La visite du ministre israélien de la Défense Avigdor Liberman à Washington a permis de constater que celui-ci est très vite devenu l’interlocuteur privilégié de la nouvelle administration américaine. Un statut qui devrait considérablement renforcer politiquement ce « pragmatique » de la droite nationaliste. Analyse de Daniel Haïk.
Lors des entretiens qu’Avigdor Liberman a eus à Washington la semaine dernière avec le vice-président américain Mike Pence, avec le général James Mattis, nouveau Secrétaire d’Etat à la Défense, et avec les généraux du Pentagone, les principaux dossiers sécuritaires ont été largement débattus : la menace iranienne d’abord, qui devient, nous l’avons déjà souligné, la priorité des priorités pour l’administration Trump. Mais il a également été question de la situation en Syrie et de la volonté réaffirmée d’Israël de conserver sa souveraineté sur le Plateau du Golan dans le cadre d’un règlement dans ce pays déchiré. Liberman a mis en garde ses interlocuteurs face aux transformations initiées par le président libanais Michel Aoun, qui est en train de faire de l’armée régulière libanaise une sorte de filiale du Hezbollah, à la solde des iraniens. Le ministre israélien de la Défense et son homologue américain sont tombés d’accord sur la nécessité de renforcer les forces modérées au Proche-Orient afin de former une véritable coalition que ferait face aux visées expansionnistes de Téhéran dans la région et rétablirait un minimum de stabilité sur le terrain.
Mais au-delà de ces contacts importants qui confirment la profondeur de la coopération sécuritaire entre Jérusalem et Washington, on a remarqué la chaleur et l’enthousiasme avec lesquels Avigdor Liberman a été accueilli dans la capitale fédérale américaine. Officiellement, on a parlé dans l’entourage du ministre d’ambiance chaleureuse et amicale, mais il semble que, pour les dirigeants américains, cela aille plus loin et qu’ils aient délibérément décidé de faire de Liberman un interlocuteur privilégié dans leurs relations avec l’Etat d’Israël. Preuve en est : quelques jours avant cette visite à Washington, c’est le ministre qui avait lui-même affirmé en commission des Affaires étrangères et de la Défense de la Knesset qu’il avait reçu un message direct de l’administration Trump, selon lequel toute annexion par Israël de tout ou partie de la Judée et de la Samarie provoquerait une crise ouverte avec les Etats-Unis. Comme si les Américains avaient décidé de faire de Liberman leur principale courroie de transmission avec Israël.
Pourquoi donc les Américains ont-ils jeté leur dévolu sur le leader d’Israël Beitenou alors que celui-ci conserve une image de marque déplorable sur la scène internationale ?
A cette question, trois réponses complémentaires :
La première est que Liberman est un peu le reflet d’une partie des dirigeants de la nouvelle administration. C’est un véritable conservateur et un véritable nationaliste.
Mais, et c’est le point déterminant, c’est aussi un homme qui, une fois arrivé au pouvoir, sait se montrer pragmatique puisqu’il est favorable à la solution de « deux Etats ». Or, l’administration Trump a justement du mal à concilier son idéologie ultra-conservatrice avec le pragmatisme indispensable à la gestion d’une grande nation comme les Etats-Unis. C’est en ce sens que l’administration Trump est attirée par Liberman.
La seconde explication se rapporte plus spécifiquement à la recherche d’une solution au conflit israélo-palestinien. Pour l’administration Trump le règlement de ce conflit passera par des solutions originales et créatives. Or, celle proposée de longue date par Liberman répond à cette définition : Liberman est, certes, favorable à la création d’un Etat palestinien ; mais son règlement passe par un incontournable échange de terres. Pour Liberman, pas de « territoires contre la paix » mais plutôt « une paix basée sur un échange de territoires ». L’idée de Liberman d’inclure dans un futur Etat palestinien la zone du Triangle de Galilée – qui jouxte le nord de la Samarie et où vivent 45 % de ces Arabes israéliens qui se définissent avant tout comme des Palestiniens – fait partie de ces démarches qui pourraient séduire les Américains car, avec une certaine logique, elle permet de résoudre au moins une partie du problème démographique qui empoisonne le conflit. Voilà pourquoi dans sa quête d’une solution au conflit, le « deal » que propose Liberman peut être repris par Donald Trump et ses principaux lieutenants. Ce n’est certainement pas un hasard si, lundi 13 mars, quelques heures avant l’arrivée en Israël du nouveau conseiller spécial du président américain pour le Proche-Orient, Jason Greenblat, Liberman a provoqué les foudres des députés de la Liste Arabe Unifiée en affirmant que « dans un règlement du conflit israélo-palestinien, il n’y a aucune raison pour que Bassal Gates, Raed Salah, Ayman Oudé et Hanine Zouabi restent citoyens israéliens ».
Enfin, troisième explication : contrairement à l’hyperactif et turbulent leader du Foyer Juif, Naftali Benett, qui ne cesse de se focaliser sur le dossier délicat des implantations et qui considère qu’il faut saisir l’opportunité créée par l’arrivée de Trump à la Maison Blanche, pour annexer des territoires et construire dans les implantations, Liberman a adopté l’attitude d’un chef de file sérieux et responsable, et il est conscient que le nouveau président américain ne va pas tout changer. Cette approche lui a d’ailleurs permis de marquer des points non seulement auprès de la nouvelle administration américaine, qui pourrait aller jusqu’à le considérer comme un dauphin potentiel de Binyamin Nétanyaou, mais également sur l’échiquier politique israélien. En effet, entre un Naftali Benett, qui ne cesse de lui mettre des bâtons dans les roues avec Amona et les implantations, et un Liberman qui le conforte dans la mise en exergue de la menace iranienne, il va sans dire que le Premier ministre a vite fait son choix… en faveur du second.
Daniel Haïk