Nous avons rencontré le grand rabbin de Strasbourg rav Avraham Weill dans les couloirs de la Knesset le jour même où le gouvernement israélien a failli chuter. Il participait ce jour-là aux travaux du comité permanent de la Conférence des Rabbins Européens. Il nous a fait partager ses réflexions.
Haguesher : Rav Avraham Weill, quels ont été les principaux dossiers soulevés lors de cette réunion du Comité permanent à Jérusalem ? Rav Avraham Weill : C’est la première fois que le comité permanent de la CRE se réunit officiellement en Israël. D’ordinaire nous nous retrouvons dans l’une des capitales européennes. Cette rencontre importante avait un double objectif : poursuivre les échanges fructueux que nous avons entre grands rabbins dans les communautés d’Europe sur les principales problématiques auxquelles nous sommes confrontés. Il s’agit essentiellement de dossiers comme celui de la casherout et de la Ché’hita, ou de la Brit Mila. Il faut savoir par exemple que, dans quelques semaines, la Ché’hita sera interdite en Belgique. Nous rencontrons également des problèmes dans les écoles juives en raison d’une interaction avec l’Etat et bien évidemment nous avons parlé d’un problème malheureusement récurrent : celui de l’antisémitisme en Europe. Le second objectif était de pouvoir justement, de par notre présence en Israël, dialoguer avec les principaux responsables israéliens des problèmes que je viens de citer et de voir qu’elle peut être l’apport d’Israël pour tenter de les résoudre, ensemble. Nous avons donc passé une partie importante de nos travaux dans l’enceinte de la Knesset précisément au coeur de la crise
politique qui s’y produisait. Je dois souligner que nous avons rencontré le ministre de la Diaspora Naftali Benett le jour même où l’on pensait qu’il allait démissionner et faire chuter le gouvernement. Et malgré cette crise aiguë, Naftali Benett n’a pas annulé notre rencontre. Au contraire, il s’est montré attentif à nos propos et à nos demandes. Et nous lui en sommes reconnaissants. D’ailleurs il nous a délivré un message très fort. Il nous a clairement dit qu’après les défis sécuritaires de l’Etat d’Israël, sa principale
préoccupation, dans son action politique, est de renforcer les liens avec le Judaïsme de Diaspora et de lutter au mieux contre les problèmes d’assimilation. Il nous a promis de consolider ses relations avec la CRE et plus généralement avec l’ensemble des Juifs en Europe.
– Est-ce que les problèmes auxquels vous êtes confrontés dans le Judaïsme européen vous conduisent à solliciter une aide, un soutien, des conseils en Israël ?
– Tout à fait. Et cela à deux niveaux. Nous avons, durant nos travaux, rencontré les représentants politiques de l’Etat d’Israël mais nous avons également consulté les Grands Maîtres de notre génération comme le gaon rav Haïm Kanievski et le gaon rav Guershon Edelstein chlita et nous leur avons expliqué, en détails, la situation actuelle du judaïsme en Europe. Je dois avouer que leurs conseils ont été précieux et nous ont éclairés sur la voie à suivre.
– Il y a eu également une cérémonie émouvante durant vos travaux à la Knesset. De quoi s’agit-il ?
– Effectivement vous parliez de coopération entre les rabbanim en Europe et les autorités israéliennes. Alors voici probablement le meilleur exemple de cette collaboration : la Knesset a récemment voté la fameuse loi sur les Agounot. Désormais et grâce à l’étroite coordination entre les Baté Din en Europe et en Israël, il est possible pour les Baté Din en Eretz Israël d’infliger des sanctions très sévères à des maris
réfractaires qui se trouveraient en Israël mais ne seraient pas de nationalité israélienne. Cette loi a eu un impact incroyable puisque depuis qu’elle a été votée, nous avons réussi à « libérer » 12 Agounot ! Nous avons d’ailleurs tenu avec le grand rabbin de Moscou, Pinhas Goldshmidt qui est le président de la CRE et qui est très actif dans ces démarches, à rendre un hommage appuyé aux députés israéliens qui ont promu cette loi et nous avons donc organisé, mercredi dernier, une petite cérémonie à la Knesset pour les remercier de leur action bénéfique. C’est un cas typique de coopération déterminante entre le CER et les instances israéliennes.
– Quelle est la place de l’éducation juive dans les rencontres que vous avez eues avec les dirigeants israéliens ?
– Avec Naftalit Benett, nous avons pu également parler de programmes d’éducation juive en Diaspora et de l’animation auprès des jeunes. Le ministre s’est montré très ouvert et disponible dans ce dossier et nous avons pu comprendre de ses propos qu’il était prêt à oeuvrer main dans la main avec nous pour favoriser la diffusion de cet enseignement. Je puis vous dire que plusieurs membres du comité permanent de la CRE qui sont, soit des grands rabbins de villes européennes, soit des Dayanim, ont été surpris de découvrir la palette de propositions que le ministère de la Diaspora était prêt à mettre à notre
disposition. – Vous parliez des difficultés liées à la Ché’hita et à la Mila. Est-ce qu’il est possible que les responsables politiques israéliens interviennent auprès des dirigeants européens pour tenter d’empêcher des démarches comme l’interdiction de la Ché’hita en Belgique ?
– Pour l’instant non. D’ailleurs, nous avons pu constater que Naftali Benett n’était pas vraiment au courant de l’urgence de ces problématiques. Il ne savait pas que l’on allait interdire la Ché’hita dans les prochaines semaines en Belgique ! Et a été très surpris. Donc pour l’instant, nous n’avons pas sollicité l’intervention officielle d’Israël mais il n’est pas impossible que cela se fasse le moment venu.
– Avez-vous également parlé d’Alya durant vos rencontres ?
– Ce n’était pas le sujet à l’ordre du jour mais nous avons constaté que parmi les dirigeants israéliens que nous avons rencontrés comme Benett et même comme le président Rivlin, qu’ils étaient soucieux de ce qui se passe en Europe mais qu’ils comprenaient parfaitement que tous les Juifs d’Europe n’allaient pas monter en Israël et que donc il fallait maintenir dans nos communautés des structures éducatives et religieuses solides pour conserver et renforcer l’identité juive. Enfin il a été question de l’intégration des olim et en particulier là encore en matière d’éducation. Nous avons évoqué la nécessité de fournir aux olim des structures éducatives performantes qui leur permettent non seulement de conserver l’identité juive qui était la leur en Europe mais qui leur permette également de la renforcer sur la Terre d’Israël. C’est un défi qui n’est pas simple mais qu’il faut relever.
Propos recueillis par Daniel Haïk