Dans notre paracha, la Torah énumère les différents types de sacrifices expiatoires (‘hatat), dont la procédure dépend respectivement du rang de la personne qui a fauté. À ce titre, le verset énonce en tout premier lieu le sacrifice que devait apporter, dans ces circonstances, le chef des Cohanim : le Cohen Gadol.
S’inspirer du Cohen Gadol
Logiquement, nous nous serions attendus à ce que la Torah aborde ce thème avec le sacrifice d’un individu ordinaire, ne possédant aucun titre particulier. En effet, ces personnes sont généralement plus susceptibles de fauter que le Cohen Gadol. Alors pourquoi la Torah inverse-t-elle cet ordre ? Rabbénou Bé’hayé propose plusieurs réponses à cette question. L’une d’elles énonce cette idée : « L’ordre dans lequel les différents fauteurs sont énumérés dans notre section est le suivant : le Cohen Gadol, le Sanhédrin, le roi d’Israël et enfin, toute personne issue du peuple. Si la Torah commence ce sujet avec le sacrifice du Cohen Gadol, c’est parce qu’il est le plus grand personnage du peuple – un ange de D.ieu Tsévakot – et c’est de lui que tout Israël s’inspire. Or, en constatant que même lui, le plus pieux d’entre eux, doit offrir un sacrifice après avoir fauté, les hommes suivront son exemple, ils se repentiront et en dégageront un raisonnement a fortiori : si déjà le Saint béni soit-Il pardonne la faute d’un homme qui n’était pas censé la commettre, à plus forte raison expiera-t-Il celle du commun des mortels… » C’est donc justement la rareté des fautes du Cohen Gadol qui justifie sa mention au premier rang : en tant que ministre se tenant au service du Roi, il doit faire preuve d’une vigilance accrue. Et si, malgré cela, le pardon divin peut lui être accordé, à plus forte raison le sera-t-il pour un individu ordinaire, qui ne possède pas les mêmes responsabilités.L’expiateur précède l’expié L’Or Ha’Haïm envisage quant à lui les choses sous un autre angle. Il explique que l’ordre choisi par la Torah est celui dans lequel les processus d’expiation doivent effectivement se dérouler. Nos Sages enseignent en effet que, dans le cas où le Cohen Gadol et l’assemblée d’Israël venaient à fauter chacun de son côté, c’est le sacrifice du premier qui aurait la préséance, en vertu du principe suivant : « Il convient que le sacrifice de l’expiateur précède celui de l’expié » (Horayot 12/b). Autrement dit, l’homme dont le rôle est d’apporter l’expiation au peuple doit d’abord se soucier de sa propre situation, afin de pouvoir remplir sa mission d’expiateur. Voilà pourquoi la Torah fait précéder les règles relatives au Cohen Gadol à celles du peuple. Contrairement à la vision moderne, selon laquelle les dirigeants possèdent une certaine immunité et peuvent se permettre certaines entorses aux règlements, la Torah envisage les choses selon le modèle opposé : les responsables communautaires doivent répondre de leurs actes plus que quiconque, sans quoi ils seraient incapables de mener leur mission à bien. Ceci est a fortiori vrai s’agissant du Cohen Gadol, dont le rôle était précisément de procéder à l’expiation du peuple et qui, à ce titre, ne pouvait remplir correctement sa fonction tant qu’il était lui-même entaché par certains manquements. Nos Sages enseignent à cet égard : « Embellis-toi avant d’embellir autrui » (Baba Métsia 107/b). Il recevra le pardon Ce principe ressort également d’une autre règle relative au sacrifice du Cohen Gadol. Au sujet de tous les sacrifices expiatoires, une expression récurrente apparaît dans les versets : « Il lui obtiendra ainsi l’expiation du péché commis, et il lui sera pardonné » (Vayikra 4, 31 et 35). Un énoncé similaire apparaît également dans le contexte des « omissions collectives » (ibid. v. 20) et dans celui des hauts magistrats (v. 26). Seule exception à cette règle : le sacrifice du Cohen Gadol ! Pourquoi se distingue-t-il de la sorte des autres membres du peuple juif ? Selon le Ramban, la réponse est la suivante : « S’il n’est pas fait mention, au sujet du sacrifice expiatoire du Cohen Gadol, de l’expression : ‘Il obtiendra expiation et il lui sera pardonné’, c’est peut-être en raison de son statut supérieur : il ne pourra recevoir le pardon qu’après avoir prié et imploré son Créateur, car il est un ange de D.ieu et il doit être pur de tout écart… » (sur Vayikra 4, 2). Le Baal HaTourim évoque une idée similaire, quoiqu’il ne mette pas l’accent sur l’importance du repentir que requiert le Cohen Gadol mais plutôt sur les causes de ses manquements : « Si cette expression n’apparaît pas à son sujet, c’est parce qu’une ‘erreur de jugement dans l’étude est considérée comme une faute volontaire’ (Pirké Avot 4, 13). » Une responsabilité collective Nous ne pourrions conclure cette étude sans citer l’explication que rapporte Rachi au nom du Midrach : « D’après l’exégèse de nos Sages, lorsque le Cohen Gadol faute, son manquement est imputable à toute l’assemblée. Comme c’est lui qui suscite l’expiation de ses fautes et qui prie pour elle, elle dépend donc de lui. » Ce commentaire nous renseigne sur le rapport étroit qui unissait l’ensemble du peuple au chef des Cohanim : ce dernier avait pour rôle d’entretenir la flamme spirituelle des hommes et de les rapprocher de leur Créateur. Et précisément en raison de ce rôle de soutien spirituel du peuple, chaque défaut que l’on trouvait en lui se répercutait sur la nation tout entière. Aussi, lorsque de telles circonstances se produisaient, chaque Juif devait se remettre en question, car il était directement touché par les mésaventures du Cohen Gadol. À cet égard, nos Sages stipulent que lorsqu’un officiant commet une erreur au cours de la prière, l’assemblée entière doit se sentir concernée (Bérakhot 34/b). En effet, l’erreur du délégué du peuple ne saurait se résumer à son seul fait, c’est nécessairement toute la collectivité qui est en cause. Le Sfat Emet (pour Zakhor 5650) développe davantage ce principe : « Ainsi, Moché notre maître, bien qu’il fût le sauveur des enfants d’Israël, son degré spirituel dépendait cependant de la capacité du peuple [à en bénéficier]. En effet, tout dirigeant du peuple juif n’est à la hauteur de son rang que par le mérite du peuple, selon l’idée qu’évoquent nos Sages : ‘L’Arche de l’alliance soutenait ceux qui la portaient’. » Le Sfat Emet précise encore ailleurs (Vayikra 5636) : « À travers Israël, les Justes de la génération bénéficient d’une plus grande force, devenant ainsi semblables à des anges. » Reprenant cet enseignement, le Beth Israël indique que ce principe s’applique à toutes les générations : « Ceci est une allusion à la grandeur du peuple juif : bien que Moché fût d’un très haut niveau spirituel, il découvrit cependant que ‘c’est pour vous que D.ieu me parle’ – toutes ses prophéties ne se manifestèrent à lui que par le mérite d’Israël. Et ainsi en est-il de toutes les générations : c’est le peuple juif qui donne leur force à ses Maîtres. Et réciproquement, s’il ne se maintient pas au niveau idoine, la force des Maîtres diminue… »
Adapté à partir d’un article du rav Moché Reiss.