Rav Binyamin Beressi
Notre paracha se termine par ces versets : « Souviens-toi de ce que t’a fait Amalek… à votre sortie d’Egypte. Il t’a surpris en chemin, il démembra tous les gens affaiblis sur tes arrières ; toi, tu étais alors fatigué, à bout de forces, et lui ne craignait pas D.ieu (…) tu effaceras le souvenir d’Amalek de dessous les cieux » (Dévarim XXV, 17-19). Apprenant les circonstances de la sortie d‘Egypte et de la traversée de la Mer rouge, « les peuples ont tremblé, un frisson s’est emparé des habitants de Philistie » (Chémot XV, 14). Amalek, par contre, est venu plein de haine attaquer délibérément le peuple d’Israël.
Rachi explique : « “Il t’a surpris (acher karekha)” – cette expression contient une connotation d’impureté [kéri = pollution nocturne], car Amalek les a souillés [par sa mauvaise conduite]… Le mot karekha sous-entend aussi la notion de “froid” : il t’a refroidi et attiédi, alors que tu étais bouillant et que les nations craignaient de vous combattre. “Il démembra tous les gens affaiblis sur tes arrières” : il tranchait le membre de la mila qu’il lançait vers le ciel » – avec une arrogance blasphématoire.
Le Midrach détaille aussi les turpitudes et les abominations d’Amalek, pour lesquelles il convient de dire : « Guerre à Amalek de par l’Eternel, de siècle en siècle ! » – guerre d’extermination totale, jusqu’à « effacer la mémoire d’Amalek de dessous les cieux » (Chémot XVII, 14- 16).
Rav Leib Hassman s’étonne du fait que le verset ajoute : « lui ne craignait pas D.ieu » – comme si c’était un simple reproche de plus, voire le dernier des reproches qu’on puisse lui faire. En fait, explique-t-il, « D.ieu a façonné les choses de telle sorte qu’on Le craigne » (Kohélét III, 14) – toute la réussite de l’homme est dans l’accomplissement de cette mission essentielle : « Crains D.ieu et observe Ses commandements, car c’est là tout l’homme » (idem XII, 13) – tout le reste ne dépendant que de D.ieu.
La crainte du Ciel est « plus étendue en longueur que la terre, plus vaste que l’Océan » (Iyov XI, 9). Avraham avinou a su reconnaître, dès l’âge de trois ans, la Présence et l’intervention du Créateur dans la direction du monde. Il a œuvré toute sa vie pour faire connaître la réalité de Son existence et son Unicité. Il lui aura fallu cependant surmonter dix épreuves avant que le verset n’atteste : « Désormais, Je sais que tu crains D.ieu, toi qui ne m’as pas refusé ton fils, ton fils unique ! » (Béréchit XXII, 12).
La crainte de D.ieu chez Avraham n’était pas celle du châtiment, ni la recherche d’une récompense, mais la vénération qui se confond avec l’amour. Aussi, « Je multiplierai ta postérité comme les étoiles du ciel, comme le sable du rivage de la mer » (id. 17). Par contre, pour Amalek, c’était son absence de crainte du Ciel qui dictait sa conduite, et c’est ce qui le conduira à sa perte : « Amalek était le premier des peuples ; mais son avenir est voué à la perdition » (Bamidbar XXIV, 20). On comprend mieux désormais pourquoi Antiguenos de Sokho, après avoir recommandé : « Soyez comme des serviteurs qui servent leur maître sans espérance de recevoir un salaire et une récompense » (Pirké Avot ch.1, michna 3), ajoute : « Que la crainte du Ciel soit sur vous ! » Servir de façon désintéressée est certes, déjà en soi, le signe d’un haut niveau spirituel, mais c’est la crainte du Ciel qui est déterminante. Celui qui l’aura négligée se verra blâmé pour cela, et le tsadik qui l’aura acquise méritera tous les éloges. C’est ce que Moché nous rappell e dans l’un de ses derniers messages : « Et maintenant Israël, que te demande l’Eternel ton D.ieu ? De Le craindre… d’aller dans toutes Ses voies, de L’aimer, et de Le servir de tout ton cœur et de toute ton âme » (Devarim X, 12).