Entre les trois, mon cœur balance
Le Chabbat qui arrive s’annonce lumineux à plus d’un égard. Et pour cause, outre l’aura si particulière qui s’invite dans nos foyers à l’arrivée de notre invitée hebdomadaire qu’est la Reine du Chabbat et des deux bougies qui saluent son passage, deux autres faisceaux de lumière viendront illuminer l’obscurité hivernale ; d’abord, celle des six lueurs de ‘Hanouka dansant allègrement à nos portes et à nos fenêtres, mais aussi, celle de ce timide croissant de lune annonçant l’avènement du mois de Tévèt. Or ce foisonnement de lumières va traîner dans son sillage un dilemme éditorial de taille. À savoir, lequel de ces trois halos d’origine distincte devrait-elle être mis à l’honneur dans les lignes qui suivent ? Celui du Chabbat à travers une réflexion lumineuse sur la Paracha de Mikets ? Celui de ‘Hanouka, au moyen d’un message sur le sens de la fête ? Ou plutôt celui de Roch ‘Hodech ? Entre les trois, qu’estce que notre cœur a bien pu balancer… Bien heureusement pour nous, la Providence Divine s’est empressée de nous éclairer à son tour. Et, nous arrachant au douloureux embarras du choix, elle nous a permis de découvrir l’un des dénominateurs communs qui réunit ces trois festivités. Alors, prêtes pour cette expédition triplement scintillante ?!
Un jeu de mots curieux
Dans son commentaire sur le traité talmudique Chabbat, Rabbi Yéochoua Boaz, l’auteur de l’ouvrage Chilté Guiborim, remarque que dans la plupart des cas, la section de Mikets coïncide avec le Chabbat ‘Hanouka. Et d’ajouter que le lien entre ces deux événements est mis en lumière dans le verset suivant de notre Paracha : « Joseph vit Benjamin avec eux et dit à l’intendant de sa maison : “Conduis les hommes à la maison. Fais abattre de la viande et prépare-la, car c’est avec moi que ces hommes déjeuneront.” » (Genèse 43, 16) L’expression hébraïque correspondant à l’ordre de Joseph « Fais abattre de la viande et prépare-la » est וטבח טבח והכן. Or si on prend la lettre ח du mot טבח, puis les quatre lettres suivantes du mot והכן en les désordonnant, on obtient alors le terme… !חנוכה Tout cela est bien charmant, me direz-vous… Mais au-delà du jeu de mot, quel rapport profond peut-il bien avoir entre ce repas carné que le viceroi d’Égypte commande à son intendant à l’intention de ses frères, et la fête de ‘Hanouka ?!
Yossef Mokir Chabbat, premier du nom
Pour résoudre cette énigme, le Rav Yissakhar Frand nous renvoie vers le Midrach (Bamidbar Rabba 14, 1) fascinant que voici : il s’avère que le jour des fatidiques retrouvailles entre Joseph et ses frères se produisit un vendredi après-midi, à quelques heures de l’entrée du Chabbat. Or, dans sa grandeur et sa piété, Joseph respectait les lois du Chabbat bien que la Torah n’eut pas encore été donnée au peuple d’Israël. C’est précisément la raison pour laquelle il ordonna à son intendant, qui n’était autre que son fils Ménaché, de procéder à l’abattage rituel d’une bête et d’en apprêter la viande en l’honneur du repas de Chabbat. Et parce qu’il devança l’ordre divin en vaquant aux préparatifs du Chabbat avant même d’y avoir été astreint, Dieu lui accorda une récompense unique en son genre : il permit à l’un de ses descendants d’offrir un sacrifice individuel pendant Chabbat, chose qui est généralement interdite. Mais quel est donc ce sacrifice offert par un descendant de Yossef pendant le jour même du Chabbat ? La réponse se cache dans les passages de la Torah qui sont lus à la synagogue tout au long des jours de ‘Hanouka. Il y est question de la cérémonie d’inauguration du Tabernacle et des sacrifices individuels offerts respectivement par les douze princes d’Israël. Or même s’il existe une loi interdisant l’offrande de sacrifices individuels le jour du Chabbat, quand vint le tour du Prince de la tribu d’Éphraïm (fils de Yossef) d’apporter son offrande de dédicace le septième jour de l’inauguration du Temple, on lui permit exceptionnellement de le faire même si cette date coïncidait avec un Chabbat.
L’importance de la préparation
Or si vous avez l’esprit un tant soit peu talmudique, ce Midrach que nous venons de découvrir a dû vous faire froncer plus d’un sourcil. En effet, arguerez-vous à juste titre, en quoi le fait d’accorder à l’un de ses descendants une « permission spéciale » de déroger à la sainteté du Chabbat estil une digne rétribution pour l’être qui s’est efforcé d’honorer le Chabbat avant même d’y avoir été astreint ? À première vue, c’est un peu comme si vous preniez sur vous l’engagement de recevoir le Chabbat une demi-heure avant l’allumage, et que pour vous récompenser, on permettait à votre petite-fille d’écourter son propre Chabbat de dix minutes… N’y a-t-il pas là une flagrante contradiction ? Bien au contraire, nous explique le Rebbe de Satmar. L’autorisation exceptionnelle accordée au Prince d’Éphraïm d’apporter une offrande individuelle le jour du Chabbat ne fut aucun cas mue par une dérogation à l’honneur dû à ce saint jour. Si on lui permit d’agir ainsi, c’est parce que l’on considéra que son offrande était l’une des étapes préliminaires impératives à la préparation du Mizbéa’h à l’un de ses rôles futurs majeurs ; celui d’accueillir les offrandes publiques apportées le Chabbat. Or cette notion voulant que la préparation en vue d’un objectif importe autant que l’objectif lui-même, fut incarnée superbement par Yossef ! Ce fut en effet lui qui inaugura l’idée de se préparer à accueillir dignement le Chabbat en ordonnant à son fils : « Fais abattre de la viande et prépare-la ». Quoi de plus légitime que d’accorder à son propre descendant le privilège d’apporter un sacrifice d’inauguration qui, plus que tous les autres, symbolisait la préparation du Mizbéa’h à son futur rôle !
Une question de poids
Revenons maintenant à notre interrogation originelle, à savoir le rapport profond entre l’expression וטבח טבח והכן et la fête de חנוכה. Comme chacune le sait, la notion de préparation en vue d’un événement est directement liée au poids et à l’importance qu’il revêt à nos yeux. Ainsi, si une élève de Terminale consacre un nombre incalculable de jours (et de nuits) à bachoter, c’est parce qu’elle considère que sa réussite à l’examen national est crucial à son avenir professionnel. De même, si une fiancée passe entre trois et six mois à se préparer en vue du jour J, c’est parce qu’elle est pleinement consciente du tournant capital qu’il marque dans sa vie. Enfin, si nous-mêmes passons le plus clair de notre vendredi (et, souvent aussi, notre jeudi soir…) à concocter de bons petits plats c’est parce que, inspirées par Yossef Hatsadik, nous sommes sensibles à la sainteté du Chabbat et désirons l’accueillir avec tous les honneurs qui lui sont dus. Or cette corrélation entre le poids accordé à un événement et les préparatifs qui lui sont consacrés se retrouve au cœur même de la fête de ‘Hanouka. Nos Maîtres nous enseignent en effet que les terribles décrets qui s’abattirent sur nos ancêtres à l’époque du sinistre empire grec étaient la conséquence d’un certain désintérêt pour le Service Sacré du Temple. Pour leur part, les ‘Hachmonaïm refusèrent de succomber à cette indifférence générale. Ils luttèrent physiquement et spirituellement pour rétablir la suprématie du Temple, en exhortant leurs coreligionnaires à redoubler d’enthousiasme dans le Service Divin. Quand vint le moment de rétablir le Service du Temple, ils remuèrent ciel et terre pour trouver une fiole d’huile pure bien que d’après la loi stricte, une huile souillée aurait pu faire l’affaire puisque l’ensemble du peuple se trouvait en situation d’impureté. Ces efforts prodigieux qu’ils fournirent pour allumer la Ménora sans souscrire à un compromis nous prouvent le poids qu’ils accordaient à ce commandement, et par extension leur volonté de rallumer la flamme de l’enthousiasme pour le Service Sacré.
Et la lumière sera !
Cette réflexion va jeter un nouvel éclairage sur le lien entre l’expression וטבח טבח והכן et la fête de חנוכה. Loin d’un simple jeu de mot, ces deux éléments saluent la grandeur de personnages qui, conscients de la toute importance du Service Divin, n’épargnèrent aucun effort pour se préparer à l’accomplir de la plus belle manière qui soit ; le premier, Yossef, en vaquant aux préparatifs du Chabbat avant même d’y avoir été astreint ; les seconds, les ‘Hachmonaïm, qui réinsufflèrent valeur et entrain dans le Service Sacré. Et c’est aussi le message véhiculé par ce mince croissant de lune qui fera son apparition vendredi soir prochain, Parachat Mikets et sixième bougie de ‘Hanouka ; un appel à redoubler d’enthousiasme dans le respect de la Torah et des commandements divins. À l’image de ce luminaire qui, allergique à la monotonie et à l’indifférence, s’efforce de se renouveler chaque mois… En conclusion, prenez deux bougies de Chabbat, ajoutez-y six lueurs de ‘Hanouka puis saupoudrez le tout d’un croissant de lune étincelant. Vous obtiendrez un hiver 5780 tout feu tout flamme ! Joyeux ‘Hanouka à nos chères lectrices !