Pour le politologue Jean-Philippe Moinet, fondateur de La Revue civique et ancien président de l’Observatoire de l’extrémisme, la « dédiabolisation » affichée par la fille de Jean-Marie Le Pen n’est qu’un leurre. Entretien.
-Haguesher : Frédéric Chatillon, mis en examen pour escroquerie, gère la communication et une grande partie des flux financiers du FN. C’est un admirateur d’Hitler et un antisémite obsessionnel. Comment Marine Le Pen peut-elle tolérer une telle promiscuité ?
-Jean-Philippe Moinet : Ce n’est pas si paradoxal que cela en a l’air. On oublie aujourd’hui que la fille de Jean-Marie Le Pen a travaillé dans l’ombre de son père pendant près de vingt-cinq ans. Les positions antijuives du « menhir » ne l’ont jamais incommodée ! Son rejet « sincère » de l’antisémitisme, son caractère « personnellement irréprochable » (pour reprendre l’expression de l’ancien président du CRIF Roger Cukierman) sont sujets à caution. Disons que c’est une volte-face très tardive. D’autre part, Frédéric Chatillon est l’un des meilleurs amis de Marine Le Pen depuis trente ans. Même si elle estime qu’il va trop loin, elle ne peut le trahir.
– Le Front a tout de même mis sur la touche, à la mi-mars, le leader niçois du parti, Benoît Loeuillet, pour propos négationnistes. C’eût été inimaginable autrefois…
-C’est exact, mais méfions-nous des effets d’affichage. La présidente du FN a aussi exclu Jean-Marie Le Pen après ses déclarations antijuives dans l’hebdomadaire maurrassien Rivarol. La rupture était consommée, paraît-il. Pourtant, elle vient d’accepter de son père un soutien financier pour sa campagne. La vérité est qu’elle n’est pas allée du tout au bout de la « dédiabolisation » comme l’ont fait d’autres partis populistes européens, le MSI italien par exemple : héritier du fascisme, c’est à l’heure actuelle un mouvement de droite libéral ami… d’Israël. L’opinion française et la plupart des médias se font berner par certains discours apaisants de Marine Le Pen, car elle ne prend ses distances avec la ligne dure du fondateur du Front et des militants « historiques » nostalgiques de Vichy que lorsque cela l’arrange.
– A-t-elle le choix ?
– C’est toute la question ! Elle doit donner en permanence des gages à l’aile droite du parti, celle des catholiques intégristes et antisémites, des vieux pétainistes qui ne jurent que par sa nièce et rivale Marion Maréchal-Le Pen. Si elle se déporte trop vers sa gauche et une plus grande modération, elle risque de perdre son pouvoir. Elle est prisonnière de l’histoire factieuse et violente du nationalisme hexagonal et ne peut s’en détacher complètement. Cette impasse la conduit dans le mur.
– Le pouvoir lui serait donc interdit, malgré sa cote impressionnante dans les sondages ?
– La France résistera. Marine Le Pen ne sera pas élue. Mais si elle dépasse 40 % des suffrages au second tour de la présidentielle, il y aura de nombreux ralliements et une recomposition des forces conservatrices et réactionnaires. Le vrai danger est là.
Propos recueillis par Axel Gantz