C’est reparti pour une nouvelle année !
On avait fini par prendre goût à ces journées sans queue ni tête. À ces petits-déjeuners que l’on entamait sur les coups des midis. Et à ces soirées sans devoir… (ni devoirs…) qui n’hésitaient pas à se terminer aux petites lueurs de l’aube. Pourtant, la cloche de la rentrée a fini par sonner et, du plus petit au plus grand, nous avons été forcés de reprendre qui le chemin de l’école, qui la route du travail. Il faut de nouveau fixer – et se fixer – une heure du coucher, et surtout une heure de réveil. La table du salon se voit à nouveau jonchée de manuels scolaires en tous genres, qui pour des leçons à apprendre qui pour des exercices à résoudre. Et au bureau, l’ambiance décontractée de l’été a été rapidement évincée par le florilège de deadlines approchantes.
Naturellement, la réaction primaire face à cette recrudescence de travail et de responsabilités, n’est autre qu’un profond soupir, accompagnée généralement de la vieille rengaine : « Dure, dure, la reprise ! »
Mais la Paracha de la semaine semble bien décidée à couper net à ce concert larmoyant qui caractérise trop souvent la rentrée des classes. Sans pour autant contredire la rengaine si typiquement « septembresque » que nous venons d’évoquer, elle va lui conférer un sens novateur. Et ô combien plus édifiant. Voyons voir.
Une triste réaction en chaîne
La section de Ki Tetsé s’ouvre sur les trois lois suivantes.
La première est celle de la femme belle d’aspect, cette captive aperçue par un soldat en temps de guerre et qu’on lui permet d’épouser au terme d’une certaine procédure bien précise.
Dans la deuxième loi, la Torah évoque le cas de figure d’un homme qui aurait épousé deux femmes, l’une aimée et l’autre détestée, qui lui auraient toutes deux donné un fils. Elle précise que même si l’enfant né en premier est celui de la femme détestée, il n’aura pas le droit de transférer les droits d’aînesse (le droit à une double part d’héritage) au fils de la femme aimée.
Enfin, la troisième loi est celle du fils dévoyé et rebelle. Selon la Torah, cet individu devra être mis à mort non pas en raison de la gravité des fautes qu’il a réellement commises mais parce que son comportement indique clairement qu’il finira pas dégénérer au point de se transformer en un être monstrueux. À première vue, ces lois ne semblent pas avoir de rapport l’une avec l’autre. Mais Rachi, dans son commentaire sur la Torah, est d’avis que leur juxtaposition au début de notre Paracha nous invite à souligner la relation en chaîne qui les lie. Selon le maître de Troyes, c’est l’engouement coupable de ce soldat pour la captive belle d’aspect qui provoquera une succession de tragédies familiales au sein de son foyer. S’il épouse cette femme au lieu de lui rendre sa liberté, il finira par la haïr. Et l’enfant né de leur union deviendra un jour un fils dévoyé et rebelle.
Une parenthèse inattendue
Or le commentaire de Rachi suscite l’étonnement de l’auteur du Chem MiChemouel, le deuxième Rabbi de Sokhatchov. Si le but de cette juxtaposition de lois est de souligner les fâcheuses conséquences d’une union avec une captive, pourquoi la Torah juge-t-elle bon de mentionner à cette occasion les droits inaliénables de l’aîné ? se demande l’illustre Rabbi Chemouel Bornsztain. En effet, la Torah consacre plusieurs chapitres aux lois de succession à la fin du Séfer Dévarim, et nous nous serions naturellement attendus à ce que l’interdiction de transférer les droits du fils de la femme haïe à celui de la femme aimée y figure. Pourquoi la Torah ne s’est-elle pas contentée de déclarer que ce soldat en viendra à haïr la captive qu’il a épousée pour lui en préférer une autre ? Pourquoi « perturber » le flux narratif par cette parenthèse apparemment incongrue relative à la double portion perçue par l’aîné ?
Aînesse oblige
L’auteur du Chem MiChemouel nous explique que la référence au droit d’aînesse n’a rien d’un « hors-sujet ». Bien au contraire, c’est ce passage précis qui va nous livrer le véritable fil conducteur des trois premières lois de notre Paracha ; à savoir la toute-importance des débuts. Dans le judaïsme, si l’aîné jouit de privilèges que ses frères et sœurs n’ont pas, c’est parce qu’il endosse des responsabilités qui n’incombent pas au reste de la fratrie ! En effet, le premier-né d’une famille est souvent celui qui donnera le ton aux autres membres qui le suivront. S’il s’efforce de devenir un enfant diligent et respectueux, il y a de fortes chances que ses frères et sœurs le prendront pour exemple et s’inspireront de ses comportements vertueux. L’inverse est malheureusement vrai. Cette double portion qu’il hérite de son père est donc une récompense bien méritée pour avoir tracé à ses frères et sœurs une voie digne d’être suivie. Et parce qu’il est bien plus facile et agréable d’emprunter une route goudronnée qu’un terrain vague, le reste de la fratrie devra se suffire d’une seule et unique part de l’héritage paternel.
Qui commence bien, finit bien !
Personnifiée par le rôle de pionnier joué par l’aîné, l’incidence du début dans la poursuite harmonieuse de tout processus se retrouve dans l’enchaînement des trois lois qui introduisent notre Paracha. Comme l’a souligné Rachi, la succession de tragédies familiales débute par une union permise, quoique très peu recommandée, avec une captive. Au lieu de rechercher une partenaire vertueuse, avec qui il aura toutes les chances de fonder un foyer stable et durable, ce soldat s’est malheureusement laissé entraîner par ses passions. Mais le caractère intrinsèquement éphémère de ces dernières n’a pas tardé à le rattraper. Bientôt, l’engouement laisse place à la haine, une haine si manifeste qu’il se met en quête d’une nouvelle épouse. Cet homme a négligé les fondations de son foyer. Et l’édifice a tôt fait de s’écrouler… Sans grande surprise, le fils issu de ce mariage malheureux n’a rien d’un parangon de vertu… Il conteste l’autorité parentale, et sa gloutonnerie et son ivrognerie prouvent une absence totale de retenue. Pour nos Sages, le verdict est clair ; le comportement scandaleux de cet enfant est une conséquence directe du manque d’entente et d’harmonie régnant entre ses parents. Encore une preuve, s’il en fallait, du caractère crucial des débuts. Plus encore, ce message d’alerte forme d’ailleurs la trame même des lois si particulières concernant le fils dévoyé et rebelle. En effet, il s’agit d’un rare cas où un individu est condamné non pas à cause de son mauvais comportement actuel durant les trois premiers mois suivant sa barmitsva, mais à cause des péchés capitaux qu’il va inévitablement commettre si on le laisse en vie. Ou pour reprendre les mots du Talmud : « Le fils dévoyé et rebelle est exécuté en prévision de sa fin inévitable, car la Torah a pénétré au plus profond de sa psychologie : Un jour viendra où il dilapidera le patrimoine de son père et, cherchant en vain à assouvir ses passions, il se tiendra à la croisée des chemins et détroussera les passants. La Torah dit : “Il vaut mieux qu’il meure innocent et ne meure pas coupable de crimes capitaux » (Traité Sanhédrin 70a à 71b).» » En conclusion, les trois lois introductives de notre Paracha illustrent, chacune à leur manière, l’importance capitale que la Torah accorde au début. Dans la première, celle de la femme captive, nous apprenons l’importance du choix du conjoint pour la solidité d’un foyer. Dans la deuxième, celle des droits inaliénables de l’aîné, nous découvrons le rôle fondamental joué par l’aîné dans le tracé de sa fratrie. Quant à la troisième, la loi heureusement théorique du fils dévoyé et rebelle, elle nous prouve à quel point le comportement d’un individu à l’aube de sa vie adulte peut se montrer décisif dans la suite de sa trajectoire spirituelle.
Dur ou difficile ?
Et le message de notre Paracha est onne-peut-plus opportun pour la période de rentrées des classes que nous traversons actuellement. Certes, cette période n’est une partie de plaisir pour personne… Il n’est pas facile de renouer avec les bonnes habitudes après une longue période où nous avons baissé nos gardes dans tant de domaines. « Dure, dure, la reprise ! » soupirons-nous. Après tout, nos maîtres n’ont-ils pas eux-mêmes écrit : « Kol hat’halot kachot – tous les débuts sont durs ! » ?
Mais ce que nous oublions, c’est que le mot « kaché » possède une double signification. Il peut renvoyer à une situation pénible, mais il peut aussi être employé pour décrire l’état d’un objet ferme, solide, résistant ! Et c’est précisément cette deuxième définition que la Torah veut que nous privilégions en parlant de la rentrée des classes. Tout comme nous l’avons découvert au fil de la Paracha de la semaine, chaque début est décisif pour la suite du processus. Aussi, plutôt que de nous lamenter sur les difficultés naturellement associées à la reprise, tâchons au contraire de nous concentrer sur le formidable potentiel de cette période pour le reste de l’année scolaire. Sachons que chaque effort que nous fournirons pour mettre en place de bonnes habitudes dans notre vie, et dans celle des êtres qui nous sont chers, garantira notre succès et notre épanouissement dans tous les mois à venir. Alors laissons de côté l’aspect difficile, pénible et incommodant de ce début. Et mettons plutôt l’accent sur la deuxième définition du mot kaché en nous efforçant de couler des fondations fermes, solides et résistantes. Dure, dure, la reprise ! Et pourvu que ça dure…