Par Ora Marhely
Le marketing en tenue de Cheva Berakhot !
Si vous avez eu l’occasion de suivre un ou plusieurs discours de « Chéva Berakhot », vous avez sans doute déjà remarqué le phénomène suivant : quelle que soit la teneur de l’exposé talmudique ou de la réflexion philosophique vantant les mérites de la vie à deux, ce dernier ou cette dernière seront invariablement conclus par un éloge grandiose et éloquent détaillant les innombrables vertus et qualités de l’un ou l’autre des tourtereaux… L’objectif d’une telle pratique ? Si l’on voulait emprunter au domaine du marketing, on pourrait dire que ces allocutions laudatives sont au jeune couple ce que la campagne de lancement d’un nouveau produit est au marché. En gros, tout comme un responsable marketing veut à tout prix s’assurer que le nouveau produit, ou le nouveau service qu’il s’apprête à commercialiser sera connu et apprécié du public, les différents intervenants d’une soirée des Chéva Berakhot souhaitent prouver au jeune marié ou à la jeune mariée que son choix de conjoint a été judicieux. Qu’il ou elle possède toutes les qualités nécessaires en vue d’une vie conjugale harmonieuse. Et que même si leur toute première rencontre ne remonte qu’à seulement quelques semaines ou quelques mois, ceux qui les ont fréquentés et côtoyés plus longuement se portent garants de leur gentillesse et de leur générosité, de leur sympathie et de leur sollicitude, de leur loyauté et de leur sens des responsabilités. Ou pour en revenir au lexique du marketing, il s’agit de « faire la promo » du prince charmant aux yeux de sa princesse (et, au passage, des parents de cette dernière…) Et inversement, bien entendu.
On ne prêche pas des convaincus
Mais que se passerait-il si ces mêmes orateurs étaient invités à prendre la parole à l’occasion des noces d’or, ou peut-être des noces de diamant célébrées par ce même couple ? Pensez-vous que l’idée de « recycler » le discours prononcé il y a cinquante ou soixante ans en arrière leur effleurerait l’esprit ? Pensez-vous qu’ils chercheraient à chanter les louanges de Monsieur aux yeux de Madame, et viceversa, dans l’espoir de les convaincre de la justesse de leur choix ?! Bien évidemment non ! Après plus d’un demi-siècle de vie commune, on suppose que l’un comme l’autre ont eu amplement le temps de découvrir, d’apprécier et de chérir son conjoint. Les allocutions qui seraient prononcées en cette mémorable occasion porteraient sans doute sur les secrets de la longévité dudit couple. Et sur ces mille et une bonnes habitudes qui leur ont permis de mériter ce trophée marital. Plus question de « faire la promo » de l’un aux yeux de l’autre. La « campagne marketing » lancée il y a belle lurette a d’ores et déjà été couronnée d’un succès hors-commun. Alors à quoi bon prêcher des convaincus ?!
Une question rhétorique
Et pourtant, un coup d’œil sur la Paracha de la semaine va suffire pour secouer ces belles certitudes. Nous y découvrirons un illustre couple qui s’apprête à fêter ses noces d’Albâtre. Lesquelles, au cas où vous l’ignorez, célèbrent soixante-quinze ans de vie commune… Mais un couple que d’angéliques orateurs jugeront bon d’encourager au rapprochement et à l’appréciation mutuelle. Et qu’ils ne laisseront visiblement jamais se reposer sur leurs lauriers maritaux ! Ce fameux couple, vous l’avez certainement deviné, est celui formé par les premiers de nos patriarches ; Avraham Avinou et Sarah Iménou. Et les auteurs du discours semblant tout droit sorti d’une soirée de Chéva Berakhot ne sont autres que les trois anges déguisés en voyageurs venus rendre visite à nos ancêtres au troisième jour de la circoncision d’Avraham. La section de Vayéra nous raconte en effet qu’après s’être dûment reposés et restaurés, ces trois invités se tournèrent vers le maître des lieux et lui posèrent une question dont ils connaissaient pourtant parfaitement la réponse : « Où est Sarah ta femme ? ». Ce à quoi Avraham répondit : « Voici, elle se trouve dans la tente ! » (Béréchit, 18, 9) Interpellés par la présence de cette question rhétorique, les maîtres du Talmud soulignent que les anges savaient pertinemment où se trouvait Sarah à ce moment. Leur objectif était d’attirer l’attention d’Avraham sur la discrétion remarquable de son épouse, elle qui demeurait dans sa tente afin de ne pas s’exposer aux regards d’autrui. Et c’est à travers ce dialogue dont le script était déjà tout écrit que les envoyés de D.ieu cherchèrent à la rendre plus chère aux yeux de son époux. (Traité talmudique Baba Metsia p.87/a cité par Rachi sur place)
Quand la familiarité engendre le mépris
Or comme le souligne le Rav Chlomo Wolbe dans deux de ses ouvrages (Chiouré ‘Houmach, Parachat Vayéra 18, 9 ; Alé Chour, Volume II, p.281) la démarche des anges a quelque chose de très surprenant. Nos Sages nous enseignent qu’Avraham épousa Sarah à l’âge de vingt-cinq ans. Au moment de sa circoncision, il en avait déjà quatre-vingt-dix-neuf. Ce qui signifie que lui et Sarah approchaient de leur soixante-quinzième anniversaire de mariage ! Or était-il vraiment nécessaire de mettre en valeur les qualités de Sarah après tant d’années de vie commune ? N’aurait-il pas été plus logique de procéder ainsi soixante-quinze ans plus tôt, lorsqu’Avraham venait tout juste d’épouser Sarah, et qu’il n’avait peut-être pas eu encore l’occasion de l’apprécier à sa juste valeur ? Non ! martèle le Rav Wolbe dans ses écrits. S’il est important d’encourager des jeunes mariés à s’apprécier mutuellement, il est encore plus impératif d’agir de la sorte auprès de couples mariés depuis longtemps. Et pour cause, plus deux personnes sont proches, plus il leur devient difficile de remarquer, de manifester et d’exprimer leur appréciation mutuelle. Chacun des deux conjoints devient si habitué à la présence de l’autre et à sa contribution à son propre bien-être qu’il finit malheureusement par les tenir pour acquises. Les vertus et qualités d’autrui perdent petit à petit de leur éclat, et on a tendance à se focaliser plus volontiers sur ses éventuels défauts et manquements. Conscients de cette fâcheuse tendance humaine qu’a la familiarité à engendrer le mépris, la Torah choisit précisément le cas d’un couple marié depuis près de soixante-quinze ans pour nous enseigner l’importance de cultiver l’appréciation et la reconnaissance au sein de la cellule conjugale. Et donc à nous de tirer nos propres conclusions : si déjà Avraham, un être d’une si grande sainteté, avait besoin d’intégrer une telle leçon, combien nous autres devrions fournir d’effort pour éviter de sombrer dans le piège de la familiarité envers l’être digne de notre plus grand respect, et de notre plus haute opinion…
Le conseil des Anges de la Paix
Et puis bien sûr, de notre côté, inutile d’attendre le moment où, si D.ieu veut, nous soufflerons nos soixante-quinze bougies de mariage, entourés de nos enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants, pour redorer le blason de notre homme. Que nous ayons un, deux, cinq, dix, quinze ou vingt années de vie commune à notre actif, sachons tendre l’oreille aux messages silencieux soufflés par les Malakhé Hachalom, les Anges de la Paix, qui nous invitent chaque jour à redécouvrir les qualités de notre conjoint, à nous en émerveiller, et à redoubler de respect et d’admiration envers lui. (PS : Si jamais vous êtes un homme, et que vous ne vous êtes pas laissé rebuter par le nom féministe de la présente rubrique, n’hésitez pas à remplacer le mot « homme » par le mot « femme » et le mot « lui », par le mot « elle » dans ce dernier paragraphe…) Car pour peu que nous ayons à cœur de les y accueillir, ces Anges de la Paix volètent librement au cœur de notre foyer. Et à l’image de ceux qui interrogèrent Avraham au sujet de Sarah, eux-mêmes nous posent toutes sortes de questions rhétoriques dont le seul but est d’attirer notre attention sur les qualités et les contributions de notre conjoint. Alors, ne faisons surtout pas la sourde oreille à leurs questions. Parce qu’en matière d’harmonie conjugale, rien de mieux qu’un ange pour vous livrer des conseils de haute-voltige…