Rav Binyamin Beressi
La Torah rapporte en détail les deux rêves du Pharaon, tout d’abord lorsqu’elle les décrit, ensuite quand celui-ci les raconte à Yossef, et enfin lors de leur interprétation, qui sera particulièrement détaillée. Le Alchikh Hakadoch s’interroge sur l’intérêt de ces répétitions. Pourquoi la Torah s’attarde-t-elle sur tous ces détails ? Elle aurait pu simplement nous dire que Yossef a bien interprété les rêves du Pharaon, annonçant sept années d’abondance, suivies de famines, puis qu’il a été nommé vice-roi d’Egypte pour gérer la situation. Et enfin, une fois arrivée la période de famine, ses frères sont venus se fournir en Egypte, le seul pays disposant de réserves de grain. On notera aussi que si les « sept vaches belles et grasses [qui] sortaient du fleuve », et les « sept épis, pleins et beaux [qui] s’élevaient sur une seule tige » (Béréchit XLI, 5), font allusion aux années d’abondance, Yossef ne nous explique pas à quoi font allusion le fleuve et la tige… Le Alchikh cite le Zohar (Vayéchev page 184) expliquant que lorsque D.ieu décida d’exiler les enfants d’Israël, la Chékhina (la Présence divine) les précéda, arrivant en même temps que Yossef en Egypte. Pour quelle raison ? Le Alchikh répond que l’Egypte était à l’époque la source de l’impureté et de l’immoralité, et l’exil, en sa proximité, présentait un grave danger spirituel. D’ailleurs, au moment de leur sortie d’Egypte, les enfants d’Israël approchaient du cinquantième degré d’impureté, au seuil duquel ils n’auraient plus mérité d’en sortir. C’est donc pour les protéger que D.ieu les y a devancés. Surtout, Il veillera sur eux pendant les deux cent dix ans d’exil, pour éviter qu’ils ne soient nourris par « l’ange » protecteur de l’Egypte (au travers duquel l’Eternel faisait vivre les égyptiens), car ils auraient aussi subi son influence perverse, qui les aurait détournés des voies de l’Eternel. C’est pourquoi D.ieu fit en sorte que les sept années d’abondance se déroulent sous l’autorité de Yossef, qui s’occupera de collecter le cinquième de toute la récolte, de stocker le grain dans les greniers du roi et d’en assurer ensuite, lui-même, la distribution. Les détails des rêves sont donc importants pour bien mettre en lumière le rôle de Yossef, qui en aura donné les explications précises, et sa mainmise dans leur application. Pharaon ne demandait que l’interprétation de ses rêves. Mais Yossef, de son propre chef, ajouta des conseils, parce qu’il avait compris qu’il devait jouer un rôle particulier en Egypte, et que dans les « sept épis, pleins et beaux, [qui] s’élevaient sur une seule tige », cette tige – « kané é’had » – n’était autre que lui-même ; kané a en effet la même valeur numérique que celle de son prénom, Yossef. La tige unique, « é’had », fait allusion à Hachem E’had, l’Eternel Un : c’est Lui qui envoie l’abondance, au travers de la tige, par l’intermédiaire de Yossef. De même pour le fleuve : « sept vaches belles et grasses [qui] sortaient du yéor » – ce « fleuve » nourricier qui irrigue tous les champs de l’Egypte fait également allusion à Yossef, grâce auquel l’Egypte survivra. Il dira d’ailleurs à son père : « Viens auprès de moi… je te fournirai des vivres » (Béréchit XLV, 9-11). Il tient aussi à le rassurer : ce n’est pas sous l’influence du mentor céleste de l’Egypte que Yaacov résidera en terre de Gochen. C’est aussi pour cela qu’il demande à ses frères de faire part à son père des honneurs qu’il reçoit et de sa place à la tête de l’Egypte, justifiant ainsi sa capacité à être le canal par lequel sa famille subsistera, selon la demande même de Yaacov : « Si l’Eternel est avec moi… et qu’Il me donne du pain à manger » (Béréchit XXVIII, 20) – de Sa propre main. Yossef imposa aux Egyptiens de se faire circoncire (Béréchit Rabba 90), avant de leur permettre de s’approvisionner, et ce afin d’affaiblir l’influence néfaste de « l’Ange de l’Egypte » et de permettre aux enfants Israël de le surmonter, et de rester éloignés des mœurs dépravées égyptiennes. C’est que cet exil devait préparer les enfants d’Israël au don de la Torah, en les purifiant de la faute originelle du premier homme. La Chekhina qui les devança, s’y était établie vingt-deux ans avant l’arrivée de Yaacov avec sa famille : une allusion aux vingt-deux lettres de l’alphabet, ces lettres de la Torah, que va recevoir à sa libération le peuple d’Israël.