a répondu : « Je ne l’ai peut-être pas dit avec suffisamment de kavana jusqu’à ce jour. Désormais, je le dirai avec une telle ferveur et une telle joie, comme je ne l’ai jamais dit auparavant. Comme je suis heureux d’être juif ! Qu’est-ce qu’il vaut mieux, être comme cet Allemand-là ? »
« Il y a un espoir pour ton avenir, dit D.ieu, et les fils retourneront à leur frontière