Rav Binyamin Beressi
La Torah relate dans notre paracha : « Essav revint des champs fatigué. Il dit à Yaacov : “Laisse-moi avaler, je te prie de… ce mets rouge.” (…) Yaacov lui dit : “Vends-moi d’abord ton droit d’aînesse.” Essav lui répondit : “Certes ! Je marche à la mort ; à quoi me sert donc le droit d’aînesse ?” (…) et il vendit son droit d’aînesse à Yaacov » (Bérechit XXV, de 29 à 33). Rachi explique que ce droit d’aînesse connaîtra des variations : par la suite, le culte ne restera pas toujours l’apanage des aînés. Essav a donc demandé : « Quelle est la nature de ce culte ? » Et Yaakov lui a répondu : « Il y a tant de précautions à prendre, il comporte tant de sanctions, qui peuvent aller jusqu’à la mort ». Essav dit alors : « Jusqu’à la mort ? S’il en est ainsi, qu’en ai-je besoin ? ». Et « Yaacov servit à Essav du pain et un plat de lentilles ; il mangea et but, se leva et ressortit. C’est ainsi que Essav dédaigna le droit d’aînesse » (id. XXV, 34). N’est-il pas étonnant que le droit d’aînesse puisse être vendu ? La Guémara (Zéva’him 112/b) enseigne que jusqu’à l’inauguration du Tabernacle, le service divin était le fait des premiers-nés. Par la suite, le droit d’offrir des sacrifices fut réservé aux Cohanim. Or, un Cohen, nous le savons bien, ne peut en aucun cas « vendre » son statut de Cohen, ni le perdre. Comment Essav a-t-il donc pu vendre le sien, et Yaacov l’acquérir ? A la question : « D’où sait-on que le service au Temple était d’abord réservé aux premiers-nés ? ». Le Talmud de Jérusalem (Méguila ch.1, 11) répond : « Du verset : “Car tout premier-né M’appartient chez les enfants d’Israël… le jour où Je frappai tous les premiers nés dans le pays d’Egypte, Je Me les consacrai » (Bamidbar VIII, 17). Autrement dit, le statut immuable des premiers-nés n’a commencé qu’après la dernière plaie d’Egypte. Antérieurement, tout un chacun pouvait offrir des sacrifices, mais les premiers-nés avaient la priorité, et en quelque sorte le rôle de chef de famille. Yaacov, en achetant le droit d’aînesse, a acheté le privilège qui lui est associé, un droit de priorité, et non pas la sainteté du premier-né, qui lui sera quant à elle spécifique à partir de la sortie d’Egypte. Autre question apparaît dans ce chapitre. Lorsque Rivka demanda à Yaacov d’aller recevoir la bénédiction de son père Its‘hak, il est dit : « Rivka prit les plus beaux vêtements d’Essav, son fils aîné, lesquels étaient sous sa main dans la maison et en revêtit Yaacov son plus jeune fils » (Béréchit XXVII 15). Que faisaient donc les vêtements d’Essav chez sa mère ? N’avait-il pas plusieurs femmes ? N’avait-il donc pas confiance en elles ? Rachi cite le Midrach Rabba (65,16) : « Parce qu’il connaissait leur mauvaise conduite et se méfiait d’elles, craignant qu’elles ne les volent ». Mais alors, comment Rivka a-t-elle pu, tout d’un coup, briser la confiance qu’Essav avait en elle ? Ces « plus beaux vêtements d’Essav, son fils aîné » étaient en fait les habits que D.ieu avait donnés à Adam Harichon au Gan Eden, et c’est avec eux qu’il convenait d’offrir des sacrifices, tel le Cohen Gadol revêtu de ses habits. Or, puisque Yaacov avait acquis les droits du service divin, c’était à lui de porter ces habits ! Rivka ne trompait donc pas Essav en les remettant à Yaacov, car ces habits lui revenaient de droit. Le port des habits spécifiques, comme ceux du Cohen Gadol, est ainsi lié au privilège d’offrir les sacrifices, et donc au statut de premier-né. Yaacov dira plus tard à Yossef, son premier né de Ra’hel : « Je te promets une portion supérieure à celle de tes frères, portion conquise sur l’Armorréen, à l’aide de mon épée et de mon arc » (id. XLVIII, 22). Et le Midrach Rabba (97, 1) nous dit que cette portion, c’est le droit d’aînesse et les habits d’Adam Harichon, que Yaacov a reçus des mains d’Essav. En effet, en achetant ce privilège, il avait reçu automatiquement les habits de son frère pour servir et présenter des sacrifices.