En provoquant, à la surprise générale un mini-Bing-Bang à Droite, Naftali Benett et Ayelet Shaked prennent un risque considérable : celui de réitérer l’échec de la Droite nationaliste en 1992, échec qui avait permis le retour au pouvoir d’Its’hak Rabin et le lancement du processus d’Oslo… Analyse La décision de Naftali Benett et d’Ayelet Shaked de quitter le Foyer Juif pour
créer la « Nouvelle Droite » a, de prime abord, pris de court l’ensemble de la classe politique israélienne en général, et la mouvance sioniste-religieuse en particulier. Et pourtant, ceux qui suivent le parcours politique du ministre de l’Education et de la ministre de la Justice savent, depuis longtemps, que le tandem Benett-Shaked n’a jamais caché ses ambitions nationales et a souvent sous-entendu que le Foyer juif était certes chaleureux mais qu’il ne serait qu’une étape sur la voie de la conquête du pouvoir en Israël, une ambition qui, il faut bien l’avouer, n’a jamais vraiment été celle des pères fondateurs du Foyer Juif, et de son ancêtre le Parti National Religieux. Il est vrai qu’au cours des 4 dernières années on a peut-être eu tendance à oublier ces aspirations tant Benett et Shaked ont su se distinguer chacun dans son domaine au sein du gouvernement, devenant même selon les derniers sondages les ministres les plus populaires du gouvernement sortant de Binyamin Nétanyaou. Mais Benett lui, n’a jamais caché son intention de devenir Premier ministre après Binyamin Nétanyaou. Et il a toujours su qu’il n’aurait aucune chance de briguer ce poste en demeurant à la tête du Foyer Juif… à moins que le Foyer Juif ne soit plus ce qu’il est encore aujourd’hui, à savoir un parti sectoriel reposant essentiellement sur la mouvance sioniste-religieuse. Même si elle est apparue précipitée et impulsive, la décision de Benett-Shaked, annoncée samedi soir dernier, a comme objectif de libérer ce tandem inédit de deux
emprises : d’abord de celle des structures souvent archaïques du Foyer Juif. Au cours des quelques jours qui ont séparé la dissolution du Parlement israélien de leur décision de quitter le parti, Benett et Shaked ont compris que s’ils restaient, ils seraient comme en 2013 et en 2015, « prisonniers » des institutions du parti et otages de l’aile droite du Foyer Juif, le mouvement I’houd Léoumi conduit par le ministre Ouri Ariel et le député Betzalel Smotrich. Benett et Shaked ont compris que, cette fois encore, ils ne pourraient pas composer librement la liste électorale de leur choix et faire en sorte que celle-ci rassemble autant de laïcs que de religieux. Ils ont pris conscience qu’ils resteraient plus que jamais dépendants de l’avis des rabbanim sionistes-religieux tels que le rav Haïm Druckman qui avait joué un rôle déterminant dans la volte-face effectuée par Benett le mois dernier lorsqu’il avait renoncé à quitter le gouvernement sans pour autant avoir obtenu le portefeuille de la Défense. La seconde emprise dont Benett et Shaked ont voulu se libérer, est celle de Binyamin Nétanyaou. D’une certaine manière, cette démarche est aussi un acte de vengeance, froid et calculé, envers un Premier ministre qui ne les a jamais ménagés.
Benett et Shaked n’ont pas oublié l’humiliation que Nétanyaou leur a fait subir en 2013 lorsqu’il avait tout fait pour former une coalition dans laquelle le Foyer Juif ne figurait pas. Ils n’ont pas oublié comment en 2015, Binyamin Nétanyaou a appelé à l’aide l’électorat sioniste-religieux afin qu’il renforce le Likoud au détriment d’un Foyer Juif qui s’est retrouvé avec seulement 8 mandats alors que les sondages lui en prédisaient 12 ! Plus récemment, le mois dernier très exactement, ils n’ont pas oublié le refus du Premier ministre d’attribuer à Benett le poste de la Défense Nationale laissé vacant par Lieberman. Et la semaine dernière, ils n’ont pas « digéré » que Mr Nétanyaou, qui prétendait en novembre que provoquer la chute du gouvernement était irresponsable, n’ait pas hésité en décembre à plonger le pays dans des élections anticipées uniquement parce qu’il voulait obtenir à nouveau la confiance du peuple, avant que le Conseiller Mendelblit ne publie sa décision de l’inculper… ou non. En créant leur « Droite Nouvelle », Benett et Shaked concrétisent donc la seconde étape de leur plan de conquête du pouvoir. Ils fondent un parti résolument nationaliste qui refuse la création d’un Etat palestinien mais qui rassemblera en son sein, laïcs et religieux ; un parti qui pourra récupérer des voix dans la formation centriste de Lapid, dans la formation, encore virtuelle pour l’instant, de Benny Gantz mais également au Likoud. Peut-être même espèrent-ils en aparté, qu’une possible inculpation du Premier ministre fera fuir vers la Droite Nouvelle une partie de l’électorat idéologique du Likoud. Cependant, il y a dans cette démarche un pari osé et un énorme risque. En effet la classe politique israélienne est composée de deux types de formations : celles qui reposent sur une solide base militante et idéologique, sur un électorat inconditionnel qui de consultation en consultation dépose toujours le même bulletin dans l’urne : c’est le cas par exemple des noyaux au sein du Parti Travailliste- Camp Sioniste, du Likoud et aussi… du Foyer Juif. Et puis il y a les partis « d’atmosphère » qui se sont créés, sans socle
idéologique, en rassemblant souvent des déçus de la Gauche et des frustrés de la Droite. Dans l’histoire d’Israël, il s’est souvent agi de partis éphémères tels que le parti du Centre fondé en 1999 et disparu en 2003, ou encore le parti Kadima qui dirigea le pays entre 2006 et 2009 avant de disparaître en 2013, sans parler du Dash fondé en 1977 et disparu en 1981 ! D’ailleurs à l’exception de cette dernière formation, la plupart de ces partis ont vu le jour, entre autres, pour défier un certain… Binyamin Nétanyaou ! La nouvelle Droite de Benett et Shaked pourrait bien être l’une de ces formations d’atmosphère sans véritable lendemain. Si cela devait être le cas, le bloc de Droite pourrait bien se retrouver en minorité. Voilà pourquoi le défi lancé samedi soir par Naftali Benett et Ayelet Shaked est à la fois audacieux mais périlleux et également déroutant. Et d’ailleurs la classe politique n’a pas été la seule à avoir été prise de court par cette
initiative de Benett-Shaked. Même l’opinion publique ne l’a pas vu venir, comme en témoignent les résultats des sondages réalisés au lendemain de ce mini-bing bang : en effet certains instituts (comme celui de la première chaîne) ont accordé 14 mandats à cette nouvelle formation tandis que d’autres (comme celui de la seconde chaîne) ne lui en ont accordé que 6 ! Cette incroyable variation pourrait également prouver que le message d’unité et de rassemblement lancé samedi soir par Benett et Shaked n’a pas été suffisamment bien compris et assimilé par les Israéliens. Une chose est sure : alors que l’on parlait il y a deux semaines d’unité exemplaire de la Droite face à une dispersion dramatique de la Gauche, voilà que depuis l’annonce de Benett-Shaked, on constate un morcellement de la Droite qui pourrait avoir de son point de vue des répercussions dramatiques, face à des tentatives de former un front commun de centre gauche qui rivaliserait avec le Likoud de Nétanyaou. C’est bien la preuve qu’il serait incohérent de faire de sérieux pronostics quant aux chances de Mr Nétanyaou de conserver son fauteuil de Premier ministre après le 9 avril et quant aux probabilités de voir la Droite réunir une majorité parlementaire. Daniel Haïk