Binyamin Nétanyaou a accusé son ancien ministre de l’Intérieur (et de l’Education) Gidéon Saar d’avoir tenté une manœuvre politique visant à le destituer au lendemain d’élections anticipées. Le Premier ministre n’a pas fourni de preuves de ses graves accusations mais il semble avoir tenté délibérément d’éliminer (politiquement) Saar en perspective d’élections anticipées. Une manœuvre qui n’a pas plu à tout le monde au Likoud. Analyse.
L’affaire a secoué le landernau politique en fin de semaine dernière, avant de se tasser, laissant la place à d’autres préoccupations plus graves comme l’attentat à Pyttsburgh ou la énième tension autour de Gaza. Mais ses séquelles pourraient bien ressurgir avec plus d’acuité, à la première occasion, c’està- dire, lorsque le Likoud devra présenter sa liste électorale aux prochaines Législatives ou encore si le conseiller juridique du gouvernement devait présenter un acte d’accusation sévère contre le Premier ministre. Mais pour mieux comprendre le tremblement de terre qu’elle a provoqué au Likoud, il faut rappeler les faits :
Il y a un peu plus de deux semaines, à la veille de la rentrée parlementaire, les observateurs s’accordaient à penser que Binyamin Nétanyaou avait décidé de devancer les élections législatives afin qu’elles interviennent au début de l’année 2018. Le prétexte avancé alors, -nous l’avions mentionné- : les difficultés autour du vote de la loi sur l’enrôlement des élèves des yéchivot. Mais après que les ‘harédim aient nuancé leur opposition, on a soudain remarqué le silence radio complet de l’entourage de BN à propos d’éventuelles élections anticipées. C’est le Israël Hayom, le quotidien gratuit proche de Mr Nétanyaou qui a révélé le motif principal de ce mutisme : le Premier ministre aurait reçu des informations secrètes sur l’intention du président de l’Etat Reouven Rivlin de ne pas lui confier le soin de former la future coalition au lendemain des Législatives et ce même si le Likoud devait sortir largement vainqueur du scrutin. En d’autres termes le président utiliserait les très maigres prérogatives dont il dispose, selon la loi, pour provoquer un véritable « putsch ». Sollicité, le président a quasiment traité le Premier ministre de paranoïaque… ! Mais pour les observateurs, un tel cas de figure, aussi stupéfiant soit-il, peut reposer sur un fond de vérité : ce n’est un secret pour personne: Nétanyaou et Rivlin se détestent cordialement en particulier depuis que le Premier ministre a tout fait pour empêcher Rivlin d’être élu à la présidence de l’Etat. Mais au bout du compte il a dû s’incliner après la campagne sans faute de Rivlin, une campagne conduite d’ailleurs par un certain Gidéon Saar. Un Gideon Saar qui apparaît dans le second acte de cette « machination ». En effet le lendemain des révélations du Israël Hayom, Binyamin Nétanyaou qui fête, ce soir-là son 69e anniversaire lance un second pavé dans
la mare : « Ce n’est pas le président qui a manigancé ce «putsch» mais un ancien ministre influent du Likoud dans le but de me destituer ». Peu après, un conseiller du Premier ministre se dévouera pour confirmer que cet ex-ministre influent est bien Gideon Saar. Pour rappel : Saar était le très populaire ministre de l’Intérieur de Nétanyaou (2 fois premier aux Primaires du Likoud !) lorsqu’il a annoncé en septembre 2014 qu’il faisait un « break » et quittait provisoirement la vie politique. Saar avait compris à l’époque que s’il restait sur le devant de la scène politique, Nétanyaou qui le considérait comme son plus sérieux obstacle aurait tout fait pour l’écarter. Il s’est donc mis en réserve de la « République », dans l’attente d’un départ du Premier Ministre. Le problème est que Nétanyaou ne part pas et n’a pas l’intention de prendre sa retraite. Saar qui s’est impatienté a repris une activité militante au Likoud. Il parcourt le pays en serrant des mains et en exposant sa vision des choses et est partout accueilli comme un dauphin non proclamé. Ce qui ne manque pas d’agacer Nétanyaou (et son épouse). L’accusation de complot portée par le Premier ministre contre Saar a été formellement démentie le lendemain par ce dernier qui, au passage, a eu le courage ou l’inconscience de qualifier Nétanyaou de menteur. En effet au
Likoud, l’une des traditions les plus solidement ancrées est que l’on respecte de manière absolue le leader du parti (à plus forte raison lorsqu’il s’agit de Nétanyaou) et que l’on jette au piloris ceux qui osent le critiquer. Donc de prime abord, Saar pourrait payer cher son toupet, même s’il n’a fait que dire la vérité. Cependant, en lançant ces accusations, Nétanyaou prend le risque de créer une vive tension au sein même du Likoud en pleins préparatifs électoraux ce qui ne risque de l’affaiblir. L’électorat du Likoud aime voir sa formation unie et s’il devait s’avérer que les accusations de Nétanyaou étaient vaines, cela écorcherait son prestige et ce au moment le plus inopportun. D’ailleurs, on a remarqué que
lors de ces empoignades entre Nétanyaou et Saar, aucun ministre Likoud n’a souhaité se positionner pour l’un ou l’autre des deux frères ennemis de crainte d’en subir les ricochets. Ceci étant, il ne faut
pas oublier que l’ombre du conseiller juridique du gouvernement plane de plus en plus solidement sur le Likoud. Si le Dr Mendelblit devait inculper Nétanyaou de corruption peu avant les élections anticipées, entre janvier et mars 2019, alors ces vaines accusations contre Saar pourraient se rajouter dans la balance au passif délicat du Premier ministre qui serait nettement affaibli. Dans un tel cas de figure,
Saar pourrait bien ressurgir et se présenter comme le sauveteur du parti. Autre cas de figure qui pourrait se rapprocher des premières accusations lancées contre Rivlin : Si Mr Nétanyaou devait être inculpé avant les élections, il n’est pas impossible que le président de l’Etat annonce arbitrairement qu’il ne peut honnêtement confier le soin de former un gouvernement à un homme soupçonné de tels chefs d’accusations. Là encore la loi permettrait dans l’absolu à Rivlin de proposer à son ami Saar de former un gouvernement (à condition que Saar soit député). Encore faudrait-il que les chefs de file des partis de droite « lâchent » eux aussi Nétanyaou et propulsent Saar. Peu probable. Mais pas impossible. Toujours
est-il que face à cette incertitude on a décidé au Likoud de voter au plus vite un amendement à la loi sur le Président de l’Etat, qui oblige le président à confier au chef du plus grand parti le soin de former la coalition, ce qui de facto consisterait à confier obligatoirement à Nétanyaou une telle mission.
Affaire à suivre. Daniel Haïk