Il s’agit, évidemment, d’un vieux débat, vieux d’au moins 3 siècles, à peu près depuis le début de l’influence de la Haskala – l’époque des Lumières ! – au 18e siècle, particulièrement en Allemagne et en Hongrie. Alors, en quoi ce débat reste-t-il marqué du sceau de l’actualité ? S’agit-il d’éveiller de vieux démons, ou bien y a-t-il lieu de renouveler et de tenter d’éradiquer totalement les bases idéologiques de la Réforme ? C’est cette tentation qui nous intéresse ici, d’autant plus que, aussi bien en France qu’aux Etats-Unis ou même en Israël, les mouvements se réclamant de la Réforme, ou d’un Judaïsme libéral ou conservateur, essayent de retrouver une nouvelle jeunesse. Alors, il importe, pour qui veut « ouvrir les yeux », d’affronter aujourd’hui ce débat. Que recherche, en réalité, le mouvement réformé ? De façon plus explicite, de quelle idéologie se nourrit-il ? On a souvent dit, pour définir les objectifs des réformés, qu’ils « admettaient dans le judaïsme seulement ce que les non-Juifs aiment dans le judaïsme » (expression utilisée par Pr André Néher). Cette définition suffit pour exprimer l’influence extérieure, celle de la culture occidentale, sur l’idéologie des réformés. Mais cette présentation du problème n’est, en réalité, qu’apparente, car une question essentielle se pose : pourquoi, et surtout au nom de quoi, la Réforme trouve-t-elle sa justification ? Il faut, d’abord, écarter une identification apparente, mais totalement inexacte. Il faut ne voir aucune ressemblance entre le terme de « réforme » employé dans le christianisme (et qui inclut tous les protestantismes, luthérien, calviniste, anglican et d’autres encore), et ce même terme employé ici. La Réforme, dans le christianisme, fut un mouvement qui tendait à retrouver les sources primitives de la religion chrétienne, mais restait une religion liée à une origine divine. Dans le cas du judaïsme, il est évident que « réformer » ne veut pas dire retrouver une source originelle, mais plutôt changer, modifier les règles qui sont les vertèbres essentielles de la Torah. A Francfort, au 19e siècle, les réformés – avant l’arrivée de Rav Hirsch – ont fait fermer le mikvé et ont autorisé les étudiants à écrire le chabbat. S’agit-il ici d’une « réforme religieuse » ou plutôt d’une destruction de la religion ? Le désir de faire prier au Kotel hommes et femmes ensemble, est-ce autre chose qu’une provocation destinée à déstabiliser les lignes de force du judaïsme orthodoxe ? Ouvrons les yeux et tentons de comprendre le sens réel et profond de ce que l’on ne saurait reconnaître que comme une « déconstruction » du message éternel de la Torah. Avant de montrer qu’il ne s’agit en définitive – comme on le verra – que d’une tentative de s’opposer aux valeurs permanentes de la Révélation au Sinaï, rappelons pour mémoire que longtemps le judaïsme « libéral » a été violemment « antisioniste », car ses promoteurs se voulaient généralement intégrés dans les nations au sein desquelles ils vivaient. « Allemand » était pour les réformés plus essentiel que « juif », et « sioniste » impliquait une relation – à refuser – avec le judaïsme. Ce n’est que depuis la création de l’Etat d’Israël qu’aux Etats-Unis, les mouvements réformés et conservateurs se sont intéressés au sionisme et s’affirment souvent comme des soutiens financiers de l’Etat d’Israël. C’est ainsi qu’ils acquièrent, aujourd’hui, une importance aux yeux des autorités israéliennes, et veulent s’imposer comme un « courant » du judaïsme. Selon cette optique, la religion juive pourrait être pluraliste, et posséder plusieurs courants : face au « courant » orthodoxe, existerait ainsi un « courant » réformé, voire conservateur ! Or c’est ici que de « réformé » on passe à une « déformation » de la vérité ! D’une part – on l’a souligné précédemment – il ne s’agit en aucun cas d’une option « religieuse », mais d’une déviation technique des fondements essentiels de la Torah : mélange des hommes et des femmes pendant la prière, prière en anglais, les interdits du chabbat ne sont pas respectés, les femmes peuvent « monter » à la Torah, les règles de la casherout, de la taharat hamichpa’ha, ne sont pas observées. Bref, il s’agit assurément d’un « judaïsme de pacotille », ressemblant de loin à l’original. Mais il y a quelque chose de bien plus grave, car plus essentiel : quelle est l’assise transcendante sur laquelle se base cette déformation systématique des mitsvot ? Au nom de quels principes « religieux » transformer une religion vieille de plus de trois millénaires ? S’il ne s’agit que de changements dus à des personnages qui s’intitulent « rabbins » (ou « rabbines » !), en quoi s’agit-il d’une religion, qui, par hypothèse, doit nous relier à une « Valeur suprême » – Qui nous a transmis cette tradition ? S’il n’y a pas de références à un Absolu, à des prophéties, à une relation de dépendance avec une Transcendance, quelle est, alors, la justification d’appeler cette option un « courant religieux » ? Il s’agit d’une relation de culture, de civilisation, fondée sur des données humaines, respectables peut-être, mais non liées à une tradition. C’est une véritable tromperie que de donner à ces « apparences » ressemblant à l’observation des mitsvot, mais faussement utilisées comme des options « religieuses », de leur donner le nom de « courant » du judaïsme. Rappelons l’un des treize principes du Rambam : les règles de la Torah ne sauraient devenir caduques, ou cette phrase du Rav Hirsch : l’Eternel étant au-delà du temps, la Torah ne peut dépendre du temps. Il convient de le dire clairement : le judaïsme libéral est une religion « frelatée » ! Mais alors, quelle est la raison de donner une légitimation à cet « ersatz » de religion ? Si l’on veut tenter de donner une réponse à cette question, il semble qu’elle se trouve dans le vide idéologique qui caractérise notre époque et qui – moins peut-être en Israël (car la sainteté de la Terre sainte veille à ce que l’on ne soit pas trop séduit par des faux-semblants) que dans la gola – crée une sensation de manque, d’absence de repères ; peut-être est-ce là une explication de l’intérêt apparent pour cette religion de pacotille. Au lendemain de la Révolution estudiantine en 1968, conduite essentiellement par des dirigeants juifs, le Rav ‘Haïm Yaakov Rottenberg zatsal avait lancé la boutade suivante, bien significative : « Les Juifs sont toujours en quête d’un sens, et s’ils ne réussissent pas à le trouver dans la Torah, ils le cherchent alors dans les poubelles pleines de déchets », restes de ce qui a été comestible. Ayant évacué les valeurs de la foi authentique, nos contemporains risquent d’être attirés par de fausses idoles. Sachons éclairer les voies de la vérité, éviter les déviations, les déformations, pour retrouver le chemin réel qui continue, sans aucune modification, la Révélation du Sinaï. A une époque où malheureusement le judaïsme libéral en France, et conservateur et réformé aux Etats-Unis, relève la tête et voudrait faire croire que le judaïsme peut être pluraliste et connaître plusieurs « courants », il nous a semblé utile de reprendre ces réflexions écrites il y a une dizaine d’années dans le journal Kountrass afin que les limites soient claires. Seul un judaïsme authentique fondé sur la Torah, la tradition sinaïtique et les commentaires rabbiniques, seul ce judaïsme représente réellement la tradition juive. En effet, réformer n’est pas renouveler, rafraîchir, mais clairement déformer. Il est important de ne pas se laisser influencer à notre époque par des courants déviationnistes qui ne s’inscrivent pas dans l’histoire d’Israël. Le but ultime est toujours , להגדיל תורה ולהאדירה d’agrandir et d’embellir le message reçu de nos pères.