Suite à la défaite militaire de l’Etat islamique à la fin 2017, le Moyen-Orient est à nouveau entré dans une phase de recomposition marquée par de nouvelles alliances stratégiques nouées à l’ombre de rôle proéminent de la Russie et de l’Iran… Faisant suite à au moins cinq années de tourmentes tous azimuts provoquées par le tsunami des « printemps arabes » démarrés en Tunisie et en Egypte à la fin 2010, puis à deux ans de montée en flèche du « Grand Califat » régional – sans de véritables frontières – mis sur pied en Irak et en Syrie par l’Etat islamique (EI – Daësh), cette nouvelle phase de l’histoire des alliances au Moyen-Orient génère des divorces et des rapprochements étonnants comme le partenariat en cours entre la Russie et la Turquie, bien qu’elle soit encore membre de l’OTAN, ou encore comme le soutien assez paradoxal de régime de Bachar Assad aux Kurdes de Syrie… Sans parler de l’axe formé par Israël et les pays arabes pragmatiques (Egypte, Jordanie, Arabie Saoudite) afin de contrer le danger nucléaire et suprématiste iranien. L’histoire du Moyen-Orient est jalonnée d’alliances en tous genres Depuis la chute de l’Empire ottoman suivi par l’établissement d’un système colonial que se sont partagé la GrandeBretagne et la France, les grands Etats d’aujourd’hui se sont peu à peu structurés sans les années 1920-1930 comme la Perse (sous la dynastie des Qajar), la Turquie « laïcisée » d’Atatürk et le Royaume d’Arabie Saoudite créé en 1932. Puis dans les années 1950, les nouveaux Etats indépendants comme la Syrie et l’Irak ont rejoint les alliances dessinées dans la région par la Guerre froide : la Syrie et l’Egypte étaient soutenues par l’URSS, pendant que l’Irak, la Turquie, l’Iran et le Pakistan – qui avaient signé le Pacte de Bagdad en 1955 – s’étaient alliés sous l’égide des Etats-Unis pour combattre la montée régionale du communisme. Le tout, pendant que l’ensemble des pays arabo-musulmans – dont surtout l’Egypte de Nasser et la Syrie des Assad – entamaient leur « guerre sainte » contre le « bouc émissaire » que constitua pour eux le jeune Etat juif naissant en soutenant les groupes terroristes palestiniens. Tout cela bascula en 1979 avec le succès de la Révolution islamique en Iran, un pays qui n’a cessé depuis de promouvoir le terrorisme islamique, aussi bien chiite que sunnite, à l’échelle de toute la région… Or, après la tourmente des « printemps arabes », qui ont fait exploser les grands pays arabo-musulmans créées par le colonialisme européen et qui sont eux-mêmes devenus un peu partout – notamment en Irak et en Syrie – de véritables « hivers islamiques » sous l’impulsion des victoires successives de Daësh, on a assisté à la double tentative des USA et de la Russie de sortir de ce chaos afin d’instaurer, chacun dans son « camp », un début de stabilité régionale : – d’abord au sommet de Ryad en mai 2017 lors duquel le président américain Trump a formé avec l’Arabie Saoudite, l’Egypte, la Jordanie ainsi que la plupart des Etats du Golfe un axe « anti-extrémiste » se proposant de lutter contre le terrorisme islamique ; – puis au sommet de Sotchi en novembre 2017 où la Russie de Poutine a formé un nouveau bloc de coopération stratégique avec la Turquie et l’Iran, deux puissances régionales fortement opposées à l’indépendance kurde proclamée par le référendum de septembre 2017 ! A signaler aussi qu’entre ces deux sommets successifs tenus à l’initiative de Washington puis de Moscou, au moins quatre grands pays arabes (l’Arabie Saoudite, l’Egypte, les Emirats arabes unis et le Bahreïn) se sont ligués contre le Qatar afin de le boycotter – à la fois aux plans politique et économique – en raison de l’influence grandissante de l’Iran sur ce pays pourtant sunnite qui soutient financièrement le Hamas de Gaza et le Hezbollah, ainsi que d’autres groupes terroristes déstabilisateurs avec la bénédiction de Téhéran.
Des alliances et des adversités paradoxales…
Cette diversité et cette hybridité des alliances en cours a eu parfois pour résultat sur le terrain, pays par pays, des rapprochements pour le moins paradoxaux. C’est surtout le cas en Syrie, où les Forces démocratiques syriennes (FDS), celles-là même qui ont infligé une cuisante défaite à l’EI en lui reprenant son fief de Rakka et qui tiennent le nord de la Syrie, ont bénéficié jusqu’en janvier 2018 – bien qu’elles fassent en principe partie du vaste front de la rébellion sunnite anti-Assad – d’une relative indifférence bienveillante de la part de Damas ; or, les voilà maintenant désormais soutenues par les forces de Bachar Assad par l’intermédiaire de diverses milices locales favorables à son régime ! Il faut dire que les FDS font actuellement face, depuis le 20 janvier dernier, à l’armée turque entrée en Syrie dans le cadre de l’Opération Rameau d’olivier avec pour but de prendre la ville d’Afrin. Or les FDS – dont le noyau dur est surtout constitué de forces kurdes proches du Parti des travailleurs du Kurdistan turc (PKK) soutenues par les Occidentaux dans le nord-est syrien – ne peuvent pas compter sur un quelconque appui justement dans la région d’Afrin, au nord-ouest du pays, pour la « bonne raison » que la Turquie est membre de l’OTAN et qu’il est donc impossible pour les Occidentaux soutenant les FDS d’opposer frontalement ces forces à l’armée d’Ankara… A n’en pas douter, tout cela constitue un écheveau de contradictions, de calculs et d’intérêts souvent difficiles à démêler !
Richard Darmon