Les accusations fusaient toujours en ce début de semaine entre les pouvoirs publics israéliens et les députés arabes de la Knesset sur les causes précises de la mort d’Abu al-Kaenan, cet enseignant bédouin dont la voiture a tué le 18 janvier l’officier de police Erez Levi lors d’une opération de démolition de maisons illégales menée par les forces de l’ordre à Umm al-Hiram dans le sud du Néguev. Après que la Cour suprême d’Israël ait statué dans un arrêt pris en 2015 que les terrains sur lesquels la plupart des maisons de Umm al-Hiram avaient été construites de manière illégale sur des portions de terre domaniales (appartenant donc à l’Etat), le ministère de la Sécurité intérieure avait donné ordre à la police du Néguev d’appliquer les conclusions de cet arrêt et donc de mener une opération de démolition de ces logements – ce qu’elle fit le 18 janvier dernier, après avoir mené durant des semaines entières de longues et laborieuses négociations avec les familles bédouines concernées. Des accords devaient être justement conclus et signés le 17 janvier, veille de cette opération, avec les représentants du village qui acceptèrent de relocaliser les lots de ces dix maisons dans la ville bédouine d’Hura où ils pourraient disposer de nouvelles habitations entièrement neuves et déjà construites.. Allant à l’encontre de cette dynamique de conciliation, une importantefoule s’était regroupée dès l’aube du 18 janvier au sein du village, menée par un groupe de députés Arabes israéliens, avec à leur tête le N° 1 de la Liste arabe unifié, Ayman Oudeh, pour inciter les habitants à rejeter cet accord. Dès l’arrivée des policiers, ce rassemblement s’est transformé en véritable émeute avec d’abondants jets de pierre et de puissants pétards en direction des policiers. C’est au cours de cette opération que Yacoub Abu al-Kaenan, âgé de 47 ans, a foncé avec sa voiture sur des policiers en faction qui sécurisaient l’entrée du village, tuant sur le coup l’un d’eux, le sergent Erez Levin, 34 ans, marié et père de deux enfants.
Le Shin-Bet va enquêter sur les liens supposés d’al-Kaenan avec l’Etat islamiqueD’après la police, les forces de sécurité auraient tiré en l’air au moment où la voiture d’al-Kaenan accélérait – ce que ne semble pas clairement confirmer des images de la scène tournée dans le ciel par un hélicoptère de la police. Un clip qui semble donc plutôt avaliser la thèse des manifestants selon laquelle la police aurait tiré en direction du conducteur « en train de perdre le contrôle de son véhicule parce que la police avait tiré sur lui avant »…Pour le ministre de la Sécurité intérieure, Gilad Erdan, et les responsables de la police, cet incident est bel et bien un attentat terroriste. Erdan devait ainsi écrire au contrôleur général de l’Etat : « Cet incident ne s’est pas produit dans le vide et n’est pas indépendant des événements qui l’ont précédé. Car avant cette attaque, une incitation malicieuse et persistante a fait son chemin, initiée par des membres de la Knesset. Ils n’ont manqué aucune occasion d’enflammer et de radicaliser les résidents de la communauté avant l’évacuation en ne s’empêchant pas d’appeler à la violence contre les forces de l’ordre la mettant en œuvre. (…) Les déclarations de ces députés, avant et après l’événement, attestent bien de leur intention d’inciter les résidents à la violence ».Après avoir chargé le Shin-Betd’enquêter sur les liens supposés d’al-Kaenan avec l’Etat islamique, Erdan a donc demandé le 20 janvier au procureur général d’ouvrir une enquête sur trois députés arabes (Ayman Odeh, Jamal Zahalka et Hanin Zoabi) qui ont, selon lui, poussé aux violences ayant causé la mort du policier Levy. Réagissant à ces accusations, Odeh, qui se trouvait lui-même à Umm al-Hiran où il a été légèrement blessé à la tête lors des affrontements, a accusé Erdan d’être lui-même « coupable d’incitation » : « Ce ministre est un incitateur et un menteur pathologique ! (…) Nous exigeons une enquête exhaustive sur le déroulement des événements, et particulièrement sur la conduite de la police dans la cruelle et violente évacuation d’Umm al-Hiran. » En attendant, cet incident a recommencé à enflammer le secteur arabe israélien dont quelque 10 000 membres ont manifesté le 21 janvier dans la ville d’Arara située dans la région du Triangle, près de Kfar-Saba. Quant à la famille d’Al-Kaenan, elle a exigé que le Département des Affaires internes du ministre de la Justice ouvre une enquête sur les circonstances de sa mort.
Mais quelles que soient les conclusions de la commission d’enquête sur cet incident, il est clair en tous cas que les policiers ont hésité à tirer à temps contre cette voiture qui fonçait sur eux : nouveau symptôme de certaines retombées douteuses de l’affaire du soldat Azaria ? Richard Darmon