F… comme femmes, F… comme fleurs
« Si Dieu n’avait fait la femme, il n’aurait pas fait la fleur »écrivait Victor Hugo dansses Contemplations. Une citation qui n’a pas dû manquer de flatter votre fibre féminine. Mais, nonobstant cette mignonne et mignarde légende voulant que les petites filles naissent dans des fleurs (tandis que leurs frères voient le jour dans des choux…) vous êtes-vous déjà demandé pourquoi les femmes et les fleurs font bon ménage ? Et donc pourquoi, parmi les 1,7 milliard d’euros ( !) dépensés annuellement par les Français en bouquets de fleurs et plantes décoratives, 1,36 milliard atterriront dans les mains d’une femme. Qui les contemplera avec un sourire béat…
Passionnément, à la folie ou… pas du tout ?
Avant de répondre à cette question existentielle, ayons l’honnêteté d’admettre que cet entichement féminin pour les fleurs a tout de même quelque chose d’absurde. Voire peut-être même d’inquiétant. Après tout, comme tout être doué d’un minimum de rationalisme (lisez : un homme) vous le fera remarquer, à quoi bon dépenser des sous gagnés à la sueur de son front pour un bouquet immanquablement voué à faner, puis à empester votre salon, avant d’atterrir tout droit à la poubelle ? Et pour rester dans le domaine du pessimisme, comment offrir – et surtout accepter –en guise de preuve d’amour un présent périssable par excellence ?
Aimer à perdre la raison
Eh bien, il s’avère que c’est justement dans cet « illogisme » que réside le pouvoir charmeur des fleurs. « Un cadeau pourvu d’une prise électrique n’est pas un cadeau », dit une célèbre maxime. Et pour cause, si en l’honneur de vos 40 ans, vous recevez une centrale vapeur ultrasophistiquée, ou le nec plus ultra des robots électroménagers, vous risquez de ressentir que Monsieur n’a fait que le « nécessaire » pour vous. Qu’il n’a fait que parer à un besoin pragmatique concernant la bonne tenue de votre logis. En revanche s’il vous livreaussi– et messieurs, veuillez bien noter le aussi –quarante roses rouges via Interflora, vous y verrez la preuve que c’est son Cœur qui a pris les devants, ce fameux Cœur qui a des raisons que la Raison ignore. Bref, vous l’aurez compris, un cadeau est toujours plus touchant lorsqu’il est inutile.
Ce qu’en dit la Paracha de la semaine…
Mais laissons donc de côté ce sempiternel débat entre « adeptes des présents utilitaires » et « défenseurs des cadeaux superflus » et revenons plutôt à notre question d’origine. Pourquoi nous autres membres de la gent féminine avons-nous un faible si prononcé pour les fleurs ?Certes, me direz-vous, nous sommes belles et délicates comme elles. Mais se pourrait-il que cet engouement si typiquement féminin cache une explication plus profonde ? Voyons voir ce que la Paracha de la semaine a à nous dire sur le sujet.
Concours floral
Dans la section qui lui a emprunté son nom, Kora’h effectue une tentative de putsch pour protester contre le prétendu népotisme de Moché Rabbénou. Mais le Tout-Puissantva s’empresser de tuer la révolte dans l’œuf :s’adressant à la terre, il la somme de s’ouvrir pour engloutir encore vivants le chef de la rébellion ainsi que tous ceux qui ont eu le malheur de s’y associer.
Cette tâche une fois accomplie, l’Éternel va ordonner à Moché Rabbénou d’asseoir publiquement l’autorité spirituelle de la tribu de Lévi : « Annonce aux enfants d’Israël que tu dois recevoir d’eux un bâton respectivement par famille paternelle, de la part de tous leurs chefs de familles paternelles, ensemble douze bâtons; le nom de chacun, tu l’écriras sur son bâton. […] Or, l’homme que j’aurai élu, son bâton fleurira, et ainsi mettrai-je fin à ces murmures contre moi, que les enfants d’Israël profèrent à cause de vous. » (Bamidbar 17, 17-20)
La suite, nous la connaissons. Moché Rabbénou s’exécute. Et le lendemain matin, en pénétrant dans la Tente d’Assignation, il découvre une verge merveilleusement fleurie : « Il y a avait éclos des fleurs, germé des boutons, mûri des amandes » nous relate l’Écriture. Cette verge, elleappartientà Aaron, représentant de la famille de Lévi.
Sacrées fleurs !
Or si nous lisons les résultats de ce « concours floral » biblique de façon superficielle, nous en gardons l’impression que ces trois phases successives d’éclosion – les fleurs, les boutons puis les amandes – se sont produites dans les confins de la Tente d’assignation. Mais le Rachbamn’est pas de cet avis. Dans son commentaire sur la Torah, il souligne que le bâton découvert par Moché Rabbénou au matin arborait uniquement des fleurs. Ce ne fut qu’à un stade ultérieur, quand le dirigeant d’Israël l’exposa « sous les yeux des Enfants d’Israël », que les boutons germèrentpuis que les amandes mûrirent.
Et le Roch Yéchiva de Gateshead de s’interroger : si tel fut le cas à quoi bon avoir introduit les bâtons dans le OhelMoed ? Pourquoi ne pas les avoir exposés d’emblée devant les enfants d’Israël et leur donner le loisir d’assister aux trois étapes – l’éclosion des fleurs, puis des boutons et enfin des amandes ?
La réponse, nous dit cet illustre scion du mouvement du Moussar, c’est que le Tout-Puissant désirait nous livrer une leçon fondamentale : tout contact avec la sainteté entraîne par définition une floraison. Autrement dit, c’est précisément parce que le bâton d’Aaron fut introduit dans la Tente d’Assignation, lieu privilégié de communion avec le Divin, qu’il se garnit de fleurs !
Le langage des fleurs
Or ce message résonne avec une acuité particulièreà nos oreilles féminines. En effet, si nous sommes exemptes du devoir d’étudier ou d’enseigner la Torah, nous n’en sommes pas moins investies d’une mission primordiale à cet égard : celle de ressentir – puis de faire ressentir à notre entourage – que la loi de Dieu est le vecteur suprême de notre Bonheur. De notre Épanouissement personnel. De notre Plénitude.
À l’image de ces fleurs qui n’ont pour seul objectif que celui d’embellir nos foyers, et de colorer notre quotidien de mille et une teintes chatoyantes, nous sommes de celles qui comprennent – et font comprendre – que la Torah n’est pas seulement un devoir. Qu’elle est avant tout beauté et bonté. Chaleur et couleur. Vivacité et véracité.
Et si vous pensez que cette comparaison relève d’un simple accès (voire excès…) de lyrisme de la part de l’auteure de ces lignes, détrompez-vous.
On se rappelle en effet qu’au moment de donner Sa Torah au peuple élu, l’Éternel appela Moché Rabbénou du haut de la montagne en disant : « Tu parleras ainsi à la maison de Jacob et tu diras aux fils d’Israël » (Chémot, 19, 3) S’interrogeant sur cette apparente redondance, Rachi écrivait que la « maison de Jacob » renvoyaient aux femmes, à qui il convenait de parler « avec le langage de la douceur ». Le seul langage que nous comprenions. Et le seul langage qu’il nous incombe, à notre tour, d’employer avec ceux que nous aimons.
En guise de bouquet final…
Vous l’aurez compris. Nous sommes de celles qui parlent le langage des fleurs.Nous sommes de celles qui privilégient le langage du cœur. Rien d’étonnant à ce qu’il nous suffise d’un bouquet de roses pour faire fondre le nôtre…
Alors, tout juste quelques semaines après Chavouot, tandis que le souvenir de cette humble montagne à la robe magnifiquement fleurie est plus que jamais présent dans nos esprits, prônons de plus belle le Flower Power.
Et en guise de « bouquet final », une petite conclusion qui fleure bon la féminité juive :
Dites-le avec des fleurs !