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2 Kislev 5785‎ | 3 décembre 2024

Au fil des semaines… : Sonder ses propres motivations

Rav Binyamin Beressi

Noa’h avait emporté dans l’arche des sarments de vigne ainsi que des rameaux de figuier. Après le déluge, en quittant l’arche, il s’adonna désormais à l’agriculture : « Noa’h, d’abord cultivateur, planta une vigne. Il but de son vin et s’enivra… » (Béréchit 9, 20). « D’abord cultivateur », se lit littéralement : ich ha-adama – homme de la terre. C’est-à-dire qu’il commença (vaya’hel) par planter une vigne. Rachi cite le Midrach Rabba 36 : le mot « vaya’hel » est à rapprocher du terme « ‘houlin » – œuvre profane – pour nous dire que Noa’h s’est « profané » lui-même, car il aurait mieux fait de commencer par planter autre chose, comme des rameaux de figuiers ou des céréales. Le Midrach Tan’houma (13) ajoute que si Noa’h était jusque-là appelé « ich tsadik » – homme juste, il aura perdu ce statut si important après avoir planté cette vigne, devenant « ich ha-adama ».

Sorti de l’arche, Noa’h se devait de cultiver à nouveau la terre dévastée. Pourquoi son empressement à planter une vigne était-il critiquable ? Cet homme, au sujet duquel la Torah témoigne qu’il était agréé du Ciel et des hommes, dans ce monde ci et dans le monde futur (Midrach Rabba), était-il donc soupçonnable de vouloir boire du vin pour s’enivrer ? La Guémara (Moed Katan 20/b) raconte que lorsque le beau-frère de Mar Oukba est décédé, sa femme et sa belle-famille prirent le deuil des chiva. Mar Oukba pensa que par égard pour sa femme qui venait de perdre son frère, il se devait lui aussi de prendre le deuil. Certes, cela est autorisé par la Halakha, mais seulement pour le deuil des beaux-parents et en présence de sa femme. Rav Houna vint lui rendre visite et le trouva assis à même le sol avec les endeuillés. Il lui dit alors : « Est-ce donc pour manger le “tsoudénayta” – ces fameux gâteaux offerts à l’époque aux endeuillés – que tu as pris le deuil de ton beau-frère ?! » Or, Mar Oukba était le Président du Tribunal rabbinique de son époque (Moed Katan 16/b). Peut-on vraiment penser que ses intentions étaient bassement matérielles et que, par simple gourmandise, il aurait pris le statut d’endeuillé ?

Le Saba de Slabodka explique que cette Guémara vient nous apprendre qu’un homme ne mesure pas toujours les motifs profonds de ses décisions. Nos Sages ne viennent pas ici remettre en question la grandeur de Mar Oukba, mais simplement nous inviter à réfléchir constamment sur nos véritables motivations. L’homme étant lui-même son propre juge, il lui est très difficile d’être totalement objectif, et sa subjectivité joue le rôle d’un corrupteur. Comme nous l’enseigne la Torah à maintes reprises : « La corruption trouble la vue des plus grands et fausse la parole des justes » (Chémot 23, 8). Rav Yaakov Galinski ajoute que nos Sages nous enseignent ici qu’au travers des mots qu’elle choisit, la Torah nous révèle que, dans l’esprit de Noa’h, il y avait aussi une envie de vin. Une envie insoupçonnée de lui-même, mais qui rabaissera son niveau spirituel et le ramènera au niveau, de la matérialité, au niveau de « l’homme de la terre » .

C’est aussi ce que dit le Sifri (cité par Rachi Chémot 35, 27) à propos des Princes de tribus : ceux-ci avaient été les premiers à apporter leurs dons pour l’inauguration de l’Autel, alors qu’ils ne l’avaient pas été pour l’inauguration du Michkan, le Tabernacle. C’est qu’ils avaient raisonné comme ceci : « Que tout le monde apporte sa contribution et nous, nous compléterons ce qui manquera ! » Mais le peuple d’Israël apporta tout ce qu’il fallait et il ne leur restait plus rien à amener ! (Ils apportèrent finalement les pierres de choam.) Voilà pourquoi, lors de l’inauguration de l’Autel, ils se dépêchèrent et furent les premiers à apporter leurs dons. Toutefois, comme ils avaient manqué de zèle la première fois, il manque à leur nom une lettre, le yod, et le mot nessiim (« phylarques ») est écrit ici avec un yod en moins. Il est évident que leur intention première était bonne, et pourtant on leur reproche d’avoir été en quelque sorte « paresseux » ! C’est que la Torah demande à l’homme de bien analyser ses motivations, afin de réfléchir sur les mobiles profonds, et souvent peu louables, qui peuvent interférer dans les plus simples décisions, et altérer de fait la spiritualité de ses présumées bonnes actions

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