Le long chemin parcouru pour une pleine intégration
A l’heure actuelle près d’un million d’Israéliens est d’origine marocaine, soit l’Alya la plus importante en provenance d’un pays musulman. Parfaitement intégrés dans tous les domaines de la société israélienne, les juifs du Maroc ont pourtant, comme chacun sait, longtemps souffert de discriminations. Victimes de petites et parfois grandes humiliations dès leur arrivée au pays, dans les années 50, ils étaient alors confinés dans des tâches ingrates, des travaux pénibles, parqués dans des villes dites en développement telles qu’Ofakim, Netivot, Sderot, puis Beersheva et Ashdod. Ou encore envoyés dans les kibboutz du Nord du pays, sommés d’abandonner leurs coutumes et traditions ancestrales pour un mode de vie purement laïc, alors seul garant d’une intégration réussie pour l’élite ashkénaze de l’époque.
En effet, comme le rappelle Bruce Maddy Weitzman, spécialiste du Maghreb et du Moyen-Orient au Centre Moché Dayan de Tel-Aviv, sur le site d’Israël Valley : « A la création de l’Etat d’Israël, les familles juives marocaines ont répondu par milliers à l’appel des sionistes pour peupler la Terre promise. Ces Marocains ont été installés massivement aux frontières du pays, comme des boucliers humains face aux ennemis musulmans de la Jordanie, et discriminés par l’élite ashkénaze, composée de juifs venus d’Europe de l’est, qui dirigeait le jeune pays. À l’époque, les juifs arabes avaient le sentiment d’être des Israéliens de seconde classe. Sans grand pouvoir ni influence. »
Or, force est de constater qu’ils ont su, au fil des décennies, franchir un à un les obstacles pour se hisser vers une réussite bien méritée : « Les histoires à succès des juifs marocains ne sont plus des exceptions, poursuit l’analyste, même si cette communauté vit encore des discriminations économiques et sociales ».
Un nouveau souffle apporté par le parti séfarade Shass
Lors de ce long et difficile parcours d’intégration, les juifs du Maroc ont dû attendre les années 80 pour connaître un véritable essor économique et social. Et cela avec la création du parti Shass, leur premier porteparole officiel qui s’est employé à leur ouvrir grand les portes en leur redonnant force, courage et dignité.
Créé en 1982 à Jérusalem, ce groupe de « séfarades orthodoxes pour la Torah » connaîtra rapidement un vif succès, sous l’impulsion, deux ans plus tard, du Rav Ovadia Yossef, zikhrono tsadik livrakha. Fondé précisément pour faire entendre la voix de ces juifs séfarades, originaires des pays du Maghreb et du Moyen Orient –les Mizra’him- au sein même de la Knesset, le parti Shass s’efforce de lutter contre toutes les formes de discriminations sociales et économiques dont sont régulièrement victimes les juifs du Maroc. A commencer par leur faciliter l’accès aux grandes yéchivot, jusqu’alors majoritairement « réservées » aux ashkénazes. Portés par un souffle nouveau, les juifs marocains vont peu à peu s’investir dans tous les secteurs et gagner leur place, presque à l’arraché.
Volontiers rassembleur, quelque soit le niveau de religiosité de ses membres, résolument sioniste, ce parti généralement dénommé dans les médias comme « ultra-orthodoxe » est avant tout motivé par le souci d’équité dans le domaine de l’aide sociale, de l’emploi et de l’éducation, garants d’une intégration réussie. Ainsi, parcourant quartiers après quartiers, parmi les plus défavorisés des villes d’Israël, les représentants de Shass composés de nombreux rabbins jouent alors le rôle d’accompagnateur, d’assistante sociale, de conseiller en éducation, de pôle emploi. Ils deviennent les interlocuteurs privilégiés d’une population trop longtemps délaissée, voire méprisée et stigmatisée. Ainsi, renouant avec leurs traditions, affichant un judaïsme rayonnant, les juifs du Maroc sont désormais présents dans tous les domaines de la société civile et militaire, de la sécurité à la politique, en passant par la médecine, les arts et la culture. Comme si en leur restituant leur honneur perdu, le mouvement Shass leur avait en quelque sorte aussitôt rendu leur formidable vitalité.
Les dates-clés de l’Alya du Maroc
1948 : La population juive du Maroc s’élève alors à 250 000 personnes. Or, avec la création de l’Etat d’Israël en Mai 1948, de nombreux juifs marocains craignent pour leur sécurité au sein du royaume, redoutant que la population locale s’en prenne à eux, ils commencent à quitter le pays passant par des camps de transit à Casablanca.
1954-55 : A l’approche de l’indépendance du Maroc, l’Agence juive organise par l’intermédiaire de ses délégués sur place, le départ de 35 000 membres de la communauté juive. 1956-1961 : Après l’indépendance proclamée en Novembre 1956, l’Alya se fait de façon illégale et secrète. 70 000 juifs parviennent à accoster en Israël. L’incident le plus tragique se déroule sur le bateau Egoz qui sombre avec 43 passagers, dont l’agent israélien du Mossad, ‘Haïm Tsarfati en 1961.
De 1961 à 1971 : Suite aux pressions internationales, le Maroc donne enfin l’autorisation aux juifs de quitter le pays et le Roi Hassan II ferme les yeux sur ces départs. 131 000 juifs partent vers Israël. Ensuite, l’Alya se poursuit de façon individuelle, étudiants, familles, retraités au fil des ans.
2019 : Il ne reste plus qu’environ 1000 juifs au Maroc. Essentiellement à Casablanca. Près d’un million d’israéliens est d’origine marocaine. Soit une personne sur 10.
Isabelle Azriel