Dans les maisons de retraites à travers tout le pays, les infirmières administrent aux personnes âgées des sédatifs à profusion sans raison valable et parfois sans la permission du médecin, donnant lieu à d’interminables heures de sommeil. voire même à des décès prématurés chez les pensionnaires.
Lorsque Haïm Shmuli est venu pour la première fois voir sa mère à la maison de retraite où elle était entrée depuis peu, quelque chose lui a semblé étrange.
J’ai remarqué que tous les patients étaient comme étourdis, amorphes, explique le père du député Itzik Shmuli (le camp sioniste). J’ai d’abord pensé qu’ils dormaient mal la nuit, mais ça a commencé aussi chez ma mère. Chaque fois que je venais, je la voyais « endormie ». Au début, je pensais que c’était une coïncidence, mais après trois semaines d’affilée, j’ai réalisé que quelque chose n’allait pas.
Quand je suis entré demander des explications au médecin, elle m’a avoué : « Nous lui donnons des médicaments pour dormir ». Indigné et en colère, j’ai répliqué : « Pourquoi, elle n’a pas le droit crier ?! » Peut-être qu’elle les soûlait un peu, mais pas au point qu’ils soient forcés de la shooter. Moi aussi, je peux l’endormir, choisir la facilité ! Je lui ai demandé de ne plus lui donner de médicaments, et au bout d’un moment, elle est redevenue elle-même.
Le sentiment de Shmuli est partagé par des milliers de personnes en Israël dont les parents vivent dans des maisons de retraite. Presque immédiatement après que leurs enfants les y placent, ils se transforment en « zombies ».
Je me suis dit qu’il devait sûrement avoir une réaction un peu dépressive, dit Talia, qui a pris soin de son grand-père quand il est entré en maison de retraite, mais à la fin de mes études en soins infirmiers, j’ai travaillé un peu dans une maison de retraite et je me suis rendue compte qu’ils étaient tous drogués, parce que je me retrouvais seule avec 20 personnes âgées la nuit. On leur donne des cachets pour qu’ils dorment, et comme ça, on est tranquille… Et quand il y a des accidents, qu’une personne meurt à cause de ça, on brode auprès de la famille qui, de toute façon, ne cherche pas plus d’explications, par culpabilité…
Selon les gérants de maisons de retraite, les médecins, les infirmières et les membres du personnel auxiliaire qui ont assisté et participé à cette médication systématique, l’explication, bien que douloureuse, est toute simple : en l’absence de personnel qualifié, tout le monde fait son possible pour que le changement d’équipe se fasse en douceur. Quand les gens ne sont pas assez formés, trop mal payés et surchargés de travail, ils ne voient plus l’intérêt de l’autre, ils n’aspirent qu’au sommeil et au calme. La distribution systématique de sédatifs est la solution la plus pratique.
Sima a travaillé comme infirmière pendant plusieurs dizaines d’années.
Depuis l’âge de 17 ans, je suis sur le terrain, dit-elle. Au jour d’aujourd’hui, les méthodes ont changé, mais pas le recours au fameux cocktail de sédatifs qui, plus qu’il ne soulage la douleur, endort les pensionnaires. Tout le personnel peut en obtenir et en administrer comme bon leur semble. Dans les hôpitaux, on donne ces médicaments pour soulager la douleur, et dans les maisons de retraite, c’est pour avoir la paix… Regardons la réalité en face : il y a quatre patients dans chaque pièce, alors quand un pensionnaire se met à crier pendant qu’on traite un autre patient, on ne peut pas faire autrement.
Si l’on veut que cela change, l’entreprise doit être en mesure d’attribuer une infirmière pour quatre patients, comme c’est la norme aux soins intensifs. Pour l’heure, l’équipe de nuit ne compte… qu’une infirmière pour 60 patients. Alors, évidemment, elle va faire en sorte que tout le monde soit calme, et clairement, il n’y a que les sédatifs qui le permettent. Vous n’avez pas idée à quel point il est difficile de trouver de la main-d’œuvre dans le domaine des soins infirmiers. Résultat : les personnes âgées sont réduites à l’état de légume sur leur lit, amorphes. Nous ne savons pas quoi faire d’autre.
Selon elle, le principal problème est le manque de connaissance du personnel de ces sédatifs.
C’est une question de dosage, explique-t-elle. Normalement, il faut peser le patient et lui donner la dose qui correspond à son poids ; on ne devrait donner qu’un seul cachet tous les deux ou trois tours, mais si le patient est plus agressif, on lui donne des doses plus élevées, et parfois même, on mélange plusieurs types de médicaments.
Shmouël (pseudonyme) a passé plus de 20 ans à gérer des services gériatriques, et ce sont des centaines de membres du personnel et des milliers de personnes âgées qu’il a rencontrés au fil des années. Il raconte avoir vu la lueur dans leurs yeux s’éteindre soudainement, comme si quelqu’un avait appuyé sur un interrupteur.
Hussam, un membre du personnel auxiliaire qui a travaillé dans plusieurs maisons de retraite à travers le pays au cours des dernières années, témoigne aussi :
Je travaille de nuit deux fois par semaine. Mais quand on essaie de dormir un peu et que quelqu’un se met à hurler, c’est angoissant, alors on lui donne un somnifère, pour qu’il dorme et ne nous dérange pas. Parfois, je travaille seul dans le département, sans infirmière. L’infirmière est responsable de deux départements, parfois même trois… nous en sommes tombés malades de surmenage. Je ne sais même pas si elle doit demander la permission à un médecin avant de me dire de donner un sédatif. Sans compter qu’après quelques cachets, le médicament devient moins efficace, alors on augmente le dosage…
Acher (pseudonyme), un jeune homme qui a terminé ses études en soins infirmiers il y a deux ans et a déjà travaillé dans trois maisons de retraite, confie :
J’ai entendu qu’il y a beaucoup de gars qui en donnent, presque tout le temps. Quand j’ai commencé à travailler, et qu’on me disait : « Donne des sédatifs, n’hésite pas », je refusais, parce que je ne voulais pas perdre ma licence.
Une infirmière dans une maison de retraite dans le centre du pays :
Le spectacle qui s’offre quotidiennement à mes yeux, c’est une file de personnes âgées roulant comme des zombies, l’air complètement drogué. Ici et là, on voit le personnel distribuer des cachets avec la nourriture. Comme presque tout le monde sur place, je n’ai aucune connaissance médicale pour déterminer si la dose qu’on leur administre est adaptée pour les personnes âgées.
Mon père a été admis dans l’un des plus grands départements de soins infirmiers d’Israël, raconte Eitam. Quelques semaines après son arrivée, nous l’avons vu décliner. Plus tard, il a développé beaucoup d’escarres (plaies cutanées causées par l’immobilité). Au début, nous pensions que cela faisait partie de l’avancement de la vieillesse, mais quelqu’un nous a dit que c’était à cause des médicaments. Nous avons découvert qu’il était couché pendant des heures, parce que personne ne prenait la peine de le tourner ou de le déplacer. Nous l’avons retiré de là-bas, et nous avons dû commencer un processus de désintoxication, comme pour les toxicomanes. Pour le personnel des maisons de retraites, on dirait bien que la mort est une option acceptable et acceptée !
Il n’y a pas de bonnes et de mauvaises personnes ici, reprend Sima. La transition vers la maison de retraite est très difficile pour les personnes âgées ; quand un vieil homme est chez lui, il sait où se trouvent les toilettes et son lit, et il se sent confiant. Désormais ni indépendant ni maître de son programme à son entrée en maison de retraite, c’est la frustration et la régression assurées.
Il n’y a pas d’autre solution
Le Dr Boris Finkel, expert en psychiatrie et en psychogériatrie et directeur du département de gériatrie au Centre de santé mentale Lev HaSharon, affirme que « c’est une violation de la loi. Nous parlons d’une population qui, dans la plupart des cas, souffrent de déclin cognitif, et chez qui il est nécessaire de traiter deux problèmes : ralentir ce déclin, et traiter des phénomènes courants tels que l’agressivité, la dépression et la psychose justement causés (en partie) par ce déclin cognitif. La réalité est qu’il n’y a pas de solution non médicamenteuse efficace. En principe, donner des médicaments inutilement n’est jamais bon. Un médicament doit être choisi non seulement pour son efficacité, mais aussi en examinant au cas par cas chaque carnet de santé des personnes âgées. Il y a un risque d’effets secondaires extrêmes : plus de somnolence et de nombreuses chutes ; les antipsychotiques à forte dose peuvent, en outre, mettre la vie du patient en danger ».
Le Ministère de la Santé entend agir dans les plus brefs délais : selon la procédure dernièrement instituée pour remédier à cet énorme problème, seuls les médecins seront autorisés à déterminer si et quand donner des sédatifs et à quel dosage, et seule une équipe médicale compétente peut en administrer. En pratique, plus personne ne fera ce que bon lui semble, y compris le personnel auxiliaire qui ne connaît rien aux médicaments.