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2 Kislev 5785‎ | 3 décembre 2024

Entre amour et soumission

Rachi, dans son commentaire sur la Torah, dit à propos du Chéma : « Si le peuple juif n’avait d’autre mérite que celui de la lecture du Chéma, celui-ci aurait suffi à le sauver ! »

Il faut comprendre comment, dans un même texte, la Torah nous parle de l’amour que l’on doit porter à D.ieu, de l’attachement qui nous lie à Lui, et paradoxalement, nous rappelle le devoir des mitsvot et du « joug céleste ». Amour et devoir sont-ils compatibles ? Attachement et joug ne sont-ils pas antinomiques ? Comment donc concilier ces deux paramètres tellement différents ?

Rabban Gamliel, dans les Pirké Avot (chapitre 2 michna 4), nous invite à « annuler notre volonté face à celle de D.ieu, pour qu’Il annule Sa volonté face à la nôtre ». Le message qui apparaît dans ses propos, est de nature à encourager l’homme à ne pas agir selon sa propre volonté, parce que celle-ci lui dicterait des impératifs. La Torah attend du juif que son désir soit la volonté de D.ieu : « J’accomplis une mitsva parce qu’Hachem me l’a demandé ! »

Le Chéma prescrit : « Tu aimeras D.ieu. » Mais, disent nos maîtres, pas parce que cela est un plaisir, même pour celui qui « aime aimer ». Le Rabbi de Louvlin enseignait à ses élèves que pour qu’une prière soit entendue par D.ieu, il ne doit pas être la simple expression d’une souffrance de laquelle nous voudrions être sauvés. « C’est pour D.ieu que je dois prier et non pour ma souffrance ! »

La Guémara (Sanhédrin p. 46) précise que, face à une requête émanant de l’homme, les anges accusateurs rétorquent en citant ses méfaits. Une question se pose alors : Mérite t-il d’être exaucé ? Qui, dans ces conditions, peut se permettre de prendre le risque d’une telle confrontation ? Alors les maîtres du Talmud nous rappellent que lorsqu’un homme souffre, la Chékhina (« présence d’Hachem ») partage cette souffrance. Voici un argument contre lequel les anges ne peuvent rien. Eux non plus ne veulent pas voir la Chékhina souffrir.

Le Chéma nous invite donc à accepter le joug céleste et à assumer le devoir des mitsvot. Ceci est un objectif. Aimer Hachem fait partie de mes devoirs. Les moyens que l’on pourra utiliser pour y parvenir seront l’amour et l’attachement à l’égard de D.ieu.

Le chemin inverse est également une possibilité. Le sentiment de responsabilité et l’engagement peuvent aussi conduire à l’amour et à l’attachement. Selon cette réflexion, les deux notions qui nous paraissaient paradoxales sont en fait complémentaires dans l’évolution de la fidélité d’un juif à l’égard d’Hachem. Quels que soient les combats de l’homme, il est des moments dans lesquels son idéal et son attachement le motivent, et d’autres situations dans lesquelles son engagement et sa responsabilité prennent le relais.

En observant le comportement des frères de Yossef, on est interpelé par le paradoxe de leurs décisions. On y décèle de la jalousie, de la haine, de l’ironie, ainsi qu’un terrible sentiment de responsabilité et de culpabilité. Ils vont jusqu’à réunir un Beth Din (Tribunal conforme aux lois d’Hachem) pour décider du sort de leur jeune frère.

Nul doute que cette décision difficile fera polémique, aussi bien au sein de leur famille que tout au long de l’histoire. Mais l’enseignement est clair : une telle démarche n’est possible que si les deux notions d’engagement et de sentiment sont enchevêtrées et emmêlées. Il ne nous appartient pas de juger, mais de comprendre que les deux sont nécessaires.

Rav Yaacov Sitruk

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