« L’interdiction de che’hita en Flandre risque de servir de
précédent à d’autres gouvernements » L’entrée en vigueur le 1er janvier dernier de l’interdiction de ché’hita dans certaines régions de la Belgique pourrait bien marquer un tournant dans les relations entre les communautés juives d’Europe et les gouvernements du Vieux Continent. Le grand rabbin Albert Guigui explique à Haguesher la nature de cette interdiction. Haguesher : Monsieur le grand rabbin, d’emblée une précision, cette loi sur l’interdiction de la ché’hita ne touche pas toute la Belgique, n’est-ce pas ?
Rav Albert Guigui : Effectivement. La Belgique est divisée en trois régions : la Flandre, la Wallonie et Bruxelles-capitale. Chaque région a ses compétences propres. Et l’abattage rituel fait partie des compétences des régions. C’est ainsi que la Flandre a voté une loi interdisant la ché’hita sans étourdissement préalable, une loi qui est entrée en vigueur le 1er janvier. La Wallonie elle, a voté la même loi mais celle-ci n’entrera en vigueur qu’en septembre prochain. Et ce pour permettre aux abattoirs de s’organiser. Par contre, aucune loi n’a été votée pour Bruxelles-capitale. De facto, cette loi touche essentiellement la communauté d’Anvers qui est une communauté fortement orthodoxe. Mais il faut préciser que les Juifs d’Anvers pourront continuer à consommer librement de la viande casher, abattue en dehors de la Flandre. Il est encore possible par exemple d’abattre à Bruxelles et d’acheminer la viande à Anvers. Il n’y a que l’abattage qui est interdit, pas la consommation, ni la commercialisation de la viande casher. Et ce qui peut paraître absurde et hypocrite de la part de ceux qui ont initié cette loi.
Car ceux qui luttent pour le bien-être des animaux doivent interdire l’abattage rituel partout et interdire la consommation partout. C’est inconséquent. Est-ce que vous avez tenté d’expliquer preuves à l’appui que la Ché’hita n’était pas plus cruelle que d’autres techniques d’abattage ? Bien évidemment. Nous considérons que la loi est injuste car la base du raisonnement des sociétés protectrices des animaux est que la ché’hita fait souffrir les bêtes plus que l’abattage normal avec étourdissement. Or nous avons soumis aux autorités belges les avis de vétérinaires experts qui ont admis que la ché’hita n’était pas plus cruelle et l’était même moins que l’abattage avec étourdissement. Le véritable problème est que le lobby de ces sociétés protectrices des animaux est tellement puissant qu’aucun député n’ose se les mettre à dos et donc ils se soumettent, sans vérifier
tous les aspects du problème. Le plus absurde encore c’est que parallèlement à cette interdiction, on autorise en Belgique la poursuite de la chasse qui est bien plus cruelle que la ché’hita. Il s’agit là d’un phénomène de société dans lequel la protection des animaux est devenue sacrée. Aujourd’hui, en Europe certains droits des animaux sont comparables à ceux des hommes. Et nous devons faire face à cela. Doit-on redouter que
d’autres gouvernements européens ne s’inspirent de cet exemple belge pour agir de la même manière ? Notre crainte est que cette loi qui ne nous touche pas directement, soit un précédent pour d’autres gouvernements en Europe. Nous craignons l’effet « boule de neige ». La Belgique est au coeur de l’Europe et il ne faudrait pas que d’autres gouvernements se décident à agir de la sorte. C’est ce qui nous a conduits à déposer un recours devant la Cour Constitutionnelle contre cette loi et nous espérons que la Cour considèrera cette loi comme une atteinte aux pratiques religieuses.
Propos recueillis par Daniel Haïk