A l’heure où nous bouclons ce journal, c’est-à-dire mercredi matin à 9 heures, les résultats définitifs de la seconde consultation électorale de l’année 2019 (et la troisième, avec les Municipales, de l’année hébraïque 5779) ne sont pas encore connus mais la tendance est claire : aucun des deux grands blocs « Droite et Religieux », « Centre-gauche avec le soutien des partis arabes », n’est en mesure de former un gouvernement restreint. Et cela nous conduit à tenter d’emblée, avec les précautions d’usage et en utilisant le conditionnel, de tirer quelques conclusions importantes
1. Pas de coalition de Droite restreinte : Binyamin Nétanyaou n’a pas rassemblé autour de lui les fameux 61 députés qui lui auraient permis de gouverner avec ses partenaires naturels que sont les orthodoxes du Judaïsme de la Torah et du parti Shass et les élus de la droite nationaliste sioniste et religieuses rassemblés dans Yamina. Si dans la journée de mercredi aucun retournement dramatique ne devait se produire, ce serait donc là un échec certain pour un Premier ministre que l’on croyait réellement invincible dans les confrontations électorales et qui depuis 1999, face à Ehoud Barak, n’avait pas connu de tel revers. Comment l’expliquer ? L’une des principales raisons est que dans la perception de l’opinion publique israélienne, c’est Binyamin Nétanyaou et non Avigdor Liberman qui a été considéré comme le principal responsable de la crise constitutionnelle actuelle et de la tenue de ces élections anticipées, un peu plus de cinq mois après les élections pour la 21e Knesset. Et à la surprise générale, c’est Mr Nétanyaou qui a été sanctionné plutôt que le leader d’Israël Beiténou. Seconde explication : l’électorat du Likoud n’a pas répondu favorablement à la campagne du Guevalt (Au secours) lancée par le Premier ministre. Binyamin Nétanyaou, il faut le reconnaître est une formidable « machine » de campagne électorale, mais ce qui a marché de justesse en 2015 (61 députés sans Liberman) et qui n’a pas vraiment réussi en avril dernier avec un total de seulement 60 députés, a semblet-il échoué cette fois ci puisque le bloc de droite selon les données dont nous disposions mercredi matin gravitait autour des 55-56 mandats. Cependant, l’échec n’est pas total et le Premier ministre a déjà su dans le passé se sortir de situation politique bien plus complexe. Le discours qu’il a prononcé mercredi vers 3 heures du matin le prouve. Dans cette intervention, il a apparu déterminé : « Nous allons former un gouvernement sioniste fort qui empêchera la création d’un gouvernement antisioniste dangereux ». A travers cette petite phrase, Binyamin Nétanyaou entend saper la légitimité d’une coalition de centre-gauche conduite par Gantz et qui, surtout, reposerait sur les voix des partis arabes…
2. Le succès de Gantz et de Bleu Blanc : c’est presqu’incroyable mais c’est vrai : Benny Gantz, ce sympathique général, ancien chef d’état-major qui nous a habitués ces derniers mois à des discours relativement soporifiques, parsemés de gaffes, a réussi à séduire plus d’un million d’électeurs avec un message simple : tout sauf Bibi. Et ce Mr Normal, trop normal dirons certains, pourrait bien devenir dans quelques semaines le prochain Premier ministre de l’Etat d’Israël tout simplement parce qu’il était là au bon moment. Il faudra incontestablement approfondir les causes de cet exploit.
3. Le rôle du Président Rivlin : C’est l’un des véritables casse-tête pour le Premier ministre. Si le scénario d’une parité totale non seulement entre Bleu-Blanc et Likoud (32 mandats chacun) mais entre les deux blocs (autour des 55-56) se confirmait, le Président Rivlin pourrait cette fois ci, s’impliquer plus directement dans la recherche d’une solution rapide pour sortir le pays de la crise politique dans laquelle il se débat. Réouven Rivlin l’a dit lors de la Convention de la chaîne 12 : il a été surpris que le Premier ministre ne lui restitue pas le 29 mai dernier à minuit le mandat qu’il lui avait confié pour former une coalition majoritaire. Et ces derniers jours, Réouven Rivlin a répété qu’il fera tout pour qu’il n’y ait pas de 3e consultation électorale. On peut donc en déduire que cette fois ci, le président de l’Etat sera très présent dans les tractations autour de la désignation de celui à qui il confiera le soin de former un gouvernement. Rivlin pourrait s’inspirer de l’exemple donné par son prédécesseur ‘Haïm Hertzog après les élections de 1984. A l’époque la parité était totale entre la Gauche (conduite par Shimon Pérès) et la Droite (conduite par Its’hak Shamir). Le président Hertzog avait poussé les deux leaders à former un gouvernement d’union nationale avec rotation. Il y a fort à parier que le président Rivlin ira dans ce sens et que bon gré mal gré l’on se dirigera vers un gouvernement d’union Likoud-Bleu-Blanc comme l’a souhaité Avigdor Liberman.
4. La victoire de Shass… et son revers : Arié Derhy n’a cessé de le répéter durant la campagne électorale : « Nous obtiendrons plus de mandats que les instituts de sondages ne nous le prédisent. Et apparemment les résultats lui ont donné raison ; Shass devrait obtenir après le décompte de toute les voix un 9e mandat et même peut-être, on l’espère dans l’entourage du leader, un dixième. La joie qui régnait dans la nuit de mardi à mercredi au sein du QG du parti séfarade était probablement la plus éclatante parmi l’ensemble des formations politiques israéliennes y compris Bleu-Blanc qui avait pourtant de bonne raisons de se réjouir. Ce succès est le résultat d’une campagne habilement menée et qui a su « profiter » de la période stimulante des Seli’hot pour mobiliser à la fois l’électorat ‘harédi séfarade, celui des yéchivot et collelim, mais également un électorat plus traditionaliste qui s’était écarté de Shass après la disparition en 2013 du gaon rabbi Ovadia Yossef zatsal. Qui aurait pu imaginer que 6 ans plus tard le parti obtienne l’un de ses meilleurs scores électoraux ! Ce succès a aussi un éclairage plus positif encore pour la communauté francophone d’Israël puisque le candidat francophone de Shass, Yossi Taiëb était positionné à la 12e place de la liste électorale et qu’avec la démission annoncée de deux des députés sortants du parti, il peut raisonnablement espérer entrer dans la 22e Knesset ce qui serait inédit dans l’histoire politique d’Israël. Cependant, cette réussite s’accompagne d’appréhensions. En effet, Arié Derhy a clamé durant toute la campagne son soutien inconditionnel à Binyamin Nétanyaou (« Bibi a besoin d’un Arié (lion) fort »). Or si ce dernier n’est pas désigné pour former la coalition et si l’on s’achemine vers un gouvernement d’union nationale laïc, comme le souhaite Liberman et même Benny Gantz, alors Shass risque d’en pâtir et pourrait bien se retrouver dans l’opposition. Mais il faut là encore être prudent et patient : Arié Derhy est l’un des hommes politiques israéliens les plus expérimentés et les plus malins et il est certain qu’il fera tout pour maximaliser dans un gouvernement le poids grandissant de son parti. A ce succès de Shass se rajoute également l’excellent score obtenu par le Judaïsme unifié de la Torah qui conserve ses 8 députés : concrètement le bloc ‘harédi à la Knesset pourrait compter entre 16 et 18 députés et c’est en soi un exploit, surtout après la campagne de dénigrement honteuse lancée par certains contre la communauté orthodoxe. Mais là encore pour rester influent, le bloc ‘haredi devra trouver ou retrouver la de la coalition. Ce qui ne sera pas une mince affaire si Binyamin Nétanyaou n’est plus dans les environs.
5. L’échec de Shaked : C’est l’un des paradoxes les plus étonnants de ces élections (et des précédentes) : On dit d’Ayelet Shaked qu’elle possède le talent nécessaire pour devenir Premier ministre. On sait qu’elle est très populaire et même adulée dans une partie de l’opinion publique. Comment se fait-il alors que cette passionaria essuie, à 6 mois d’intervalle, deux échecs électoraux cuisants : le premier en avril dernier en ne parvenant pas à faire passer à son parti la Nouvelle Droite le seuil d’éligibilité, et le second ce mardi en n’obtenant à la tête des formations du sionisme religieux réunies qu’une moyenne (provisoire) de 7 mandats ? Difficile de répondre à chaud et brièvement à cette question. Il est certain par exemple que la manœuvre répétée de siphonage des voix du sionisme religieux par Nétanyaou a grandement contribué au score médiocre de Yamina. Mais il ne fait aucun doute que ce double échec risque d’entraver sa course vers la présidence du Conseil. D’autres conclusions, plus posément, dans notre édition suivante.
Daniel Haik