Ora Marhely
Des emballages qui emballent (ou pas…)
Il y en a pour qui cette activité relève du cauchemar. Après avoir écumé plusieurs heures les boutiques de France et de Navarre à la recherche du cadeau idéal, il faut de surcroît se dépatouiller avec un rouleau de papier, une paire de ciseaux, du ruban adhésif, sans oublier une bobine de bolduc pour emballer le tout de façon esthétique. Et puis il y en a pour qui cette même activité se révèle être une pure partie de plaisir, l’occasion rêvée de mettre à profit leur créativité pour apporter la touche finale à un présent.
Mais quel que soit l’intérêt (ou l’aversion) qu’il suscite, l’emballage du cadeau est devenu un rite obligatoire. Finie l’époque lointaine où tout le monde utilisait le même papier kraft insipide. Depuis le début du 20e siècle, les rouleaux de papier-cadeau se déclinent en une infinité de couleurs, de motifs et de textures, le tout accompagné de rubans, nœuds et autres fioritures étincelantes.
Dans certains pays, comme l’Angleterre, le Japon, les Etats-Unis et, plus récemment Israël, l’emballage est d’ailleurs devenu une industrie à part entière ! Des boutiques entières voient le jour, avec pour seul objectif celui d’agencer votre cadeau de la façon la plus spectaculaire qui soit. Si vous vivez en Israël, vous savez déjà qu’un parent d’élève qui se respecte n’offrira pas de cadeau de Roch Hachana/Pourim/Fin d’année à une enseignante sans avoir au préalable engagé les (onéreux) services d’une Méatsévet Matanot (styliste en cadeau)…
Un signe d’attachement
Pour la psychothérapeute Sylvie Tenenbaum, l’engouement récent suscité par ce que le marketing appelle le packaging (le conditionnement) reflète une prise de conscience profonde de l’impact de la présentation aussi bien aux yeux de l’auteur du cadeau qu’à ceux de son destinataire.
Comme elle le souligne dans son ouvrage Ce que disent nos cadeaux (Leduc. S Editions, 2010), la manière de disposer et d’agencer un cadeau est aussi important que son contenu : « Un cadeau qui n’a rien coûté mais qui a été enveloppé avec raffinement et attention par la personne qui l’offre fera au moins autant plaisir qu’un présent coûteux emballé à la va-vite. Plus il y a de recherche, de sophistication, plus notre attachement au destinataire est grand. Nous lui signifions clairement que nous avons voulu lui consacrer du temps. C’est un signe d’amour. Nous sommes touchés, parce que c’est une marque officielle de l’attachement. Nous nous déclarons : je veux te faire plaisir et je te le montre. Nous théâtralisons, nous mettons en scène la remise du cadeau. Nous tentons de susciter chez l’autre l’excitation de la découverte qui nous saisissait enfants, quand nous déchirions le papier pour “voir” » .
Quand il s’agit de regarder la cruche
Au fait, qu’en dit la Torah ? À première vue, notre tradition semble accorder bien plus davantage au contenu qu’à l’emballage. Preuve en est cette célèbre Michna qui enjoint à tout un chacun : « Ne regarde pas la cruche, mais ce qu’elle contient : certaines cruches neuves contiennent du vin vieux, et certaines cruches anciennes n’ont même pas de vin nouveau. » (Pirké Avot 4, 20) Pourtant, dans la Paracha de cette semaine, elle semble faire une exception notoire à ce principe. Et plusieurs millénaires avant l’avènement du packaging, elle va nous prouver que dans certains cas bien précis, tout est dans l’emballage !
Un panier qui a du bol !
La section de Ki Tavo s’ouvre sur le commandement des Bikourim, enjoignant à chaque agriculteur d’apporter au Temple les premiers fruits de sa récolte et les présenter au Cohen pour exprimer sa gratitude envers Dieu : « Tu prendras des prémices de chaque fruit de la terre que tu apporteras de ton pays que Hachem ton Dieu te donne, et tu les mettras dans un panier et tu te rendras vers l’endroit que Hachem ton Dieu choisira pour y faire résider Son nom […] Le Cohen prendra le panier de ta main et le déposera devant l’Autel de Hachem, ton Dieu ». (Dévarim 26, 2-4)
Le Malbim remarque que plusieurs rituels pratiqués au Temple nécessitaient l’emploi d’un certain ustensile. Pourtant, la Torah met rarement l’accent sur ce dernier, pour privilégier davantage ce qu’il contient. Prenons par exemple le cas du rituel de l’aspersion du sang. Même si le Cohen recueillait ce dernier dans un bol, la Torah n’écrit pas « le Cohen prendra l’ustensile contenant le sang », mais simplement « le Cohen prendra le sang ».
En revanche, en ce qui concerne le rituel des Bikourim, la Torah semble accorder davantage d’importance au panier qui contenait les fruits qu’aux fruits eux-mêmes ! La preuve ? Elle n’écrit pas « le Cohen prendra les Bikourim de ta main », mais plutôt « le Cohen prendra le panier de ta main ». Pourquoi tant d’insistance ?
Montre-moi ton panier et je te dirai qui tu es !
Citant le Sifri, le Malbim nous rappelle qu’à l’époque du Temple, les riches avaient l’habitude d’apporter leurs Bikourim dans d’exquises corbeilles en or ou en argent, tandis que les pauvres les emballaient dans de modestes paniers en osier confectionnés par leurs propres soins. Pourtant, fait très surprenant, le Cohen restituait aux premiers leurs coûteux ustensiles, tandis qu’il conservait pour son propre usage les paniers rudimentaires transportés par les seconds. Or dans la Parachat Ki Tavo, la Torah évoque les Bikourim offerts par les agriculteurs pauvres. Si elle met l’accent sur le panier, c’est donc pour nous enseigner que dans ce cas précis, le Cohen ne prenait pas seulement les premiers fruits, mais aussi le simple panier d’osier les contenant. Reste à connaître la raison de cette étonnante distinction.
La vannerie, ça « vanne »…
Loin de toute forme de discrimination à l’égard des classes sociales défavorisées, cette pratique prouvait en réalité la valeur et l’importance que la Torah accorde aux efforts réalisés par le pauvre pour confectionner un « emballage » destiné à ses Bikourim !
En effet, à la différence du riche qui s’était suffi de sélectionner une belle corbeille dans sa vitrine d’argenterie bien garnie, ou peut-être d’en commander une nouvelle chez l’orfèvre, le pauvre a fabriqué son panier de ses propres mains. Il a choisi un à un les brins de saule destinés à cet usage, les a inspectés un à un pour s’assurer qu’ils ne soient pas endommagés par des insectes, les a hydratés plusieurs jours dans l’eau jusqu’à ce qu’elles soient suffisamment souples pour ne pas se casser lors du travail. Muni d’un sécateur et d’un couteau bien affuté, il a ensuite taillé les osiers à la longueur souhaité avant de les entrecroiser selon un processus minutieux. Au cours de ce fastidieux ouvrage de vannerie, ses doigts ont peut-être subi échardes et coupures, tandis que ses yeux lui picotaient sans doute sous l’effet des gouttes de sueur. Quant au temps qu’il lui a consacré, il aurait pu être mis à profit pour boucler d’urgentes réparations dans le toit de sa grange décrépite avant son départ à Sion…
Toutefois, cet homme n’a reculé devant rien pour être à même de soigner, autant que faire se peut, la présentation de ses modestes Bikourim ! Heureusement, ses efforts silencieux ne passeront point inaperçus aux yeux du Cohen. Ce dernier conservera le panier du pauvre, comme pour lui signifier que dans son cas, l’emballage – et tout le labeur qui l’a accompagné – revêt autant d’importance que le contenu même. Et c’est ainsi que le panier lui-même est élevé au rang suprême de Bikourim ! Vrai, le riche a peut-être dépensé beaucoup d’argent pour acquérir cette superbe corbeille. Mais parfois, la Torah veut nous montrer que l’effort physique et le temps que l’on consacre à une Mitsva procurent une satisfaction encore plus profonde à notre Créateur.
De l’importance de l’effort
Le message véhiculé par notre Paracha est particulièrement bien adapté à ce rôle d’épouse et de mère que nous avons le privilège d’endosser. En effet, à la différence de ces messieurs dont le quotidien est rythmé d’une infinité de commandements sacrés bien définis, le nôtre est davantage rempli de tâches physiques plus ou moins prenantes (lisez : éreintantes…) qui n’ont souvent rien d’exaltantes. Il serait donc tentant d’aborder ces dernières avec un certain dédain, voire de s’en sentir, par moment, quelque peu diminuées. Néanmoins, il s’avère que ce sont à travers ces tâches apparemment « subalternes » que nous allons permettre à nos époux et nos enfants d’accomplir toutes les Mitsvot qui leur incombent de la manière la plus optimale qui soit .
Si l’on voulait recourir à la métaphore, on pourrait dire que notre rôle s’apparente à celui de ces paniers en osier confectionnés par l’agriculteur à la sueur de son front… Il est vrai qu’à première vue, ces derniers ne sont que de simples ustensiles destinés à l’emballage des Bikourim. Pourtant, comme nous venons de le découvrir, la Torah leur accorde une valeur égale aux fruits sacrés qu’elles contiennent. Leur place se trouve à tout jamais au Temple, au même titre qu’une offrande.
À notre tour, nous devons être pleinement conscientes que chaque effort physique que nous-mêmes fournissons pour laver, étendre et repasser ces monticules de linge sale invincibles ; chaque geste que nous faisons pour éplucher, cuisiner et servir des repas au goût de nos petits estomacs exigeants ; ou encore chaque instant que nous consacrons pour expliquer à notre dernier la règle de trois pour la quatrième fois d’affilée…— tout cela est chéri par notre Créateur au même titre que ces Téfilin que notre époux nouera à son bras, ou que ce passage de Guémara qu’il élucidera. Parce que, dans la vie comme dans les cadeaux, parfois, tout est dans l’emballage !