Au moment où Yaacov s’est approché de son père pour obtenir ses bénédictions, celui-ci a pressenti qu’il y avait anguille sous roche : « Qui es-tu, mon fils ? » Yaacov lui donna alors l’illustre réponse : « Je suis Essav, ton premier-né, j’ai fait ce que tu m’as demandé ! » (Béréchit 27, 18-19).
Nous connaissons tous l’explication que donne Rachi à cette réponse, en scindant simplement la phrase en deux : « Je suis… » – celui qui t’apporte ce mets, tandis que « …Essav est ton premier-né ». Même si cette interprétation permet d’éviter d’attribuer un mensonge à notre ancêtre Yaacov, elle demeure néanmoins très éloignée du sens premier de sa réponse…
Pour résoudre ce problème, le Ktav Sofer propose une lecture différente de ces mots. Tout d’abord, il est attesté que Yaacov avait effectivement acheté le droit d’aînesse à son frère, si bien que depuis lors, il était légitimement le « premier-né » d’Its’hak. Il n’y avait donc aucun mensonge à affirmer cela.
Par ailleurs, nous savons qu’Essav a ainsi été nommé parce qu’il est sorti du ventre de sa mère couvert de poils, comme un homme adulte est déjà « fait » – assouï (supra 25, 25). Dans le prolongement de cette idée, le nom Essav désigne une personne qui est déjà arrivée à sa « complétude », celle qui, dès sa venue au monde, n’attend rien de plus de l’existence. A contrario, le nom Yaacov évoque le « talon », qui symbolise l’idée d’un homme appelé à s’élever et à évoluer constamment.
Or, comment Yaacov s’élève-t-il concrètement dans la vie ? En étant fidèle à la tradition transmise par ses pères et en la perpétuant. C’est la raison pour laquelle il a pu répondre à son père : « Je suis Essav… » – autrement dit, je tends aujourd’hui à la perfection pour mériter ainsi le titre de « assouï », non pas en vertu de mon état à ma naissance mais parce que « j’ai fait ce que tu m’as demandé » – j’ai toujours obéi à tes préceptes et suivi la voie que tu m’as tracée.
Ainsi, en prononçant ces mots, Yaacov a fait valoir non seulement ses qualités réelles, mais surtout la différence abyssale qui le séparait de son frère Essav…