Au lendemain des élections du 17 septembre, lorsqu’il s’est avéré que l’option d’un gouvernement restreint conduit soit par Nétanyaou soit par Gantz ne paraissait pas réaliste, les observateurs se sont souvenus, avec une forme de nostalgie appuyée, du gouvernement d’union nationale Pérès-Shamir qui avait conduit le pays entre 1984 et 1988. L’occasion de revenir sur ce type de gouvernement qui, plus d’une fois, a sorti l’Etat d’Israël d’un dangereux chaos politique, semblable à celui dans lequel il se retrouve embourbé actuellement. Rappel historique.
Certains historiens affirment que, de facto, le premier gouvernement d’union nationale de l’histoire d’Israël a vu le jour en même temps que l’Etat hébreu, le 14 mai 1948 et s’est prolongé jusqu’en mars 1949 avec la fin de la guerre d’Indépendance et les élections pour la 1ère Knesset. Mais, dans la perception populaire, le premier véritable gouvernement d’union nationale s’est formé le 1er juin 1967, à l’approche de la Guerre des Six Jours. A cette époque, la psychose d’une défaite qui risquait de sonner le glas de l’Etat juif avait poussé le Premier ministre Levy Eschkol à faire entrer dans son gouvernement le plus célèbre des généraux israéliens, Moché Dayan au poste de ministre de la Défense. Face aux défis dramatiques qui s’offraient à l’Etat d’Israël, Levy Eshkol dans une volonté d’unité avait formé un gouvernement d’urgence nationale dans lequel il avait également intégré aux postes de ministres sans portefeuille, le leader du Ga’hal (ancêtre du Likoud) de l’époque Menahem Begin et Yossef Sapir. Ce gouvernement avait prouvé une telle efficacité qu’il s’était prolongé bien au-delà la victoire de juin 67, puisqu’il était resté en fonction même après le décès de Levy Eshkol et l’arrivée au pouvoir de Golda Meïr en 1969. Officiellement, ce gouvernement d’union était resté en place en raison du prolongement de la guerre d’usure sur les rives du Canal de Suez. En août 1970, parallèlement à la fin de ce conflit, les ministres Begin et Sapir avaient quitté ce gouvernement.
Le second gouvernement d’union et le plus célèbre dans l’histoire politique d’Israël a vu le jour à la suite des élections de 1984. Alors que les sondages donnaient le parti travailliste de Shimon Pérès (Maarakh) nettement gagnant, les résultats ont été plus favorables au Likoud conduit alors par Its’hak Shamir, et ils ont entraîné une quasi parité entre le bloc de gauche (Travaillistes) et le bloc de Droite (Likoud et Orthodoxes). Le président ‘Haïm Hertzog a d’abord confié à Shimon Pérès le soin de former un gouvernement restreint mais celui-ci a échoué dans sa mission. Le président de l’Etat a donc exercé des pressions sur Pérès et Shamir afin qu’ils acceptent de former un gouvernement d’union doté d’une originalité sans précédent : une rotation pour le poste de Premier ministre avec pour les deux premières années Shimon Pérès et pour les deux dernières années Shamir ! Ce gouvernement est considéré comme l’un des plus stables de l’histoire politique d’Israël et il a permis par exemple de faire sortir l’armée israélienne du Liban (1985) et d’endiguer l’inflation galopante (300 %) qui frappait le pays. Lorsqu’il a fallu procéder au changement de Premier ministre en 1986, Shamir inquiet que Shimon Pérès ne lui cède pas la place avait dépêché Dan Méridor auprès d’Its’hak Rabin qui était le puissant ministre de la Défense de ce gouvernement. Méridor raconte qu’il est arrivé au domicile de Rabin avec une question : « Est-ce que les travaillistes respecteront l’accord de rotation ? » Rabin lui a répondu : « A votre avis, entre un gouvernement dirigé par Pérès et un dirigé par Shamir, pour qui pensez-vous que mon cœur balance ? (Sous-entendu : je fais plus confiance à Shamir qu’à Pérès). Méridor était revenu vers Shamir en lui disant qu’il était convaincu que les Travaillistes allaient respecter l’accord. Pérès a démissionné et Shamir est devenu Premier ministre. Cette stabilité politique avait été tellement nette à l’époque qu’au lendemain des élections de 1988, les Travaillistes qui avaient obtenu 40 mandats et le Likoud qui n’en avait obtenu que 39 ont formé un nouveau gouvernement d’union, cette fois sous la direction unique de Shamir. C’est ce gouvernement qui a été destitué à la suite de ce que Rabin avait qualifié de manœuvre puante (enclenchée par Pérès afin de gouverner seul avec le soutien de Shass d’Arié Derhy). Finalement, la manœuvre a échoué et Shamir a conduit un gouvernement restreint jusqu’en 1992 après la victoire du parti travailliste dirigé alors par Rabin. C’est la division de la droite nationaliste religieuse qui avait alors provoqué la chute de Shamir et la montée d’un gouvernement de gauche, qui, l’année suivante, initiera les accords d’Oslo… Le prochain gouvernement d’union nationale sera formé, en mars 2001, par Ariel Sharon qui avait été élu au suffrage universel direct pour tenter de restaurer un climat de sécurité battu en brèche par la douloureuse seconde Intifada. Le Likoud ne comptait alors que 19 députés mais Sharon avait compris qu’une union nationale était indispensable pour que l’opinion publique puisse faire face à l’adversité des Palestiniens. En 2003, Sharon a conduit un gouvernement de centre-droite influencé par les ultra-laïcs de Shinouï (Tommy Lapid) mais en 2005 à la suite de la défection de plusieurs partis liée au plan de retrait de Gaza, plusieurs députés travaillistes ont rejoint le gouvernement et ont voté en faveur de l’expulsion du Gouch Katif. Sous Binyamin Nétanyaou en 2009, le parti travailliste conduit par Ehoud Barak ne comptait que 13 députés mais après que Barak a promis de ne pas se joindre à Nétanyaou, il s’est rétracté et est entré avec son parti dans la coalition au poste de ministre de la Défense. Enfin l’ultime gouvernement d’union qui ait vu le jour en Israël est celui qui a rassemblé, le Likoud de Nétanyaou et le Parti Kadima conduit alors en 2012, par Chaoul Mofaz. Une union éphémère qui ne durera que 2 mois et provoquera ensuite l’éclatement de Kadima.
Daniel Haik