Les ‘Hazal nous disent qu’il y a 4 temps pour le bilan : la fin de la journée, la fin de la semaine, la fin du mois et la fin de l’année. Le bilan s’inscrit, d’après la littérature du Moussar, dans l’importance de l’introspection, nécessaire à qui veut s’élever dans la relation entre le Créateur et la créature. Il est évident qu’il y a un 5e temps pour ce bilan, mais il s’agit là d’un temps inconnu : la veille de la mort, comme le disent les Sages dans les Pirké Avot : « Reviens à D.ieu, un jour avant ta mort » (Avot 2:15). Or, assurément, nul ne peut savoir quel est le jour qui précède notre disparition physique du monde matériel.
Cependant, quoi qu’il en soit, le bilan est une étape fondamentale dans l’interrogation de l’homme sur son destin, dans l’appréciation de l’être face à son devenir spirituel, personnel. Ce bilan se mesure en fonction de l’échelle des valeurs, propre à l’individu, ou à la société dans laquelle il s’intègre. Les ‘Hazal lient l’essence de ce bilan à la première injonction adressée par le Tout-Puissant à Adam Ha-Richon : « Où es-tu ? », injonction adressée après la désobéissance à l’ordre divin. Les ‘Hazal expliquent que cette question première est la question essentielle que chaque créature doit se poser : « Où en es-tu de ton rapport à la transcendance ? Sais-tu que c’est là l’interrogation la plus essentielle pour tout individu ? »
Dépassons cette étape personnelle pour l’élargir à l’échelle universelle. Nul ne peut se dérober à cette réflexion : que faisons-nous ici ? où allons-nous ? On peut tenter d’éviter la question, se « fermer les yeux », mais les faits sont têtus, et, ne serait-ce qu’au dernier souffle, on ne peut échapper à cette prise de conscience. Le même terme implique en hébreu – חשב , ‘hachav – l’idée conceptuelle du compte et de la réflexion abstraite. Il importe que notre pensée – théorie – se traduise au niveau de la vie concrète. Le bilan est un compte et une ouverture vers l’infini. Quand l’Eternel s’adresse à la créature, Il lui demande de rendre « compte » de son existence, de prendre en considération l’orientation de son action dans le monde, le « résultat » de sa vie, de son passage dans le monde matériel. C’est ici que le bilan s’impose.
A cela s’ajoute, au niveau de l’humain, le sens de la responsabilité, dans l’exercice de son activité. Le « bilan » demande, bien sûr, une réflexion sur les acquis et les pertes et une interrogation sur la raison de ce résultat, et la possibilité de l’améliorer, ou bien le danger de voir les pertes l’emporter sur les acquis. Ici intervient un autre concept hébraïque « arèv », ערב – qui implique l’idée de responsabilité, mais aussi l’idée de « mêler » le positif au négatif. Ce terme qui traduit la rencontre entre le jour et la nuit – בֶרֶע ,soir – peut impliquer la douceur – ערב signifie aussi « doux » – ou la vulgarité – ערוב , bêtes sauvages, 4e plaie d’Egypte, sorte de mélange de bêtes grossières – ce terme inclut donc le concept de convergence entre deux entités différentes, positive ou négative.
Tel est le « bilan » que les Sages du Moussar conseillent au fidèle croyant en l’Eternel. Où suis-je ? J’avance ou je recule ? Le bilan de l’individu engage sa situation morale, et c’est au lendemain des fêtes de Tichri qu’il convient de réfléchir à ce compte. La lecture du livre de Kohélet pendant Souccot invite à comprendre la relativité de toute notre activité, mais, parallèlement, conclut sur l’importance essentielle de l’observance qui doit mener à la crainte de D.ieu. Tentons d’aborder l’année en ayant élevé notre échelle morale, afin que le bilan soit positif. Telle est la finalité de l’existence : par-delà l’acte « concret », il convient de nous élever spirituellement pour rapprocher l’avènement du Royaume divin.