Neuf semaines nous séparent de la consultation électorale du 9 avril mais l’effervescence s’est emparée de la classe politique israélienne Benny Gantz, un gars sympa et honnête qui dit tout et son contraire Ceux qui doutaient encore du manque d’objectivité des faiseurs d’opinion dans la
presse et les médias ont dû se résigner, au lendemain du discours du candidat Benny Gantz. La plupart des éditorialistes ont applaudi à tout rompre une intervention, qui somme toute avait été soigneusement préparée et répétée, mais qui ne renfermait aucun contenu inédit, séduisant, ou impressionnant. En consultant leur commentaires on aurait pu penser que le Sauveur était arrivé, qu’enfin, après 20 ans d’hégémonie de Nétanyaou, Israël avait enfin trouvé «Le» leader, l’alternative au pouvoir du Premier ministre. L’une des commentatrices, Sima Kadmon dans le Yediot, a même comparé Gantz à Obama en affirmant que l’on s’attendait à ce qu’il nous lance «Yes, we can». Une autre éditorialiste a salué un « discours qui tranchait avec l’écoeurement des interventions de Nétanyaou». Pourtant, de facto en se penchant sur le contenu de ce discours, il convient
d’être nettement plus nuancé. Car, l’autre soir au Palais des Expositions, Gantz surtout entretenu un flou artistique sur sa véritable orientation politique : il a voulu séduire la Droite sans fâcher la Gauche ou le contraire, en brandissant un slogan assez creux surtout dans une compétition politique : « Ni gauche ni droite, Israël ». Il s’est déclaré pour les transports en commun le chabbat tout en insistant sur le respect de la sainteté de cette journée. Il a clamé son aspiration à faire la paix avec les Arabes mais a dit que si ça ne marchait pas il renforcerait les implantations… Bref, plus d’une fois durant ce discours, Gantz a dit une chose et son contraire. Et ce n’est pas tout : en assimilant la famille Nétanyaou à une «cour royale» et le Premier ministre au Roi Soleil, Benny Gantz a certainement oublié que contrairement à lui qui s’est auto proclamé à la tête de son parti, Nétanyaou a été élu et réélu démocratiquement à la tête du Likoud. Enfin, même si Benny Gantz n’a pas commis de gaffe majeure durant son intervention, il lui manquait ce soir-là un élément indispensable à celui qui entend se hisser au sommet de la hiérarchie politique en Israël : cette rage de vaincre, ce «couteau entre les dents» que l’on peut encore apercevoir chez Binyamin Nétanyaou, plus de 22 ans après qu’il soit entré pour la première fois à la présidence du Conseil. Sans cet «instinct killer», sans cette soif de pouvoir qui anime les grands leaders, Benny Gantz peut, peut-être, séduire ponctuellement comme il l’a fait mardi soir dernier, mais il ne pourra pas guider Israël dans le temps. Des sondages déterminants pour le leadership du bloc centriste Les sondages publiés en fin de semaine dernière ont été particulièrement élogieux pour Gantz et son parti Résilience pour Israël. De 12 mandats avant son intervention au Palais des Expositions, Gantz s’est
vu créditer plus de 20 mandats après ! Ces 8 à 10 mandats qui se sont rajoutés d’un coup dans son escarcelle, n’affectent pas le Likoud qui demeure généralement autour des 30 mandats, mais par contre ils affaiblissent essentiellement deux formations : Yech Atid de Lapid qui perd 4 ou 5 mandats, mais également les Travaillistes qui dans le sondage du Israël Ayom s’effondrent avec 5 mandats (!) et flirtent avec le seuil d’éligibilité .Enfin Koulanou semble aussi faire les frais de cette «vague Gantz». Certes, les sondages doivent être examinés avec prudence mais dans le cas, probable, de la formation d’un bloc de centre-gauche qui réunirait le parti de Benny Gantz et celui de Yaïr à 35 mandats et devancerait le Likoud… ! Cependant, la plupart des experts estiment
que les scores impressionnants réalisés par Benny Gantz sont passagers et que ce soutien massif devrait se tasser au cours des prochaines semaines au profit de Lapid et les deux partis pourraient se rééquilibrer. Qui conduira donc le bloc de centre gauche, seul capable de rivaliser avec le Likoud ? Lapid prétend que lui seul possède l’expérience politique indispensable pour remplacer Nétanyaou. Gantz, lui, peut avancer le soutien populaire dont il bénéficie pour l’instant. Une chose est sure : les deux leaders ont jusqu’au 21 février prochain, date de clôture des listes électorales pour décider. Ensuite ce sera trop tard. Face au bloc centriste et à Mendelblit, la nécessite de consolider un bloc de droite Dans les sondages, le Likoud reste solidement autour des 30 mandats. Mais il est probable que cette popularité du grand parti de droite ne lui soit pas suffisante pour conserver le pouvoir. Face au bloc de centre gauche qui est en passe d’être formé, il faudra que le Likoud développe, dans les prochains jours, un jeu d’alliances pour conserver son rang de principale formation politique. Et ce pour plusieurs raisons : L’éclatement de l’échiquier politique consécutif à l’entrée en lice de Benny Gantz et à la création par Benett-Shaked de la Nouvelle Droite, mettent en péril plusieurs formations de droite qui participent ou ont participé à l’actuelle coalition : ainsi, toujours selon les sondages, des formations comme Koulanou de Moché Kahlon, Israel Beitenou de Lieberman, ou encore le Foyer Juif qui s’est désigné comme leader le rav
Raphi Peretz, se retrouvent légèrement en déca ou au-dessus du seuil d’éligibilité qui est de 3,25 %. Sans compter les plus petites formations de la droite ou de la droite radicale telles que Zeout (Moché Feiglin), Ya’had (Elie Ychaï) ou encore Otzma. Au total ce sont près d’une quinzaine de mandats soit environ 600 000 voix revenant à la Droite nationaliste israélienne qui
risquent de partir en fumée. Binyamin Nétanyaou est conscient de ce
danger. Rétroactivement, il doit se mordre les doigts de n’avoir pas rabaissé ce seuil d’éligibilité avant de provoquer la dissolution de la Knesset. Ces derniers jours, le Premier ministre oeuvre afin de former un bloc sioniste-religieux qui rassemble le Foyer Juif et d’autres formations afin de garantir qu’il n’y ait pas de perte de voix. Il oeuvre également afin de persuader le parti Chass de rejoindre les orthodoxes ashkénazes dans un bloc qui obtiendrait plus d’une douzaine de mandats. Mais le véritable défi de Mr Nétanyaou sera de rapprocher deux formations qui idéologiquement
sont proches du Likoud, mais dont les leaders ont une solide dent contre lui, à savoir Koulanou et Israël Beitenou. Pour l’instant Kahlon et Lieberman promettent qu’ils ne s’allieront pas à Nétanyaou et ne se gênent pas pour le critiquer. Mais si les sondages confirment leur affaiblissement, il est possible qu’ils se laissent finalement séduire par une promesse du Premier ministre de disposer de portefeuilles séduisants (Finances pour Kahlon, Affaires Etrangères pour Lieberman). En 1996, Binyamin Nétanyaou avait persuadé son ennemi juré de l’époque David Levy de Guesher et l’ex chef d’état-major Rafaël Eytan de Tsomet de former avec lui un bloc de droite qui réunirait ces deux formations aux côtés du Likoud. La manoeuvre avait alors réussi. Est-ce que l’histoire se répètera, cette foisci ? On le saura, là encore, autour du 20 février… La seconde raison qui doit conduire Nétanyaou à former un solide bloc de droite est le spectre de son inculpation par le conseiller juridique Mendelblit (voir encadré). Il est difficile de prédire l’impact d’une telle décision sur une campagne électorale. Mais si le Likoud s’affaiblit, l’apport d’autres formations pourrait limiter les dégâts. La dernière raison qui doit conduire Mr Nétanyaou à former des alliances nous projette au lendemain des élections : en effet, à supposer que le Premier ministre soit mis en examen, le président de l’Etat
Rivlin qui, on le sait ne porte pas Nétanyaou dans son coeur, pourrait décider de ne pas lui confier le soin de former la prochaine coalition gouvernementale. Par contre, si le Likoud parvient avec le soutien d’autres partis à franchir le seuil des 40 mandats et si les partis orthodoxes et la Nouvelle droite de Benett recommandent de désigner Nétanyaou, le président Rivlin aura bien plus de mal à aller à l’encontre de la volonté d’une nette majorité. Une fois de plus, Mr Nétanyaou a commis de ce point de vue une erreur stratégique capitale en provoquant la dissolution de la Knesset avant que celle-ci ne vote la loi Saar qui devait contraindre le Président à désigner obligatoirement au lendemain des élections, le chef de file de la plus importante formation politique. Daniel Haïk