C’est un lieu de culte unique en France : la synagogue OhelYaacov, fondée en 1957 par Nissim Chamlazal à destination d’une communauté venue initialement d’Egypte et présidée aujourd’hui par son fils David, est située en plein cœur des quartiers nord de Marseille, dans ce 14e arrondissement à la réputation… plus que douteuse. Ici, les musulmans sont ultra-majoritaires et la choule se trouve à proximité immédiate de treize mosquées. Quelle est la situation sécuritaire pour les quelque cinquante fidèles du Chabbat matin et les familles juives du secteur ? Eh bien, le rav Haïm Bendaoqui officie ici depuis 1997 n’a recensé aucun incident antisémite au cours de la décennie écoulée. Les relations interconfessionnelles sont exceptionnelles dans les environs, malgré les problèmes sociaux et trafics en tous genres qui y prolifèrent.
C’est pourquoi le grand rabbin de France, Haïm Korsia, a tenu à visiter le bâtiment lors de son récent déplacement de trois jours dans la cité phocéenne. Chalia’htsibour occasionnel dans la matinée du dimanche 29 avril, il a salué après la prière l’exemplarité de cette communauté. « Le judaïsme doit exister partout, a-t-il dit, pourmoi il n’y a ni grande ni petite synagogue ». Le président du Consistoire de Marseille, Michel Cohen-Tenoudji, s’est exprimé dans le même sens et le ravBendao a souligné que les Juifs ne sauraient être classés « en première ou seconde zone, car chacun d’entre nous a besoin d’attention, que l’on réside ici ou dans les beaux quartiers ».
La taille du minyan n’a pas varié ces dernières années. Des familles ont certes plié bagages, mais en nombre relativement limité. « Et ceux qui partent parce qu’ils en ont les moyens et ressentent un malaise compréhensible, en tant que Juifs, dans cette zone défavorisée sont surtout influencés par les médias, avance le ravBendao. Ils entendent parler des attentats, des crimes antisémites, des tensions en Seine-Saint-Denis, dans le Val-d’Oise… et cela leur fait peur. Ils choisissent de réaliser leur alyah ou optent pour un arrondissement bourgeois, ou encore montent à Paris. Mais c’est affaire de psychologie. Concrètement, pas un n’a subi d’agression sérieuse en raison de sa religion dans le 14e, pas même lorsque l’actualité proche-orientaleexacerbait les passions politiques ! »
Les contacts avec les imams sont permanents et le rabbin fréquente volontiers la mosquée voisine des Bleuets. Les jeunes jouent ensemble au football. Desmaraudes conjointes judéo-arabes organisées par une association du quartier Font-Vert viennent en aide aux nécessiteux de toutes confessions. Parmi eux, des fidèlesd’OhelYaacov (ouvriers, chauffeurs de bus, petits artisans, chômeurs…) qui ont du mal à boucler leurs fins de mois, surtout en période de fête. Les « soirées pizza » et rassemblements divers se succèdent entre les deux communautés. Le ton monte très vite, les musulmans ne se privent pas de critiquer le gouvernement israélien en des termes souvent abrupts ou cinglants, « mais c’est une violence verbale spontanée qui canalise la colère de chacun, commente notre interlocuteur. La violence physique, le racisme, la haine à l’égard des individus sont absents. Et notrepratique religieuse est profondément respectée, comme nous respectons celle des autres ».
Il est vrai qu’à Marseille, on est chauvin et marseillais avant tout : cela crée des liens. L’ambiance méditerranéenne suscite un climat plus apaisé qu’ailleurs en France,même s’il serait illusoire de croire que l’antisémitisme est inexistant dans la métropole provençale. L’engagement du ravBendao l’a sans doute neutralisé autour de sa synagogue. Sans oublier l’indéniable solidarité « de classe » entre gens modestes, presque tous ici originaires du Maghreb.
Pourtant, on l’a dit, il y a des départs. Si lekahal reste stable, c’est grâce au kirouvdu rabbin et de ses fils aînés, Chalom (dix-neuf ans) et Israël (dix-sept). Une seconde nature ! Ils font du porte-à-porte à l’approche des yamimtovim, vérifient lesmézouzot et réussissent à convaincre tel ou tel de rejoindre la communauté et participer à la tefila collective qu’il avait délaissée jusqu’alors. « Quand un Juif est malade dans notre secteur, un minyan se déplace, apporte le séfer Torah et prie dans son appartement. Ce genre d’habitude n’est pas étranger aux résultats que nous obtenons en matière de techouva », explique non sans fierté le ravBendao, dont la chaleur humaine attire en outre quelques amis venus de plus loin dans la ville, qui marchent parfois une bonne demi-heure aller et une demi-heure retour pour prier le Chabbat à OhelYaacov.
Sa méthode pédagogique à destination des enfants inscrits au talmud Torah est également exceptionnelle : le rav ne donne que des cours particuliers. Il enseigne àtrois élèves… à domicile et fait venir les six autres à des moments différents pourqu’ils apprennent les rudiments dukodech, face-à-face avec leur maître et au moyen detableaux numériques, de façon aussi efficace qu’en école juive. Au demeurant, la plupart des foyers n’ont pas besoin du talmud Torah : ils envoient leur progéniture àYavné ou à l’ORT.
Notons encore que les deux classes d’oulpan de la kehila accueillent vingt-six personnes au total.
Ces activités et les aides sociales octroyées par la synagogue sont rendues possibles, entre autres, grâce au soutien financier du Beth Habad Ahavat’Hinam du rav Léon Madar – connu pour sa générosité -, situé dans un quartier nettement plus favorisé du 8e arrondissement.
Axel Gantz