Rav Binyamin Beressi
Après avoir mis au monde son quatrième enfant, Léa dit : « Cette fois je rends grâce (Odé) à l’Eternel ! C’est pourquoi elle l’appela Yéhouda ; puis elle cessa d’enfanter » (Béréchit XXIX, 35). Nos matriarches étaient prophétesses, elles savaient que douze tribus naîtraient de Yaakov (Midrach Tan’houma 9). Yaakov ayant épousé quatre femmes, chacune aurait pu avoir, à part égale, trois garçons. Lorsque Léa a eu son quatrième garçon, elle s’est dit : puisque j’ai reçu plus que ma part, j’ai désormais de quoi remercier Hachem (Rachi). Rabbi Yo’hanan (Bérakhot 7/b) enseigne au nom de Rabbi Chimon Bar Yo’haï que depuis le jour où le Saint béni Soit Il créa le Monde, personne ne L’avait remercié jusqu’à ce que vienne Léa, ainsi qu’il est écrit : « cette fois » je remercie l’Eternel. Cet enseignement paraît étonnant ! Nos patriarches, Avraham, Its’hak et Yaacov, n’ont-ils jamais exprimé leur reconnaissance envers l’Eternel ? En fait, explique Rav Zelig Epstein, il est évident que les patriarches ont remercié Hachem, mais Léa innova un concept : celui d’un remerciement « perpétuel », et non pas occasionnel ! Si jusque-là, nos ancêtres avaient remercié Hachem à l’occasion de telle ou telle circonstance, à un moment donné particulier, Léa, elle, en appelant son fils Yéhouda, de la racine hodaa (« remerciement »), l’exprima de façon continue. Le Yalkout Chimoni (§126) explique qu’à son exemple, les descendants de Léa ne manquèrent jamais d’exprimer, en toute occasion, leur reconnaissance envers l’Eternel, comme envers leur prochain. Le premier fut Yéhouda, comme il est dit : « Yéhouda les reconnut et dit elle est plus juste que moi » (Béréchit XXXVIII). Le roi David également, comme il est écrit : « Rendez hommage [hodou] à l’Eternel car Il est bon » (Téhilim CXXXVI, 1) ; et Daniel de même, comme il est dit : « C’est Toi, D.ieu de mes pères, que je remercie [méhodé] » (Daniel II, 23). Cependant, la fin du verset nous interpelle : « Je rends grâce à l’Eternel ! C’est pourquoi elle l’appela Yéhouda ; puis elle cessa d’enfanter » – certes
momentanément. Mais a-t-elle cessé d’enfanter justement parce qu’elle avait rendu grâce à Hachem ? Dans son commentaire sur la Torah, Rabbi Yaakov, l’auteur du Tour, répond que chaque remerciement devrait être accompagné d’une demande, d’une prière pour le futur. Léa remercie, mais elle ne demande pas d’autre enfant, et c’est pourquoi elle cesse d’enfanter. Dans le Birkat Hamazon, à la quatrième bénédiction, nous disons : « Il nous a comblés, Il nous comble et Il nous comblera ». Au milieu du Hallel, le roi David loue et remercie l’Eternel, mais il prie aussitôt pour l’avenir : « De grâce, Eternel, secours-nous ! De grâce, Eternel, donne-nous le succès ! » (Téhilim CXVIII, 25). C’est ce que nous retrouvons également dans Divré Hayamim (I, XVI, 34) : « Rendez hommage à l’Eternel, car Il est bon… Dites : Viens à notre secours, D.ieu de notre salut », associant ainsi la prière aux remerciements. Les commentateurs expliquent que l’homme doit effectivement prier pour pouvoir recevoir la totalité de ce qui
lui a été prévu au Ciel, comme il est dit : « Aucune herbe des champs ne poussait encore, car l’Eternel n’avait pas fait pleuvoir sur la terre, et d’homme il n’y en avait point pour cultiver la terre » (Béréchit II, 5). Sans la prière de l’homme, la bénédiction du Ciel ne peut s’épancher et se répandre sur la terre. Lorsqu’un homme ne prie pas pour le futur, il interrompt le chéfa, le flux d’abondance qui lui était réservé à profusion. De plus, le mot hodaa peut aussi se traduire par « reconnaître », car la première démarche des remerciements est la reconnaissance de tout le bien que D.ieu nous octroie, et qu’Il en est le dispensateur. Aussi, après L’avoir remercié, lorsque l’homme prie pour le futur, il témoigne sa conviction que seul l’Eternel peut subvenir à ses besoins, et c’est alors que sa reconnaissance est parfaite. Ra’hel appela son premier fils Yossef, pour dire : « Que D.ieu veuille bien m’ajouter [Yossef] encore un second fils » (Béréchit XXX, 23), et de fait, elle eut par la suite un deuxième fils, Binyamin.