Depuis des années, Mendel va passer les Yamim Noraïm chez son Rabbi, Rabbi Mena’hem. Le voyage depuis Korits jusqu’à Mézritch est fatiguant, certes, mais Mendel sent que passer le début de l’année auprès de son Rav lui assure une année entière de bienfaits. A la fin de Yom Kippour, il entre chez le Rabbi pour recevoir sa bénédiction. Les ‘hassidim disent que l’expression qu’il emploie permet de savoir ce qui a été décrété en haut, si bien que Mendel l’écoute toujours attentivement. Une année, le Rabbi lui serra chaleureusement la main en lui disant : « Tu auras une bonne année. Beaucoup de bonheur et de joie seront ton lot ». Mendel bondit de joie, espérant une année spéciale. De bon matin, il prit la première carriole qui partait vers Korits afin d’arriver chez lui pour le chabbat Haazinou, entre Yom Kippour et Souccot. La roue du véhicule se brisa soudain, ce qui les contraignit à attendre sa réparation pendant des heures. En fin de compte, il passa le chabbat avec le cocher et quelques autres voyageurs dans un village reculé, sans sa famille, sans les aliments auxquels il était habitué. « Ce n’est pas une bonne année… » se dit-il. Dimanche matin, veille de Souccot, ils reprirent la route. Mendel imaginait déjà l’accueil qu’on lui ferait à son arrivée : la soucca était certainement prête, les plats de la fête aussi. Ah ! Magnifique ! En arrivant chez lui vers midi, il crut s’évanouir. Rien n’était prêt. Il s’avéra que sa femme avait dû emmener un de leurs enfants malade chez le médecin du village voisin. Les enfants ne surent pas s’organiser seuls : pas de soucca, pas de nourriture, pas de bonnes odeurs, et pas d’accueil souriant à la porte… Il courut construire la soucca. Les jeunes enfants pleuraient, les grands étaient dépassés… Une fois sa femme rentrée et la fête commencée, Mendel essaya de calmer l’atmosphère, mais c’était trop tard. Toute la famille était épuisée, Mendel aussi. Il répéta : « Ah, quelle année ! » Voilà comment avait commencé l’année où Mendel eut un enfant de plus et où sa fille se fiança avec un jeune homme remarquable. Ces joies le rendirent heureux effectivement, mais ajoutèrent des tensions et des dépenses. Mendel ne savait pas comment s’en sortir. Ce fut une année emplie de difficultés et d’incidents fréquents, tels que la mort prématurée de sa vache. A l’approche du Roch Hachana suivant, Mendel retourna à Mézritch. Il se souvint de la bénédiction du Rabbi l’année dernière… Mendel ne remettait sûrement pas en question la piété du Rabbi, mais des doutes le tourmentèrent pendant les dix jours de son séjour. A la fin de Yom Kippour, lorsqu’il alla prendre congé du Rabbi, celui-ci lui prit à nouveau chaleureusement la main et lui dit : « Tu auras une bonne année, beaucoup de bonheur et de joie seront ton lot ». Mendel baissa les yeux, l’air déçu. Le Rabbi lui demanda comment il se portait et là, Mendel ne put se contenir : « Rabbi, l’année dernière aussi, vous m’avez donné cette berakha, mais en fin de compte, ce fut une année sans bonheur et sans joie… » Le Rabbi prit à nouveau la main de Mendel et la serra chaleureusement. « Mendel, tu reçois la vie. Mais qu’estce que la vie, en fait ? La vie, ce sont des minutes, des heures, des périodes et des événements qui t’arrivent. Dis-moi, mon cher Mendel, quelle responsabilité prends-tu de ta vie ? Est-ce que tu domines tes émotions et diriges ta vie ? Ou bien laisses-tu la vie te diriger ? Quand tu as des difficultés, accuses-tu ton entourage ou assumes-tu tes responsabilités ? Est-ce que tu décides comment tu te sens ou est-ce que tes sensations te dictent que ressentir ? » Mendel posa sur le Rabbi un regard interrogateur. Le Rabbi poursuivit : « Tout ce qui t’arrive, est-ce un pur hasard, D.ieu en préserve ? Ou bien es-tu convaincu, comme tout Juif, que rien n’est dû au hasard mais est dirigé spécialement vers toi pour te donner l’occasion de te dominer et de gravir un échelon de plus, pour devenir plus fort, plus patient, plus sage, plus compatissant ? La perte d’un être cher, par exemple, peut t’apprendre la valeur de la vie. La vie que tu désires tant, c’est en réalité ce que tu ressens à chaque instant. Et cela, c’est toi qui peux et qui dois le déterminer. Plus ton interprétation des choses sera positive, plus ta vie sera bonne. Tu auras une bonne année, Mendel, beaucoup de bonheur et de joie seront ton lot ! D.ieu a donné, et c’est toi qui vas décider comment recevoir ce qu’Il a fixé pour toi. Si tu assumes ta responsabilité dans le bon sens, ce sera une bonne année, joyeuse et heureuse ! » Mendel prit la route… « Une bonne année, joyeuse et heureuse » chantonna-t-il gaiement.
Rav Eliav Miller, Mancal Lev Chomea