Quand vous êtes chargée d’une chronique intitulée « la paracha au féminin », il vous faut parfois faire preuve d’un brin d’inventivité pour trouver un lien entre la section hebdomadaire de la Torah et les subtiles préoccupations de la gent féminine. D.ieu soit loué, il est des parachiyot où ce rapport vous est servi sur un plateau d’argent. C’est le cas de la Parachat Kora’h, une section qui, selon nos sages, comporte en filigrane une ode à l’intuition, à la sagesse et à la finesse féminines. Rien de moins !
Féminité oblige…
Prudence ! Si les dernières phrases du chapeau que vous venez de lire ont flatté votre ego, n’en brandissez pas pour autant vos banderoles de suffragettes et autres féministes. Car pour le judaïsme, contrairement à ce qui prévaut dans nos sociétés obnubilées par la parité hommes-femmes, la spécificité de la femme ne suppose ni son égalité avec la gent masculine, ni encore moins sa supériorité. Ce qu’elle implique, en revanche, c’est la responsabilité qui lui incombe. L’éminente responsabilité qui découle des dons, atouts et qualités dont elle a l’apanage. Mais trêve d’élucubrations philosophiques ! Redescendons sur terre – ou plus exactement sous terre – pour nous plonger dans la saga de l’une des toutes premières tentatives de putsch de l’histoire de l’humanité : celle de Kora’h et son assemblée.
La liste des candidats du parti kora’hique
Dans les tout premiers versets de la Paracha, la Torah nous dévoile la liste détaillée du « parti des dissidents » à Moché Rabbénou. En tête de file, siège Kora’h, qui n’est nul autre que le cousin germain du dirigeant d’Israël. En numéro deux et numéro trois, nous rencontrons une fois de plus le patibulaire tandem Datan & Aviram qui, bien qu’ayant emboîté le pas aux Hébreux à la sortie d’Égypte, ne l’ont jamais vraiment quittée. Puis, en quatrième position sur la liste de candidats du parti kora’hique, figure un illustre inconnu issu de la tribu de Réouven. Il s’appelle Onne Ben Pélet et nous ne savons rien sur lui. Sauf peut-être qu’il briguait un poste dans les plus hauts échelons du pouvoir. Enfin, en-dessous de ces quatre « gros bonnets », se trouve une solide équipe forte de 250 individus que l’Écriture n’hésite pas à décrire comme des personnages distingués et d’excellente renommée.
Le grand absent
Après avoir rapporté la teneur des revendications de Kora’h, la Torah nous décrit la réaction de Moché Rabbénou et la technique que celui-ci va employer pour prouver à tous la légitimité de son autorité. Puis arrive le chapitre le plus dramatique de cette révolte avortée ; la punition que leur réserve le Tout-Puissant pour avoir semé la discorde au sein du peuple d’Israël. Ils seront engloutis vivants par la terre. Or nos Sages ne manquent pas de remarquer le grand absent parmi ces victimes : il s’agit d’Onne ben Pélet, qui semble s’être volatilisé dans les airs. Comment celui-ci a-t-il réussi à tirer son épingle du jeu ? À échapper au tragique sort réservé à ses semblables ?
Alcool contre acolytes
Le Talmud (Sanhédrin 109/b) nous répond qu’Onne ben Pélet dut sa vie sauve à son épouse. C’est elle qui le persuada de « retirer sa candidature » en lui tenant le raisonnement suivant : « Quelle que soit l’issue de ce conflit, ton propre statut demeurera inchangé. Si Moché Rabbénou reste au pouvoir, tu seras son disciple, et si c’est Kora’h qui l’emporte, tu seras aussi son disciple ! À quoi bon t’immiscer dans cette dispute si tu n’as aucun bénéfice à en retirer ?! » Cet argument à la logique implacable convainquit Onne ben Pélet en théorie. Mais pas en pratique… « Je me suis déjà engagé fermement dans cette cause. Comment vais-je annoncer mon retrait sans perdre la face ? » objecte-t-il. En fine psychologue, Madame Ben Pélet comprend que la Carte Raison ne suffira pas à elle seule à dissuader son époux. Elle va donc dégainer son arme secrète, la Carte Cœur. Celle de la douceur. Celle de la tendresse. Celle de l’émotion. La voilà qui sort les flûtes à champagne de l’argentier et débouche un grand cru. Et de susurrer : « Oublions rien qu’un tout petit instant tous nos soucis en nous offrant un petit intermède. » Mr Ben Pélet n’y voit que du feu. Il déguste un verre, deux verres, trois verres… Et bientôt notre ex-dissident sombre dans une profonde léthargie.
Le sommeil du juste
Son époux désormais neutralisé par l’alcool, il ne reste à la sage Mme Ben Pélet qu’à s’attaquer à ses acolytes. Aux grands maux, les grands moyens. Cette fois, place à l’Opération Guerre Psychologique. Elle retire boubou et foulard pour se poster, cheveux aux vents, à l’entrée de leur tente. Connaissant la sainteté de l’assemblée de Kora’h, elle sait que la vision d’une femme à la tête découverte les dissuadera à coup sûr d’inviter son mari à se joindre à eux. Son triple stratagème porte ses fruits. Onne ben Pélet dort du sommeil du juste. Au sens propre comme au sens figuré. Car le lendemain, à son réveil, il prend conscience du danger – physique et spirituel – auquel sa femme l’a épargné. Comme son prénom issu de la racine aninout (lamentation) l’indique, Onne regrette sincèrement d’avoir contesté l’autorité de Moché et Aharon. Mais plutôt que d’être amères, ses lamentations ont quelque chose d’allègres. Car il comprend que la sagesse de sa femme lui a fait l’effet d’un véritable miracle. Un miracle auquel fait allusion son nom de famille Pélet, voisin du mot pélaot (prodiges).
Une main de fer dans un gant de velours
La raison mariée au cœur. La fermeté mêlée à la douceur. L’intransigeance conjuguée à la souplesse. C’est ce savant dosage de qualités que nos sages résument en attribuant à l’épouse d’Onne ben Pélet le célèbre verset de Michlé 14, 1 : « La sagesse des femmes édifie la maison. » Car cette sagesse dont le roi Salomon fait l’éloge ne se cantonne pas à des facultés intellectuelles particulièrement développées. Il s’agit d’une sagesse qui imprègne les murs de son foyer. Qui forge la personnalité de chacun de ses membres. Qui les guide à effectuer les meilleurs choix de vie.
Si nous connaissons tous l’adage « Quelle est la femme digne ? C’est celle qui accomplit [ossa] la volonté de son mari » (Tana Débé Eliahou Rabba 9), il s’avère que l’héroïne cachée de notre Paracha lui confère une profondeur insoupçonnée. Car, parfois, la femme sage ne se contente pas de faire la volonté de son mari ; elle va jusqu’à la façonner.
En mélangeant tout en douceur la Carte Raison et la Carte Cœur…
Ora Marhely
EXERGUE : La femme sage ne se contente pas de faire la volonté de son mari ; elle va jusqu’à la façonner.