 
Quel rôle ont joué les Juifs dans la Révolution russe de 1917 ?
Jusqu’à nos jours, l’opinion la plus souvent admise attribue un rôle proéminent aux Juifs à la fois dans le renversement, entre février et novembre 1917, du régime tyrannique des tsars, et ensuite à beaucoup d’échelons du parti bolchévik. Mais qu’en est-il vraiment ?
S’il est exact que, lors des années précédant la Révolution de 1917, les Juifs furent bien représentés dans tous les partis de gauche anti-tsaristes en Russie, ce n’était évidemment pas en raison d’un « appétit de pouvoir » – comme l’ont prétendu toutes les théories conspirationnistes des antisémites russes (telle celle, devenue célèbre, du « Protocole des Sages de Sion », inventée par la police du tsar), puis de leurs confrères occidentaux…
Animés par un ardent désir de justice, et surtout offusqués par les terribles souffrances du peuple russe (famines, analphabétisme, épidémies mortelles, etc.), subissant depuis des siècles le joug cruel du pouvoir tsariste et de son puissant appareil de répression, bien des Juifs éduqués des milieux urbains (appartenant à ce qu’on appelle la « petite bourgeoisie ») nourrissaient, comme beaucoup de leurs homonymes non-juifs, une haine féroce et, somme toute, amplement justifiée, contre le régime médiéval des tsars et son système de servage de dizaines de millions de paysans russes.
De plus, comparée aux autres grandes puissances européennes de l’époque, la Russie impériale était la plus conservatrice et la plus anti-juive, à la fois dans le fonctionnement de ses institutions, et au plan de la vie quotidienne. Ainsi, les Juifs n’étaient-ils en principe pas autorisés à résider en-dehors d’une vaste zone à l’ouest de l’Empire, connue sous le nom de « Zone de résidence », et devaient-ils servir de très longues années dans les rangs de l’armée du tsar (selon le système dit des « Cantonistes »).
Il n’est donc pas étonnant que, même s’ils n’atteignaient guère les 4% de la population totale de la Russie d’alors, ils jouèrent un rôle dans les débuts mouvementés du régime bolchévik, qui apparut aussitôt comme « disproportionné » aux yeux de certains, invoquant, à l’appui de leur thèse teintée d’un évident antisémitisme, le fait que les Juifs étaient nombreux dans les hautes instances du gouvernement soviétique des premières années.
Quelques acteurs juifs de la Révolution d’Octobre les plus connus
Parmi les dirigeants d’origine juive du parti bolchévik qui prit le contrôle de la Russie entre 1917 et 1920 (voir notre encadré), citons, entre autres : Léon Trotski (Lev Davidovich Bronstein), chef de l’Armée Rouge et aussi responsable, un temps, de la diplomatie des Soviets ; Yakov Sverdlov (Yankel Solomon), secrétaire de l’Exécutif du parti Bolchévik et chef du gouvernement des Soviets ; Grigory Zinoviev (Hirsch Apfelbaum), chef de l’Internationale Communiste (Komintern ou agence centrale censée exporter la Révolution dans les pays étrangers) ; Karl Radek (Sobelsohn), commissaire [c.-à-d. ministre] de la Presse ; Maxim Litvinov (Wallach), commissaire aux Affaires Etrangères, et encore Lev Kamenev (Rosenfeld) et Moisei Uritsky. Il est vrai qu’aussi, lors de la fameuse réunion des 12 principaux dirigeants du Comité central du parti bolchévik, convoquée par Lénine deux semaines avant sa prise de pouvoir à Saint-Pétersbourg les 6 et 7 novembre suivants, on comptait 4 Russes d’origine (dont Lénine), un Géorgien (Staline), un Polonais (Dzerdjinski) et six Juifs. « Immédiatement après la Révolution, écrit ainsi l’historien israélien, Louis Rapoport, beaucoup de Juifs étaient euphoriques d’être si bien représentés dans le nouveau gouvernement. On trouvait de nombreux bolchéviks d’origine juive dans le 1er Politburo de Lénine (…) et sous son règne, les Juifs furent impliqués dans tous les aspects de la Révolution communiste ».
Un antisémitisme « rouge » – mais aussi « blanc » – des plus virulents…
Or, malgré les promesses initiales des dirigeants communistes d’éradiquer définitivement l’antisémitisme une fois qu’ils seraient au pouvoir, c’est tout le contraire qui se produisit : un anti-judaïsme des plus virulents et sommaires, se répandit dès les premiers mois de la Révolution et bien davantage ensuite, notamment au sein de l’Armée Rouge, pourtant dirigée à son sommet par Trotski…
A tel point que de nombreux pogroms très sanglants, commis par certains bataillons de l’Armée Rouge, eurent lieu en pleine période « révolutionnaire » (voir notre interview de Gérard Rabinovitch), sans parler des autres pogroms et exactions horrifiantes – les victimes se comptant par milliers – perpétrées par les unités et les généraux des Russes blancs qui s’opposaient sur le terrain à la progression des bolchéviks… dont ils rendaient évidemment les Juifs « responsables » !
Il faut dire qu’une partie de l’opinion publique russe accusait directement – comme au temps des tsars ! – la communauté juive de la situation effroyable sévissant en Russie (famine, pénurie, guerre civile…) et de l’ensemble des abus et exactions commis par le régime soviétique. Si bien qu’au début des années 1920, l’antisémitisme était particulièrement répandu et virulent en Russie dans la plupart des classes sociales 