La dernière fois que tu as supplié ta Maman de t’acheter un gadget hors de prix, elle a peut-être mis le holà à ton caprice en s’exclamant d’une voix agacée : « Je te rappelle que ton Papa n’est pas Rothschild ! »
Et tandis que tu te réfugiais dans ta chambre en prenant soin de claquer la porte le plus bruyamment possible, tu t’es peut-être demandé qui était ce fameux Rothschild. Et surtout, de quel droit il se permettait de donner à tes parents d’excellentes raisons de ne pas t’offrir les cadeaux dont tu rêves. Mais bien sûr, tu as gardé toutes ces questions pour toi-même pour la (mauvaise) raison que tu étais encore trop occupé à faire la tête.
Eh bien, permets-moi de te révéler que le nom Rothschild est celui d’une famille juive d’origine allemande qui était, et qui est toujours, fabuleusement fortunée. Les membres de cette dynastie sont aussi de grands philanthropes soutenant d’innombrables bonnes causes à travers le monde. D’où l’expression employée par ta Maman pour te rappeler, au cas où tu l’avais oublié, que ton Papa n’en faisait pas partie.
Si cela peut te donner de l’espoir, sache que la famille Rothschild n’a pas toujours fait la concurrence à Crésus. Avant de se distinguer dans le monde de la finance, c’était une famille simple qui tenait un modeste commerce de prêt sur gages. Et puis, quelque chose s’est passé. Quelque chose qui, à l’origine, fut loin d’être sympathique. Mais qui, après coup, s’est avéré devenir la source de la richesse légendaire des Rothschild.
Bref, un véritable conte de fées à la sauce juive que je te propose de découvrir aujourd’hui…
* * *
Tout commence aux alentours des années 1765, lorsque Meïr Anschel Rothschild, quatrième enfant d’une fratrie qui en compte huit, est nommé chamach (intendant) du Rav Tsvi Hirsch de Tchortkov.
(Pour ta gouverne, ce Rav a donné naissance à deux personnalités hassidiques très célèbres : Rav Shmelka de Nikolsbourg et Rav Pin’has de Francfort. Mais ça, c’est juste un détail destiné à enrichir ta culture personnelle.)
Élevé dans un foyer respectueux de la Torah et de ses sages, le jeune Meïr Anschel Rothschild sert le tsadik avec beaucoup de respect et de loyauté. Il gère les interminables files de disciples, venus recueillir ses conseils ou ses bénédictions. Il s’assure que rien ne manque au foyer du Rav. Et il n’hésite jamais à retrousser les manches au cas où le besoin s’en fait ressentir.
Les années passent, et le jeune intendant décide que le moment est venu pour lui de fonder un foyer. Il prend congé de son maître, Rav Tsvi Hirsch, et finit par rencontrer celle qui deviendra son épouse. Une jeune fille valeureuse appelée Guttle Schnapper. Le jeune couple s’installe dans une autre ville et entame sa nouvelle vie.
Quelques mois plus tard, la fête de Pessa’h arrive. La veille au soir, et comme la loi juive le recommande, le Rav Tsvi Hirsch de Tchortkov inspecte sa demeure à la lueur d’une bougie, à la recherche d’éventuels quignons de pain ayant échappé aux plumeaux de ses domestiques. Au cours de sa chasse au ‘hamets, il introduit une clé dans un petit tiroir très discret de son imposant bureau. À la vérité, il ne s’attend pas à y trouver une quelconque miette, car il s’agit d’un compartiment dont tous les membres de son foyer ignorent l’existence. Et pour cause, cette cachette abrite une enveloppe garnie de 500 ducats, une somme coquette que le Rav destine à la dot de sa fille.
Effectivement, ce tiroir secret ne contient pas la moindre miette de pain. Mais quelle n’est pas la stupeur du tsadik, en découvrant qu’il ne contient pas non plus d’enveloppe ! Car celle-ci a tout bonnement disparu !
« Mais qui peut bien avoir découvert l’existence de cette cachette ?! » se lamente Rav Tsvi Hirsch en passant mentalement en revue les personnes susceptibles de s’être retrouvées seules dans son bureau. À contrecœur, il annonce la mauvaise nouvelle aux membres de sa famille. Pour lesquels l’identité du voleur ne fait pas l’ombre d’un doute…
— C’est clair comme de l’eau de roche ! s’exclame l’un deux. La seule personne à avoir eu accès à ton bureau était Meïr Anschel Rothschild, le chamach qui nous a quittés il y a quelques mois !
— Ce qui pourrait également expliquer son départ soudain, renchérit un autre. Il s’est peut-être empressé de quitter les lieux avant que nous ne puissions remarquer la disparition de l’enveloppe.
De son côté, Rav Tsvi Hirsch de Tchortkov n’est pas si prompt à incriminer son ex-bedeau. C’est qu’il l’a toujours connu comme un jeune homme sérieux et très honnête. De plus, il sait pertinemment que la Torah nous interdit de soupçonner une personne sans avoir de véritables preuves.
Le problème, c’est qu’il n’a personne d’autre à soupçonner. Alors, pour tenter de tirer cette vilaine affaire au clair, le Rav de Tchortkov décide de voyager jusqu’à la ville de son ancien chamach pour s’entretenir avec lui.
Méïr Anschel Rothschild est ravi de la visite inattendue que lui rend son maître. Mais lorsque ce dernier lui confie ce qui l’amène chez lui – la disparition mystérieuse d’une importante somme d’argent –, le sourire du jeune marié s’évanouit sur-le-champ. Il comprend parfaitement que le Rav de Tchortkov le soupçonne de ce vol. Même si, dans sa délicatesse, il s’est bien gardé de l’accuser ouvertement.
Méïr Anschel sait pertinemment que les soupçons qui pèsent sur lui sont infondés. D’ailleurs, même s’il était réduit à la pauvreté la plus abjecte, il ne lui viendrait jamais à l’idée de prendre ce qui ne lui appartient pas. Mais, sentant le désarroi de son maître, il décide d’avouer le crime qu’il n’a jamais commis…
Les yeux brouillés par les larmes, il supplie le Rav de Tchortkov de lui pardonner son « méfait » et promet de lui rembourser, au ducat près, la somme qu’il lui a « volée ».
— À mon grand regret, je ne dispose que de 200 ducats pour le moment, soupire le jeune Rothschild. Mais je m’engage à vous faire parvenir les 300 ducats en plusieurs paiements.
Et sur cette promesse, Rav Tsvi Hirsch reprend le chemin de Tchortkov, le cœur léger…
L’histoire aurait pu se terminer là, sur ce dénouement aigre-doux. Doux pour le Rav de Tchortkov, qui pourrait marier sa fille honorablement. Mais terriblement aigre pour le jeune MéïrAnschel Rothschild, accusé à tort.
Mais le Tout-Puissant, qui soutient la cause des êtres méprisés, en avait décidé autrement. Et c’est ainsi qu’Il fit en sorte que la vérité éclate au grand jour…
Qui a bien pu voler l’enveloppe contenant les 500 ducats d’or ? Comment le Rav de Tchortkov et sa famille vont-ils découvrir le véritable coupable ? Et surtout, quel rapport toute cette histoire peut-elle bien avoir avec la richesse fabuleuse des Rothschild ? Prends ton mal en patience. La semaine prochaine, tu découvriras la réponse à toutes ces questions dans les pages du journal le plus génial au monde !
À suivre…
Ora Marhely