Pendant de longs mois, une équipe de spécialistes de l’IICT – un centre rattaché à l’Institut interdisciplinaire d’Herzliya – a mené des interviews approfondis avec 45 terroristes palestiniens purgeant des peines dans les prisons israéliennes après avoir commis des attaques violentes. De nombreuses leçons ont été tirées de cette enquête jusque-là inédite. Après avoir obtenu les autorisations nécessaires de l’Etat et de l’administration des prisons pour interroger des détenus en captivité, cette équipe d’experts menée par Boaz Ganor, le directeur de l’IICT, et par Ariel Merari, ex-doyen du Département de Psychologie de l’université de Tel-Aviv, a non seulement très longuement questionné ces terroristes, mais elle leur a fait passer
de nombreux tests afin de cerner leurs profils personnels, les moyens (dont un recours hyper-fréquent aux réseaux sociaux) qu’ils ont utilisés pour préparer leurs attaques, les éléments qui auraient pu les dissuader de réaliser leurs projets, et surtout les motivations qui les avaient poussés à finalement « passer à l’acte » en blessant, ou tuant des Israéliens. S’appuyant sur ces données et après avoir consulté en fin de recherche quelque 25 experts internationaux du phénomène des « loups solitaires du terrorisme », l’IICT a pu mettre sur pied une énorme « banque de données » en hébreu, en arabe et en anglais, qui a été bien sûr transmise au Shin-
Bet (les services intérieurs de sécurité d’Israël) et au Mossad, mais encore à plusieurs services de ce genre dans le monde. Une typologie très instructive du profil des « loups solitaires » En fait, comme pour ces terroristes, tout peut être utilisé en tant qu’arme d’attaque (un couteau de cuisine, un tournevis, ou d’autres ustensiles de cuisine ou des outils quelconques), le seul et unique moyen de tenter à l’avenir de prévenir ce genre d’attaques,
c’est de comprendre à fond leurs motivations en entrant en quelque sorte dans « l’esprit » de ces terroristes. Ainsi, lors de l’Intifada des couteaux (d’octobre 2015 à décembre 2015), quelque 700 terroristes (dont 85 % d’hommes et 15 % de femmes) ont perpétré en tout 560 attaques. 77 % de ces terroristes venaient de Judée-Samarie et 17 % de Jérusalem-Est. 5 Adar 1 5779 Lors des six premiers mois de cette vague terroriste, près de 50 % des attaques commises ont eu pour résultat de blesser ou tuer au moins un Israélien – un taux élevé considéré comme un « succès » pour ces actes terroristes. Mais ensuite, d’avril 2016 à décembre 2017, ce taux a chuté à seulement 25 %, tout simplement parce que le Shin-Bet et la police ont recouru massivement à Internet et aux autres médias électroniques pour
repérer ces terroristes très présents sur la toile et comprendre sur le fond leurs motivations et leurs façons d’agir. Un ensemble de données qui a permis aux forces de l’ordre israéliennes d’être bien plus efficaces pour prévenir ce type d’attaques. Ce qui, d’après Ganor, est encore rarement le cas dans les pays étrangers, même ceux subissant d’importants mais sporadiques attentats terroristes parfois bien plus meurtriers qu’en Israël… Quelles leçons l’IICT a-t-il tirées de cette enquête ? La première leçon; explique Ganor, est ressortie d’une longue interview qu’il a lui-même réalisée avec un commandant terroriste du Hamas déjà détenu depuis dix ans en prison. Quand il lui a demandé pourquoi il se trouvait incarcéré, cette personne lui a répondu : « Vous les Israéliens, vous m’avez mis en prison parce que je suis un combattant de la liberté ! ». Une phraseclé signifiant, explique encore Ganor, que son but était ce qu’il a appelé la « liberté » et le recours à la violence un « moyen » pour y parvenir. Après lui avoir fait remarquer que comme il avait attaqué délibérément des civils israéliens, il pouvait être qualifié de terroriste, Ganor lui a demandé s’il existait toutefois pour lui une forme de violence à laquelle il ne recourrait pas parce qu’elle serait contraire à son « système de valeurs »… Repérant la démarche de son interviewer, ce membre du Hamas lui a aussitôt rétorqué : « Je vois où vous voulez en venir : vous voulez me pousser à dire qu’il serait ‘immoral’ de tuer des civils… Mais il n’y a pas vraiment de civils en Israël, puisque tout un chacun et même vos enfants deviennent des soldats et des pilotes qui nous bombardent ! ». Mais revenant encore sur sa question, Ganor a insisté en lui demandant s’il n’existait pas pour lui un certain type de « limite » à cette violence terroriste… Suite à quoi, le prisonnier a semblé lui faire une demi-concession en disant que, oui, « dans votre système de valeurs à vous, il est interdit de tuer des enfants »… Ce qui, aux yeux de Ganor, serait une « bonne nouvelle » car cela indiquerait qu’il existerait un « débat interne » au Hamas et aux autres groupes terroristes de Gaza sur le recours aveugle au terrorisme, y compris contre les enfants israéliens… Loin de vouloir en quoi que ce soit respecter la logique de ce détenu, Ganor et son équipe en ont tiré une leçon capitale : à savoir que même si ces terroristes rejettent les valeurs morales occidentales, il est essentiel pour tous les stratèges de contreterrorisme de s’introduire au maximum dans toutes les « failles » des motivations des agresseurs afin d’en réduire l’intensité et la « massivité » les poussant à agir ! Autre leçon connexe issue de cette recherche : en quoi et comment toutes ces données recueillies auprès de ces 45 « loups terroristes » peuvent-elles aider désormais à mieux cerner leurs motivations et, à réussir à prévenir à l’avenir le passage à l’acte des « collègues » qui leur ressemblent tant ? Pour répondre à cette question, les enquêteurs ont recensé chez les interviewés trois types de motivation terroristes: leur idéologie (nationaliste, religieuse ou politique), leur vécu et leur personnalité (difficultés économiques, maritales, et familiales), leur
ressenti très subjectif de « l’honneur palestinien », et enfin leur profil psychologique les poussant parfois à estimer consciemment ou inconsciemment – qu’attaquer un policier est une forme de suicide. Ainsi, l’équipe de l’IITC a-t-elle établi que 54 % des détenus auraient préféré mourir pendant leur attaque anti-israélienne ! A partir de là, ces experts ont mis au point un « modèle-type » des divers facteurs poussant un « loup terroriste » à perpétrer son attaque : le type d’environnement familial et politique – propice ou non – du terroriste potentiel, son profil personnel, et aussi les périodes de hautes tensions politiques comme « l’Intifada des
couteaux », les « émeutes des détecteurs de métal » sur le mont du Temple ou bien encore l’ouverture de l’ambassade américaine à Jérusalem. Un ensemble de facteurs sur lesquels les forces de sécurité pourraient agir partiellement en repérant assez à l’avance sur les réseaux sociaux palestiniens le « coefficient de motivation » des candidats terroristes. Quelques suggestions pratiques… Constatant que l’IICT – en tant qu’institut
non-américain et non-gouvernemental – est le premier du genre à avoir accueilli des experts militaires américains en vue d’approfondir au maximum cette typologie des motivations terroristes, et prenant
en compte que les deux-tiers des détenus interrogés avaient été classés comme « psychologiquement instables », Ganor et Merari ont avancé quelques propositions pouvant, selon eux, aider à réduire à l’avenir l’intensité de cette forme de terrorisme« individuel ». Si c’est bel et bien majoritairement une forme de suicide auquel aspirent les apprentis
terroristes en attaquant au couteau un soldat ou un policier israélien, il serait possible – toujours d’après Ganor et Merari – soit de les dissuader préventivement sur Internet en leur faisant savoir à quelle déchéance ils s’exposent pour le reste de leur existence lorsqu’ils seront arrêtés, puis détenus de longues années en prison, soit indirectement de les pousser
à un suicide « classique » chez eux, ce qui les empêcherait de porter atteinte à quiconque et désamorcer leur potentiel terroriste… Remarquons à ce propos que la raison pour laquelle l’actuel chef du Shin-Bet, Nadav Argaman, s’est fortement opposé à l’instauration par la Knesset – suite à plusieurs propositions de loi – de la peine de mort contre les terroristes meurtriers, tient justement au fait que leurs motivations étant souvent « suicidaires », la perspective d’être ensuite exécuté par Israël après leur attentat et de « mourir en martyrs de la cause palestinienne » pourrait
au contraire les inciter encore davantage à agir… Ce qui, selon Argaman – par ailleurs lui-même partisan de longue date du « respect de la dignité religieuse e culturelle » des détenus palestiniens auxquels il recommande, en autres, d’autoriser la lecture du Coran en prison – produirait l’effet contraire à celui souhaité par ces législateurs pro-peine de mort, à savoir une augmentation des candidats au passage à l’acte ! Richard Darmon