Rav Yé’hiel Brand
La paracha de cette semaine évoque le cas d’un fils qui se rebelle contre ses parents, et le Midrach évoque à ce sujet le cas d’Avchalom (Chmouel II, 15-19), qui se révolta contre son père David. Le Midrach attribue à celui-ci une certaine responsabilité du fait qu’il ne l’a jamais réprimandé, à l’instar de son autre fils rebelle, Adoniyahou : « Son père ne l’a jamais grondé en disant : “Pourquoi agis-tu ainsi !” Lui aussi a été élevé en suivant Avchalom » (Mélakhim I 1, 7). Ces hommes se comportaient sans doute convenablement, mais leur père aurait quand même dû leur faire des reproches : « Un père et un maître doivent parfois gronder leurs fils et élèves, bien qu’ils se comportent convenablement » (Makot 8/b).
La rébellion d’Avchalom
Pour ravir la royauté à son père, Avchalom rassembla le peuple autour de lui et nomma Amassa ben Yétér comme général. Pour se défendre, David réunit ses amis, mais il ordonna d’épargner Avchalom. Cependant, Yoav, le général de David, ne tint pas compte de cet avertissement et le tua. Lorsque David pleura la mort de son fils, Yoav lui expliqua qu’il avait agi ainsi pour lui sauver la vie. Quelque temps plus tard, un certain Chéva ben Bikhri se rebella contre David (Chmouel II 20). Ce dernier ordonna aux soldats de le mettre à mort, et nomma Amassa ben Yéter comme général, en évinçant Yoav. Il lui donna trois jours pour rassembler l’armée, mais comme il tarda à venir, David nomma Yoav à sa place. Lorsqu’en fin de compte Amassa vint, Yoav le tua. Avant sa mort, David ordonna à son fils Chlomo de mettre à mort Yoav, du fait qu’il avait tué Amassa qui était plus tsadik que lui, Yoav (Mélakhim I 2, 5-6).
Cette affaire suscite plusieurs questions : comment Avchalom s’engagea-t-il à tuer son père, fait rare même chez les nations ! De plus, pourquoi David refusa-t-il qu’Avchalom fût mis à mort, après que celui-ci voulut le tuer ? Par ailleurs, comment David nomma-t-il Amassa général, après que celui-ci eut soutenu Avchalom, et comment ne craignit-il pas qu’il se retourne contre lui ? Enfin, pourquoi David ordonna-t-il de mettre Yoav à mort pour avoir tué Amassa, alors que Yoav était manifestement plus fidèle au roi qu’Amassa ?
La duplicité d’A’hitofél
En réalité, il ne fait aucun doute qu’Avchalom aimait son père et ne comptait pas porter atteinte à sa vie (Abarbanel, Malbim, et voir Bérakhot 7/b). Toutefois, étant devenu son fils aîné après la mort d’Amnon, il considérait que le trône lui revenait, et il espérait que son père l’intronise lui, et non son demi-frère Chlomo. Toutefois, étant donné que « l’on ne nomme pas un dirigeant sur le peuple sans l’accord de celui-ci » (Bérakhot 55/a), il réunit le peuple autour de lui et confia l’affaire à A’hitofel, l’excellent conseiller de David. Ce dernier, qui détestait le roi à mort, proposa à Avchalom de poursuivre David directement, espérant que le père et le fils périssent et que lui-même puisse ainsi ravir le trône (Midrach, et voir Sanhédrin 101/b). Cependant, connaissant la proximité de David et Avchalom, A’hitofel craignait qu’ils se réconcilient et que David ne se venge de lui. Pour empêcher une telle réconciliation, il conseilla à Avchalom de fauter avec les concubines de son père, mais David pardonna tout de même cette outrance. Bien que l’adultère mérite un châtiment que même le mari abusé ne peut pardonner, ces femmes n’étaient cependant que des concubines, et selon l’avis de nombreux Sages, elles n’étaient pas mariées du point de vue halakhique avec David (voir Rambam Rois 4, 4 ; Ramban Beréchit 25, 6), si bien qu’il put pardonner à son fils.
Le verset dit que le conseil d’A’hitofél de poursuivre son père était « yachar » – droit – aux yeux d’Avchalom (Chmouel II 17, 4). Cela ne signifie pas que cela lui plaisait : au contraire, il répugnait à le faire, mais pour tuer son père, le conseil d’A’hitofél lui parut juste. Cependant, Avchalom, craignant que les soldats suivent ce conseil, consulta aussitôt ‘Houchaï Haarki. Connaissant l’amitié qui liait ce dernier à son père, il espérait qu’il s’oppose au dessein diabolique d’A’hitofel. De fait, ‘Houchaï lui conseilla d’y renoncer dans l’immédiat, et de s’entourer uniquement de plus de gens du peuple, et Avchalom s’y conforma. Se sentant trahi et condamné, A’hitofél se suicida.
C’est à ce moment qu’Avchalom nomma Amassa général. En fait, ce dernier comprit qu’Avchalom voulait épargner son père, et il se trouvait dans l’armée d’Avchalom justement pour veiller à ce qu’il n’arrive rien à David. Ce dernier aussi, connaissant son fils, ne le soupçonnait pas d’ourdir un meurtre, ce pourquoi il ordonna de l’épargner. Mais pour Yoav, David était victime de sensiblerie : il tua donc Avchalom sans état d’âme. Aux yeux de David, Yoav avait fait preuve d’insensibilité, et c’est justement Amassa qui était le tsadik.
Une soif de correction
Cependant, pourquoi Avchalom se comporta-t-il avec une telle insolence, en soulevant une véritable rébellion ? N’était-il pas plus sensé de convaincre simplement son père de lui laisser la couronne ? Ou peut-être Avchalom cherchait-il secrètement à éveiller l’attention de son père, pour qu’il l’éduque ?
En fait, l’aîné de David, Amnon, avait fauté avec sa demi-sœur, Tamar, sœur d’Avchalom. Hors de lui, ce dernier avait organisé sa mise à mort (Chmouel II 13), puis s’était sauvé de Jérusalem. Remarquant l’affection que David portait à son fils, Yoav organisa son retour (Chmouel II 14). Avchalom regretta sans doute son forfait et chercha à se faire pardonner. Peut-être, dans son inconscient, en voulait-il à son père de ne l’avoir jamais réprimandé ? Bat-Chéva, afin d’éduquer son fils Chlomo, ne lui administrait-elle pas de bons coups (Midrach Michlé, 31, 1) ? Avchalom entreprit alors de ravir la couronne à son père avec insolence, dans l’espoir que ce dernier lui administrerait une correction en bonne et due forme, avant de lui laisser la couronne…
Cette idée offre une explication à une expression énigmatique. Moché réprimanda sa génération en ces termes : « Depuis le jour où tu es sorti du pays d’Égypte jusqu’à votre arrivée dans ce lieu, vous avez été rebelles im Hachem – avec D.ieu » (Dévarim 9, 7) ; « Vous avez été rebelles im Hachem – avec D.ieu – depuis que je vous connais » (Dévarim 9, 24). Pourtant, une rébellion est menée « contre » quelqu’un, et pas « avec » quelqu’un ! En vérité, cette génération était le dor-déa – la plus intelligente de tous les temps. D.ieu la protégea des affres des plaies d’Égypte et Il la porta « sur des ailes des aigles » pour qu’elle reçoive Sa Torah. Cette génération se sentait donc gâtée par tous Ses bienfaits. Or, comme « celui qui épargne le bâton, déteste son fils », elle espérait sentir ce bâton… Elle se rebella alors dix fois, non pas « contre » D.ieu mais « avec » Lui, justement pour obtenir Sa proximité…