Yonathan Bendennoune
Dans notre paracha, la Torah revient une fois de plus sur le thème du Chabbat, en énonçant un paragraphe que nous connaissons tous : « Véchamérou Béné Israël…– Les enfants d’Israël garderont le Chabbat » (Chémot 31, 16-17).
Le Talmud rapporte un célèbre enseignement au nom de Rabbi Chimon Bar Yo’haï : « Si Israël observait deux Chabbatot, il serait aussitôt délivré [de l’exil] » (Chabbat 118/b). Pourquoi précisément « deux » Chabbatot ? Et pourquoi cette mitsva spécifique nous garantira-t-elle la fin de l’exil ?
Le Chabbat et les fêtes
Pour mieux comprendre ce sujet, il nous faut revenir sur le principe du Chabbat, et sur ce qui différencie ce jour de repos des autres fêtes juives. Dans nos prières, nous « sanctifions » le Chabbat par cette formule : « Béni sois-Tu Éternel, qui sanctifie le Chabbat. » En revanche, pour les jours de fête, nous utilisons une formule différente : « Béni sois-Tu, Éternel, qui sanctifie Israël et les périodes [sacrées de l’année]. » Cette distinction entre le Chabbat et les jours de fête s’explique simplement. Le Chabbat est également appelé « le Chabbat de la Création » – c’est-à-dire que lors de la Création du monde, D.ieu a établi que le septième jour de la semaine serait sacré (Béréchit 2, 3). Depuis lors, chaque septième jour est empreint de cette sainteté, qui a été établie par le Créateur dès les prémices du monde.
En revanche, la fixation des jours de fête fonctionne d’une tout autre manière. La Torah énonce à ce sujet : « Voici les solennités de l’Éternel, convocations saintes, que vous désignerez en leur saison » (Vayikra 23, 4). Ce verset nous apprend que c’est au peuple juif qu’il incombe de « désigner » les jours de fête. Ainsi, à l’époque du Sanhédrin, c’était lui qui déclarait le commencement de chaque nouveau mois, et qui déterminait ainsi tout le calendrier juif. Encore aujourd’hui, le « calendrier perpétuel », sur la base duquel sont fixés les néoménies et les jours de fête, émane du même principe : selon la tradition, c’est le Sage Rabbi Hillel III qui, en arrêtant les calculs du calendrier hébraïque, a sanctifié tous les futurs mois jusqu’à la fin des temps.
En substance, cela revient à dire que la fixation des jours de fête a été confiée aux hommes, tandis que le Chabbat est l’apanage du Maître du monde, qui sanctifie le septième jour de la semaine sans nulle intervention humaine.
Le Chabbat des jours profanes
Cela étant, le Zohar (sur Kora’h)rapporte une notion absolument inédite au sujet du Chabbat : « La Chékhina [Présence divine] ne quitte jamais Israël pendant tous les Chabbatot et les jours de fête, ni même pendant les Chabbatot des jours profanes [‘hol] » (Raya Méhemna 179/b). Quels sont donc ces « Chabbatot des jours profanes » ? Le Zikhron Mena’hem explique que de fait, il existe deux types de Chabbatot, l’un établi depuis la Création du monde, et le second étant le fait exclusif des hommes.
Le Talmud (Yoma 81/b) enseigne à cet égard : « D’où apprenons-nous l’obligation de faire déborder les moments sacrés sur les jours profanes ? De l’expression : “Vous chômerez votre chômage” (Vayikra 23, 32). » En clair, si le Chabbat et les jours de fête « tombent » d’eux-mêmes au coucher du soleil, nous avons également la possibilité d’avancer l’heure de leur entrée ou de retarder leur sortie. Nous pouvons ainsi « accepter » le Chabbat avant l’heure réglementaire, ou retarder son issue en prenant sur nous, par une décision personnelle, de respecter toutes ses lois même pendant ces moments. Cette idée est nettement soulignée par le verset précité : « Vous chômerez votre chômage » – autrement dit, nous pouvons faire nôtre une partie du chômage du Chabbat (auquel cette déduction fait spécifiquement référence). Ces temps additionnels sont proprement ceux de l’homme, à qui est imparti le privilège d’accroître la mesure du Chabbat établi par le Maître du monde lors de la Création. Ce sont là les « Chabbatot des jours profanes », pendant lesquels la Chékhina repose sur le peuple juif pas moins que durant le Chabbat stricto sensu.
Observer et aspirer
Cette idée prend une connotation bien plus forte à la lumière du verset de notre paracha, cité en exergue : « Véchamérou Béné Israël… » La notion de chemira renferme deux sens. Premièrement, il s’agit littéralement de « garder » le Chabbat, c’est-à-dire de respecter ses lois en s’abstenant d’y effectuer des travaux défendus. En outre, ce terme signifie également « attendre », « aspirer » ou encore « espérer » en la venue d’une chose. Cette acception se retrouve notamment dans le verset relatant que Yaacov, après avoir entendu le récit des songes de son fils Yossef, « chamar la chose » (Béréchit 37, 11) – il a « attendu » et espéré que ces rêves prémonitoires se réalisent (Rachi).
« Garder le Chabbat » signifie donc que nous devons non seulement le respecter, mais que nous devons aussi attendre avec impatience qu’il arrive, au point que nous le devançons et l’accueillons même avant l’heure. Cette attitude reflète en vérité tout un état d’esprit : le Chabbat étant un jour exclusivement consacré à notre relation avec D.ieu, le fait de l’attendre avec impatience témoigne de notre engouement à nous lier à Lui et à vivre exclusivement pour Lui – comme ce sera le cas à l’ère messianique, lorsque nous serons délivrés des exils. Visiblement, c’est là le sens des « deux Chabbatot » dont parle Rabbi Chimon Bar Yo’haï : il ne s’agit pas littéralement de deux Chabbatot consécutifs, mais de ces deux qualités de Chabbat donc nous avons parlé – le Chabbat de la Création et celui que chaque individu peut instaurer dans son existence. En veillant au respect de ces «deux Chabbatot », nous témoignons de notre volonté de pénétrer dans le Royaume de D.ieu – ce qui suscitera infailliblement la délivrance.