D’où provient le nom Tévet ? Pourquoi a-t-il pour signe zodiacal le chevreau ? Et quel message particulier renferme-t-il pour nous autres femmes ? En l’honneur de Roch ‘Hodech, le quatrième mois du calendrier juif nous livre quelques-uns de ses mystères…
L’origine du nom Tévet
Tévet est le quatrième mois du calendrier hébraïque, qui débute en Tichri, mois de la création du monde. Dans la Torah, en revanche, qui couronne le mois de Nissan comme « le commencement des mois […] le premier mois de l’année », il s’agit du dixième du calendrier. Tévet est mentionné à une seule reprise dans l’ensemble des livres des Néviim ou Kétouvim (Prophètes et Hagiographes) ; il apparait dans le livre d’Esther : « Esther fut donc conduite au roi Assuérus, dans son palais royal, le dixième mois, qui est le mois de Tévet, la septième année de son règne. » (Esther, 2, 16) Comme l’ensemble des noms du calendrier hébraïque usuel, celui de Tévet est emprunté au calendrier luni-solaire babylonien (cf. Talmud de Jérusalem, Traité Roch Hachana, chapitre, halakha 2). Il correspond au mois appelé « Ara’h Tebetum » un terme akkadien qui renvoie à un élément dans lequel on s’enfonce, sans doute une référence au climat pluvieux qui rend la terre boueuse.
Un mois de bon augure
Cette origine étrangère n’a pas dissuadé nos sages de déceler une étymologie hébraïque – d’ailleurs particulièrement positive – derrière le nom Tévet. Ainsi, s’appuyant sur un jeu de mots avec le mot טבא qui, en araméen, signifie « bien, bon », Rav Yéhouda affirme qu’un mois de Tévet où les pluies ont fini de tomber est un bon signe pour l’année car cela permettra aux érudits de voyager sans encombres vers leurs lieux d’étude pour y diffuser la Torah. De son côté, Rav ‘Hassda est d’avis qu’un mois de Tévet durant lequel les routes sont boueuses est de bon augure pour l’année à venir1. (Traité talmudique Taanit, p.6b) Mais quel que ce soit le cas de figure décrit, le Talmud tient visiblement à accorder au mois de Tévet une connotation positive.
Cette idée est corroborée par une aggada fascinante que voici : lorsqu’Adam Harichone constata que le jour de sa naissance, à savoir le 25 Tichri, les jours commençaient à raccourcir, il crut sa fin venir. « Malheur à moi ! se lamenta-t-il. Est-ce donc à cause du péché que j’ai commis que le monde s’obscurcit et retourne au tohu-bohu ? » Torturé de culpabilité, il entreprit de jeûner et de prier pendant huit jours. Puis quand arriva la tékoufa de Tévet et que les jours commencèrent à se rallonger, il comprit que les variations de la durée du jour correspondaient simplement au fonctionnement normal du monde. Au comble du soulagement, le tout premier homme célébra alors huit yamim tovim – jours de fête. (Traité talmudique Avoda Zara, p.8a) Comme le prouve ce passage, le mois de Tévet – et le « début de la fin » de la saison hivernale qu’il annonce – est associé à la joie et au bien.
Jeûner pour avoir faim de spiritualité
Compte tenu de sa connotation positive, il pourrait paraître étonnant que le mois de Tévet abrite plusieurs événements tragiques de l’histoire du peuple juif. Pour commencer, le 8 Tévet marque l’achèvement de la traduction de la Torah en grec sur ordre du roi Ptolémée Philadelphe, un événement que nos sages considèrent aussi funeste que la faute du veau d’or (Sofrim, 1, 7) Le Choul’han Aroukh décrit également le 9 Tévet comme un jour de tristesse et ce, « pour des événements tragiques qui s’y sont produits mais ne sont plus connus de nous » (Orakh ‘Haïm, 580, 2) Ces deux jours sont d’ailleurs appelés « jeûnes de tsadikim ». Quant au 10 Tévet, qui fait partie des jeûnes publics, il marque le début du siège des Babyloniens autour de Jérusalem, lequel se soldera pas la destruction du Temple quelques trois années plus tard.
En réalité, les jours de jeûnes décrétés par nos sages n’ont guère pour but de nous affliger ni de nous conduire à nous apitoyer sur notre triste sort. Comme le souligne le Rambam, leur seul et unique objectif est « d’éveiller les cœurs et d’ouvrir les voies vers le repentir » (Hilkhot Taanit 5, 1) Par conséquent, si nous mettons à profit le mois de Tévet pour raffermir notre relation avec Hachem, et améliorer nos liens avec notre entourage, ces mêmes événements tragiques se transformeront alors en tremplins vers le Bien. Et nous mériterons alors d’accélérer la réalisation de la prophétie de Ze’haria voulant que le jeûne de Tévet, comme les autres jeûnes liés à la destruction du Temple, se transforment en « jours d’allégresse et de joie. » (Ze’haria 8, 19)
Le message du chevreau : aller plus haut
Le Séfer Hayétsira (Chapitre 5, Michna 9) nous révèle que le signe zodiacal du mois de Tévet est le chevreau. Quelle est donc la force spirituelle incarnée par cet animal ? Nos sages remarquent que la caractéristique principale du chevreau est sa tendance à se déplacer par bonds (Traité talmudique Baba Kama, p. 21b). Idée que l’on retrouve d’ailleurs en français dans l’expression familière « sauter comme un cabri ». Comme le révèle le rav Chmouël de Sokhatchov dans son Chem MiChmouël (Hanouka 5674, Roch ‘Hodech Tévet), le saut du chevreau fait allusion à la néchama, l’âme juive, qui aspire constamment à s’élever et à se dépasser, contrairement au corps humain qui, lui, est régi par les lois de la gravité. Cette idée du dépassement de soi se retrouve précisément dans la fête de ‘Hanouka qui se termine durant le mois de Tévet. Celle-ci célèbre en effet la victoire miraculeuse des ‘Hachmonaïm qui, nonobstant leur petit nombre, eurent le courage de défier les forces syro-grecques pour rallumer la flamme de la Torah. Et l’auteur du Chem MiChmouël de conclure avec une promesse encourageante liée au mazal du chevreau : lorsqu’une personne prend la ferme décision de se consacrer au service d’Hachem de tout son cœur, de toute son âme et de toutes ses ressources, elle parviendra à s’élever vers des sphères spirituelles insoupçonnées même si elle ne le mérite pas. (Hanouka 5674, Roch ‘Hodech Tévet 2)
Le mois de Tévet au féminin
Dans la même veine, Rabbi Yaacov d’Amshtislav explique que le chevreau décrit dans le célèbre chant allégorique de ‘Had Gadya nous rappelle la mission suprême de la néchama : celle de sublimer les aspects matériels de notre vie (Haléka’h VéHalibouv, p.219) En tant que femmes, épouses ou mères, ce concept primordial mis en exergue durant le mois de Tévet ne saurait être assez souligné. En effet, à la différence des hommes qui sont astreints à l’étude de la Torah et à l’accomplissement de nombreux commandements, le quotidien féminin est marqué par une myriade de tâches et de responsabilités qui pourraient paraître infiniment plus matérielles. Et, avouons-le, infiniment plus banales…
En réalité, si le rôle de la femme relève principalement de la sphère matérielle, c’est parce qu’elle – et elle seule – maîtrise l’art subtil d’insuffler en chacun de ses gestes un sentiment, une intention ou une volonté transcendante ; le respect qu’elle voue à son époux, l’amour qu’elle porte à son enfant, le désir de les voir s’épanouir.
Aussi, lorsque nous faisons l’effort de préparer un repas nourrissant et appétissant pour les nôtres, lorsque nous veillons – tant bien que mal – à veiller à l’entretien de nos foyers, ou lorsque nous luttons contre le sommeil pour aider un enfant à terminer ses devoirs, rappelons-nous que nos gestes n’ont rien d’ordinaires. Et comme l’écrit le Abarbanel (Béréchit, 2, 18) c’est précisément en accomplissant ces tâches ménagères ou culinaires avec joie et plaisir que nous leur conférons une valeur spirituelle décuplée.
‘Hodech Tov ouMévorakh !
Ora Marhely
Sources : The Wisdom in the Hebrew Months, par Zvi Ryzman ; Le bonheur d’être épouse, par R. Valdman.