Surtout marquée par l’implication militaire grandissante de l’Iran aux côtés du régime Assad dans une Syrie protégée depuis trois ans par le bouclier aérien massif de la Russie, l’année 5778 a été aussi celle des nouveaux reculs de Daësh, d’un début de retour des USA sur la scène régionale, de la fuite en avant sans perspective du Hamas de Gaza et du renforcement de l’alliance d’Israël avec certains de ses voisins sunnites. Le tout, alors que la Chine est en train de déployer une stratégie alternative pour s’implanter elle aussi au Moyen-Orient. Autant de dynamiques connexes liées à l’impact d’un nouvel ordre économique mondial en gestation qui présente aussi d’intéressantes opportunités pour Israël.
1/ Le déploiement militaire russe continue de modifier les équilibres régionaux La persistance de l’intervention russe au coeur de la guerre civile syrienne pour défendre le régime Assad a continué de transformer les rapports de force militaires toujours complexes et volatiles du Moyen- Orient. Surtout en cette époque instable qui ne ressemble en rien plus à celle du début des années 1990 et de la fin de la Guerre froide. L’habile stratégie « impériale » développée par Poutine pour refaire de son pays une superpuissance dominante consiste à compenser son pouvoir économique assez limité par une présence russe démultipliée dans plusieurs zones géostratégique-clés (Europe centrale et Moyen-Orient), ainsi que par le recours à des interventions cybernétiques pirates capables d’avoir un réel impact à l’étranger – comme on l’a constaté lors des dernières élections présidentielles américaines.
2/ Premier affrontement militaire direct Iran-Israël ! Après avoir déjà transformé le Liban en une province quasi-coloniale grâce à son « bras avancé » qu’est le Hezbollah chiite, l’Iran s’est encore plus impliqué en Syrie au plan militaire en y construisant des bases, des arsenaux et même des fabriques de missiles. C’est que les Iraniens attendent qu’une fois vaincus les djihadistes de Daësh et de la rébellion sunnite, les Russes ne soient contraints de se retirer plus vite que prévu de Syrie. Un positionnement de Téhéran qui ne manquera pas de créer de hautes tensions avec Moscou. Résultats inévitables : l’Iran n’a pas hésité en mai dernier à tirer depuis la Syrie plusieurs dizaines de ses missiles en direction d’Israël – non sans recevoir en représailles une amère leçon administrée par l’aviation de Tsahal qui a réduit à néant en une seule nuit la plupart des QG. et des bases iraniennes implantées dans ce pays. Il reste que grâce à la Pax Poutina étonnamment acceptée par Trump, l’axe irrédentiste « dur » Téhéran-Bagdad-Damas- Beyrouth-Gaza-Istanbul n’a jamais été aussi fort et dangereux…
3/ Malgré ses reculs militaires, Daësh reste dangereux Dans l’est syrien ou à l’ouest irakien, presque chaque mois de l’année écoulée a été marqué par des défaites significatives de Daësh (Etat islamique – EI), dont les djihadistes ont dû abandonner plusieurs bastions. En Syrie : la grande ville de Raqqa ainsi que la province de Deir el-Zor ; et en Irak : le fief pétrolier de Mossoul ainsi que la région d’Al-Qaïm dans la province d’Al- Anbar. Or, malgré ses revers militaires et la chute de facto de son Califat en Irak et en Syrie, l’EI est loin d’être à terre : entre juin 2014 – date de la proclamation du Califat – et juin 2018, l’EI a commis ou inspiré plus de 180 attentats dans 35 pays (autres que la Syrie ou l’Irak) qui ont tué au moins 2 500 personnes… C’est que Daësh se déploie à présent sur d’autres terrains et continue sa stratégie terroriste en sponsorisant des attentats locaux. Car en passe de retourner à la clandestinité sur ses terres historiques, l’EI s’est disséminé à travers le monde, de l’Afrique à l’Asie du Sud-Est et jusqu’en Birmanie en s’engageant auprès des rebelles musulmans Rohyingyas !
4/ Une amorce de retour des USA au Moyen-Orient Comprenant qu’on ne peut résorber les nombreux foyers de tension moyen-orientaux par de seuls actes symboliques « au coup par coup » (comme les deux derniers bombardements US. en Syrie), l’administration Trump a déployé des efforts en 5778 pour ne pas perpétuer la politique étrangère désastreuse d’« apaisement noninterventionniste » promue huit ans durant par Obama. Ainsi, les USA ont-ils quelque peu renforcé leur aide à une partie de la rébellion syrienne anti-Assad et déployé plus de soldats et d’instructeurs dans l’estsyrien. Cela n’a pas empêché Trump de commettre plusieurs erreurs diplomatiques face à Poutine, notamment lors leur dernier sommet quand le président américain n’a pas exigé de manière ferme de Moscou une
date-butoir pour le départ de l’armée russe de Syrie ni surtout la fin de l’Iranisation accélérée du territoire syrien à proximité de la frontière israélienne… Toutefois, il semble bien que Washington ait compris ces dernières semaines qu’il était de son propre intérêt de limiter cette dangereuse présence iranienne en coordination étroite avec Israël.
5/ Le Hamas de Gaza dans l’impasse Une centaine d’activistes palestiniens tués (dont 90 % membres du Hamas) et 9 000 blessés : ce sont les chiffres du bilan des émeutes dument orchestrées, six mois durant, par un Hamas à bout de souffle et de plus en plus impopulaire à Gaza. Lequel avait appelé ses partisans à forcer la frontière israélienne lors des Grandes marches du retour : en fait des tentatives d’infiltrations
terroristes en territoire israélien. Il reste que l’unique objectif un tant soit peu réaliste de cette dérisoire fuite en avant stratégique a été en partie atteint : s’attirer la compassion automatique de l’ONU et de l’Europe, deux instances spécialisées dans la détestation systématique d’Israël ! La « communauté internationale » a en effet continué de refuser à l’Etat d’Israël le droit pourtant légitime de défendre
sa frontière, comme le ferait n’importe quel autre Etat souverain digne de ce nom en de pareilles circonstances… Et donc après les bombes humaines, les fusillades routières, les voitures-béliers, les poignardages, les tirs de roquettes et de mortier – qui ont triplé depuis le retrait israélien de Gaza d’août 2005 – et après l’échec de ces assauts contre la frontière de Gaza, la dernière trouvaille du terrorisme palestinien : des cerfs-volants et des ballons incendiaires envoyés sur le Néguev occidental !
6/ Des intérêts communs entre Israël et certains pays sunnites Face aux velléités hégémoniques grandissantes de l’axe irano-chiite qui souhaite dominer les pays musulmans sunnites – et qui seront presque imparables si l’Iran dispose de l’arme nucléaire -, on a vu se renforcer en 5778 cette alliance atypique, non-religieuse et non-ethnique d’Israël et des USA avec certains Etats musulmans sunnites (Egypte, Arabie Saoudite, Jordanie et Etats du Golfe) rendus très inquiets par les ambitions « impériales » de l’Iran des mollahs au plan régional. Une alliance dotée de clairs objectifs de défense stratégique commune… à l’heure où d’autres pays sunnites radicalisés – tels le Qatar et la Turquie – se sont rapprochés de Téhéran. Plusieurs exemples d’une « coopération officieuse » en cours entre Ryad et Jérusalem aux plans stratégique, diplomatique et même militaire ont ainsi été cités cette année par la presse israélienne. Ce qui s’est concrétisé par de récentes rencontres – notamment en Egypte – entre le prince héritier saoudien Mohammed Ben Salman (MBS) et de hauts représentants israéliens, égyptiens et saoudiens.
7/ Le retour discret mais tous azimuts de la Chine au Moyen-Orient Parvenu au rang de 2e puissance économique du monde, la Chine a une tout autre stratégie que la Russie – surtout parce que son potentiel militaire global manque encore d’ampleur : se positionnant comme superpuissance aux visées hégémoniques, ce gigantesque pays a opté pour une méthode plus discrète et à plus long terme lui permettant de créer et d’organiser de très longues voies commerciales le reliant au Moyen-Orient en en bâtissant toutes les infrastructures. Le long de ces nouvelles routes internationales, Beijing a donc
investi des milliards de dollars dans plusieurs dizaines de pays pour construire des autoroutes, des voies ferrées ainsi que des ports commerciaux ultra-modernes. Et ce, en renforçant sa marine de guerre et en consolidant à Djibouti sa première base militaire au Moyen-Orient jouxtant la seule base américaine d’Afrique : une présence qui ne pourra que se renforcer lors des prochaines décennies…
8/ L’impact régional d’un nouvel ordre économique en gestation Les nouvelles alliances géopolitiques nouées au Moyen-Orient par les acteurs régionau et par les superpuissances russe et chinoise sont liées de près aux enjeux d’un nouvel ordre économique mondial en gestation se soustrayant progressivement de la domination occidentale. Ainsi le nouvel espace économico-financier de la BRIC (Brésil-Russie- Inde-Chine) forme-t-il depuis presque une décennie plus de 17 % des 66 milliards de milliards de $ de l’économie mondiale avec pour ambition de dépasser les résultats du G7… de la même manière que la Chine supplanterait les USA grâce à ses futurs profits faramineux de la Route de la Soie reliant ce pays-continent au centre de l’Asie, au Moyen-Orient, à la Méditerranée orientale, puis à la Corne de l’Afrique et à l’Europe. La Chambre du Commerce international lancée par Beijing regroupe ainsi quelque 75 pays dont de fortes puissances économiques comme la Chine, l’Inde et la Russie et – au plan régional – l’Iran, l’Irak, la Syrie, la Turquie et la plupart des Etats musulmans du Moyen-Orient et du Maghreb. Israël pourrait être aussi concerné de par sa situation géographique originale permettant la jonction mer Rouge/Méditerranée par un futur TGV Eilat-Ashdod.
9/ Une interdépendance accentuée Ces nouvelles donnes concernant les zones d’influence macro-économiques au sein des grandes régions du monde génère d’innombrables conséquences géopolitiques au Moyen-Orient : tensions prévisibles et déjà perceptibles entre la Russie et l’Iran pour l’acheminement vers la Méditerranée des ressources énergétiques (gaz et pétrole) grâce à un oléoduc et un gazoduc censés traverser le territoire syrien et/ou la Turquie ; future concurrence exacerbée entre l’Egypte et Israël pour la construction des axes de transports devant relier la Route de la Soie à la Méditerranée et l’Est-africain ; désintérêt progressif des USA pour l’Or noir du Moyen-Orient, l’Amérique devenant à moyen terme autosuffisante avec sa production locale de pétrole schisteux ; agressivité grandissante de la Chine envers les USA depuis que l’administration Obama elle-même a avancé ses pions militaires et économiques contre Beijing dans toute la région du Pacifique… De plus, comme les flux économico-financiers extérieurs d’Israël se déplacent vers l’Asie (Inde), l’Extrême-Orient (Chine, Vietnam), la zone Pacifique et vers l’Afrique, les retombées économiques et diplomatiques des pressions d’une Europe structurellement anti-judaïque et gangrénée par l’islam radical pourraient s‘amenuiser et entraîner – sous l’effet durable des « hivers islamiques » du Moyen-Orient – une relativisation progressive de la question palestinienne. Avec pour conséquence envisageable une dés-internationalisation de ce conflit qui rendrait peut-être sa résolution moins complexe.
RICHARD DARMON