La paracha rapporte l’histoire d’un juif ramassant du bois pendant Chabbat devant des témoins. Après que Moché eut consulté D.ieu, il fut lapidé : « D.ieu dit à Moïse : Cet homme sera puni de mort, toute l’assemblée le lapidera hors du camp. Toute l’assemblée le fit sortir du camp et le lapida… » (Bamidbar 15, 32-37).
A première vue, cet homme avait besoin de bois et ne voulait pas attendre la fin du Chabbat pour en collecter. Mais Yonathan ben Ouziel explique qu’il a transgressé le Chabbat avec une curieuse intention : il craignait que ses frères fussent restés insensibles envers la peine de mort prononcée au sujet de la transgression du Chabbat. Il décida donc de se sacrifier afin que, en voyant son exécution, les gens s’abstiennent de profaner le Chabbat. Il y a lieu de questionner : pourquoi cet homme se sacrifia-t-il ? S’il craignait que quelqu’un transgresse le Chabbat, celui-ci serait alors puni et son châtiment serait alors forcément connu de tout le peuple ! Il convient aussi de s’interroger : quel raisonnement a amené Yonathan ben Ouziel à interpréter l’intention du ramasseur de bois si singulièrement ?
Une mise à mort au figuré
En fait, le ramasseur de bois craignait que, durant la vie de Moché, personne n’en vînt à transgresser le Chabbat devant des témoins et après avertissement, qui sont les conditions nécessaires pour l’application des peines par un tribunal humain. Et si, après la mort de Moché, quelqu’un osera le transgresser devant des témoins et après avertissement, on ne saura pas quel châtiment lui appliquer !
Concernant les lois de la Torah, personne en dehors de Moché n’est habilité à consulter D.ieu (Temoura, 17/a ; Rambam, introduction sur la Michna). Bien que Moché ait prévenu que celui qui transgresse le Chabbat mérite la mort (Rachi, Sifri Bamidbar 15, 34), certains l’avaient déjà transgressé en allant ramasser la Manne, comme c’est rapporté dans la paracha de Béchala’h (Chémot 16, 27). Ils ne furent néanmoins pas mis à mort, sans doute par manque de preuves.
Il s’agissait de ces mêmes Datan et Aviram, qui avaient médit de Moché en Egypte, et à cause d’eux, ce dernier avait dû fuir à Midyan. Ils trouvèrent l’audace de transgresser le Chabbat, sans doute parce qu’ils n’interprétèrent pas la mise à mort au sens littéral. Lorsque Moché se trouva à Midyan, D.ieu lui ordonna de regagner l’Egypte sans crainte : « Va, car tous les hommes qui voulaient ton mal sont morts », (Chémot 14, 19). Or Datan et Aviram n’étaient pas morts, mais appauvris ; or, un pauvre (ainsi qu’un non-voyant ou un lépreux) est en effet considéré comme « mort », (Rachi ; Nédarim 64/b). Ils interprétèrent donc également la mise à « mort » pour la transgression du Chabbat de façon figurée, à savoir la pauvreté. Etant déjà pauvres, ils n’avaient plus grand-chose à craindre… Ces deux individus n’avaient-ils pas la ruse dans le sang ?
Les dix tests du désert
Le ramasseur de bois profana alors le Chabbat du vivant de Moché, afin que le véritable sens de la « mise à mort » soit connu. En fait, le Chabbat qu’il transgressa était, comme par hasard, le même que Datan et Aviram (Sifri ; Rachi Bamidbar 15, 32). Le fait que la Torah a juxtaposé l’histoire du ramasseur de bois à l’histoire des explorateurs, dans Chela’h Lékha, et non à celle de la Manne dans Béchala’h, a suggéré à Yonathan ben Ouziel son explication. Car en réalité, n’est-il pas étonnant qu’après avoir vu les immenses miracles que D.ieu avait produits pendant la sortie d’Egypte et dans le désert, le peuple juif doute encore, en écoutant l’exposé des explorateurs, du pouvoir de D.ieu de vaincre les nations de Canaan ? De même, comment pouvaient-ils craindre que D.ieu les laissât mourir de soif et de faim dans le désert ? Mais en vérité, leurs doutes n’étaient pas de vraies craintes, mais des tests ! Les juifs « testaient » D.ieu afin de savoir s’Il les aimait véritablement.
Le texte précise : « Les juifs M’ont testé déjà dix fois, et n’ont point écouté Ma voix » (Bamidbar 14, 22) ; « Nos pères dans le désert ont testé D.ieu dix fois » (Avot 5, 3). De la même façon que D.ieu, lorsqu’Il a voulu connaître le degré d’amour et de fidélité d’Avraham à Son égard, le testa: « D.ieu testa Avraham » (Beréchit 22, 1). De même, lorsqu’Il veut connaître le degré d’amour et fidélité des juifs à Son égard, D.ieu les teste en donnant la force à un imposteur de produire des miracles : « S’il s’élève au milieu de toi un prophète ou un songeur qui t’annonce un signe ou un prodige… D.ieu qui vous teste pour savoir si vous aimez D.ieu de tout votre cœur et de toute votre âme » (Dévarim 13, 4). Ainsi, les juifs Le testèrent. Ils voulaient s’assurer que D.ieu les aimait réellement comme un père, et ne les punirait pas trop s’ils fautaient, comme un père qui pardonne. Ou, si Son affection n’était que superficielle, et qu’Il les châtierait au moindre faux-pas. Ainsi, ils testèrent D.ieu, jusqu’à atteindre l’ultime limite.
Mourir en l’honneur de D.ieu
En fait, leur acceptation de la Torah au Sinaï n’avait pas été définitive, car ils avaient été quelque part forcés de l’accepter (Chabbat 88/a). D.ieu les a alors soumis à un serment, avant d’entrer en Canaan, par lequel ils durent l’accepter à nouveau, cette fois sans contrainte (Dévarim 29, 9-14). Mais avant de l’accepter, ils voulurent s’assurer de Son amour. Si, durant leurs premières neuf tentatives, D.ieu manifesta Sa patience et Sa longanimité, la dixième fut quant à elle fatale, et ils furent tous condamnés : « Dans ce désert vous dépérirez, et là-bas vous mourrez » (Bamidbar 14, 35). Ce verset énonce deux condamnations : l’une dans le désert, la mort du corps, et l’autre « là-bas » – cham-chamaïm, au ciel, la mort de l’âme, comme dit Rabbi Akiva : « La génération du désert n’a pas de part dans le monde futur. Rabbi Eliézer dit : Elle a une part dans le monde futur et David déclare à son égard : “Réunissez-Moi Mes pieux qui ont expié pour Mon Alliance” » (Sanhedrin 110/b). « Rabbi Chimon ben Ménassia explique : cette génération accepta la mort pour M’honorer » (Talmud de Jérusalem Sanhedrin 10, 4, voir Pné Moché). Ils se sont sacrifiés pour démontrer Son amour, et pour montrer aux générations futures les limites à ne pas dépasser. Cependant, il est surprenant que pour Rabbi Eliezer, cette génération soit pieuse, alors que pour Rabbi Akiva, elle ne soit composée que des mécréants !
En vérité, Rabbi Akiva aurait pu les juger favorablement, mais comme dit Rabbi Yo’hanan : « Rabbi Akiva a mis à l’écart son jugement favorable » (Sanhedrin 110/b). Rabbi Akiva considérait qu’ils refusèrent la pitié. Ils ont dès lors atteint le summum, en servant D.ieu pendant les trente-neuf dernières années de leur existence dans le désert, sans aucun espoir de récompense. La Torah a juxtaposé l’histoire du ramasseur de bois à celle des explorateurs, pour nous faire savoir, que de la même manière que l’intention des juifs qui se rebellèrent était noble, ainsi l’intention du ramasseur fut noble, comme l’explique Yonathan ben Ouziel.