On l’a déjà répété dans cette chronique : il ne nous appartient – en aucun cas – d’exercer un magistère et d’affirmer avec assurance qu’un lien existe entre nos actions et les événements mondiaux. Qui peut se permettre d’affirmer être porteur d’une annonce définitive, animé par le « roua’h hakodech » – une « intuition de sainteté » – pour apporter une réponse aux questions existentielles ou à l’énigme de la souffrance. Une telle outrecuidance n’est certes pas permise, cependant l’on ne saurait être aveugle face à des faits qui, eux, parlent par eux-mêmes. C’est de l’observation objective de ces faits qu’il est permis de tenter de comprendre les soubresauts de l’Histoire. On se souvient assurément de la prière angoissée de Yaakov Avinou, avant sa rencontre avec Essav : « De grâce, sauvemoi de la main de mon frère, de la main d’Essav » (Beréchit 32,12). Et les ‘Hazal soulignent que le danger que représente Essav peut être plus grand quand il se conduit comme un frère, car l’assimilation est alors
à notre portée. Dans un livre célèbre, « Pivoine», l’écrivain américain Pearl Buck présente une famille juive en Chine qui cherche encore à protéger ses traditions. Alors, l’un des personnages chinois s’exprime ainsi : « Soyez gentils avec les Juifs, ils s’assimileront à nous ». Par ailleurs, la bénédiction adressée par Its’hak à Essav : « Après avoir plié sous le joug (de ton frère),
ton cou s’en affranchira » (Ibid., 40), cette bénédiction est aussi commentée par Rachi : « Quand Israël désobéira à la Torah, alors tu pourras mettre en question les bénédictions reçues par Yaakov » (Rachi, ibid.). Selon
cette explication, la bénédiction reçue par Yaakov peut être mise en question quand Israël se détourne de la Torah. Il nous appartient ici de nous interroger : pourquoi ce regain actuel d’antisémitisme ?
Les attentats individuels se multiplient. Y a-t-il une orientation à ce réveil d’un antisémitisme violent ? Aux Etats-Unis, pays où les Juifs se sentaient en sécurité, l’attentat de Pittsburg a secoué le monde. Au lendemain de la Shoah, il semblait que l’antisémitisme reculait, mais ce recul n’a pas duré. La seule réponse à ces nouvelles agressions ne peut être que dans la prise de conscience de la vanité de l’assimilation. Le 19e siècle français, qui a peut-être été une époque bénie pour la relation des Juifs en France avec la
modernité, a débouché sur l’Affaire Dreyfus, preuve de l’échec de cette tentative d’assimilation. Qui aurait cru qu’après un massacre
cruel perpétré dans l’un des peuples les plus civilisés de la planète, la haine pour les Juifs se réveillerait avec une telle force ? La réponse à cette question ne s’inscrit pas, certes, dans une séquence logique de l’Histoire.
On ne tentera pas – on l’a dit – de donner une réponse rationnelle à une situation irrationnelle, mais ce qui importe, c’est de s’inscrire davantage dans le devenir d’Israël, c’est-à-dire de continuer à porter avec fierté et courage le message éternel dont Israël est le possesseur. Une tentative de laïciser, d’évacuer l’être religieux du judaïsme, ne peut avoir que des effets négatifs, car – et il est difficile de l’affirmer dans une époque où la technologie et le matérialisme prospèrent tant – si l’on efface l’aspect spécifique d’Israël, son lien irréductible avec la transcendance, la conséquence serait l’annihilation – à D.ieu ne plaise – du peuple. Cette
analyse n’est pas une lubie déraisonnable ou une vue trop subjective de l’Histoire, mais une réalité historique. Comment détacher l’existence juive de sa relation avec D.ieu ? Ce serait vider l’essence du judaïsme, qui s’est fondée sur la reconnaissance d’une Providence particulière, qui transcende
l’instant, dépasse l’individu, pour s’insérer dans l’universel. Le premier à avoir refusé de s’assimiler à la civilisation ambiante, c’est le premier patriarche, Avraham Avinou. Pour cette raison, il a été appelé Avraham HAÏVRI, de l’expression EVER – au-delà. Tout le monde est d’un côté, et
Avraham était de l’AUTRE CÔTÉ : refus de l’assimilation. C’est donc lui qui a célébré le premier ד’ קל עולם , « le Tout-Puissant D.ieu éternel » (Beréchit 21,33). Cette affirmation « D.ieu du OLAM, du MONDE CRÉÉ (OLAM – TEMPS et ESPACE) », cette annonce est la réponse absolue à l’antisémitisme, car elle implique la mission transcendante de l’Histoire du peuple d’Israël.