Me Yom Tov Kalfon est un avocat spécialisé dans le droit international. Mais depuis plusieurs années, il a décidé de se mobiliser en faveur de la communauté francophone d’Israël. Il y a un an, il a créé avec Arié Abitbol Aleinou, un mouvement visant à offrir à cette communauté une meilleure représentation politique. Aujourd’hui Aleinou peut s’enorgueillir d’avoir réveillé à la fois la communauté et les élus politiques israéliens. Il nous rappelle l’origine et les enjeux d’Aleinou.
– Haguesher: Yom Tov Kalfon comment est né Aleinou ?
– Yom Tov Kalfon : Nous avons commencé à réfléchir au projet, il y a deux ans, avec Arié Abitbol. Pendant un an nous avons posé les bases d’Aleinou. Nous voulions créer une force politique pour les francophones en Israël. Pourquoi ? Parce que, dans nos parcours respectifs, nous avons ressenti fortement ce manque de représentation politique. Arié est depuis longtemps impliqué dans l’alya et il a pu constater, à de multiples reprises, comment l’absence de représentation politique influait négativement sur l’intégration des olim de France. De mon côté également, j’étais conseiller d’un député à la Knesset et coordinateur du lobby parlementaire francophone et j’ai constaté les mêmes
carences. Et j’ai pu voir comment d’autres communautés parvenaient grâce à leur force politique à obtenir ce qu’elles voulaient alors que les francophones restaient sur la touche. Dès le début du projet, nous avions en ligne de mire les élections municipales de 2018. Parce que nous avons compris que de nombreux dossiers liés à l’intégration étaient réglés à l’échelle municipale. Et c’est pour que les francophones aient plus de poids politiques dans les mairies que Aleinou.
– Au début, Aleinou voulait créer une « force de frappe » municipale francophone qui soit porté par l’ensemble de la communauté. Mais aujourd’hui, on remarque, et c’est marquant en particulier à Jérusalem , que ce front francophone ne s’est pas concrétisé et qu’à la place il y a des représentants francophones dans chacune des listes. Et de facto la communauté est divisée. N’est pas là une erreur d’aiguillage pour votre projet ?
– C’est une très bonne question : la stratégie de base était effectivement de rassembler la communauté francophone autour d’un candidat qui serait tête d’une liste francophone. C’est ce que nous souhaitions à l’origine dans des villes comme Jérusalem et Natanya où il y a une véritable force francophone .
M ais nous n’avons pas voulu imposer dans chaque ville, notre vision et nous avons opté pour une action coordonnée avec les militants sur le terrain. A Jérusalem, nous avions réuni tous les potentiels candidats afin qu’ils se rassemblent sur une véritable liste francophone. Ça n’a pas marché partout pour diverses raisons. A Raanana, nous avons une liste francophone qui se présente sous le sigle d’Aleinou. Et la liste
d’Olivier Rafovitz à Tel Aviv s’inscrit dans notre projet. Mais ce qui peut paraître comme un échec ne l’est pas car finalement, pour parler de Jérusalem, la présence de candidats francophones dans la
plupart des listes à des places éligibles est incontestablement un succès et la conséquence directe de l’initiative d’Aleinou car nous sommes aussi allés voir les têtes de ces listes municipales pour leur expliquer la force de l’alya de France. Et pour la première fois, grâce à nos démarches, les responsables politiques municipaux prennent la communauté francophone au sérieux et sont conscients de son poids et de sa représentativité. Et de facto, pour la première fois, il y a de fortes chances pour que plusieurs représentants francophones siègent au conseil municipal de la capitale.
– Vous pouvez nous donner un exemple de votre intervention auprès des têtes de liste ?
– Bien sûr : très tôt dans la campagne à Jérusalem, nous sommes allés voir Moché Leon. Nous lui avons parlé de la communauté et nous lui avons proposé de placer dans sa liste Joel Burstin. Nous avons fait la même démarche auprès de Haguit Moché en lui proposant de placer Sam Kadosh et dans les deux cas ils
nous ont suivi. Certains ne nous ont pas contacté et ont vu qu’il y avait un francophone dans les autres listes et ils ont décidé d’un placer un. Et c’est une bonne chose. Mais je crois que ce qui paraît impressionnant n’est rien d’autre qu’une démarche normale et logique. Il y a des villes en Israël où 6 à 7 % de la population est francophone. C’est la moindre des choses qu’il y ait un francophone dans leur conseil municipal. Je prends l’exemple de Natanya : avec la campagne que nous avons menée je pense qu’il y aura trois francophones dans le conseil municipal soit 10 % des membres de ce conseil. Cela ressemble à une révolution mais dans l’absolu, c’est dans l’ordre des choses.
– Une fois que ces francophones siègeront dans ce conseil, quelle sera la mission d’Aleinou ?
– Nous espérons que ces élus francophones, fédérés par Aleinou commenceront très vite à faire bouger les choses en faveur de l’alya francophone et d’une meilleure intégration des olim de France. Parce que finalement c’est l’objectif que nous nous sommes fixés. Nous espérons également que cette dynamique se répercutera aussi à l’échelle nationale en particulier à l’approche d’élections législatives. Et que cela va réveiller les consciences de certains partis politiques qui jusqu’à présent n’envisageaient pas de désigner des candidats francophones. L’autre effet est que j’entends des francophones qui veulent se présenter dans les primaires de certaines formations afin de s’insérer dans les listes électorales à des places éligibles.
– Un mot sur le public orthodoxe. Il faut rappeler ici que le parti Shas a été le premier sous la direction d’Arie Derhy à faire entrer un francophone au conseil municipal de Jérusalem, avec le rav Shemouel Marciano. Etes-vous également allés au-devant du public francophone orthodoxe ?
– Oui Tout à fait. Il est vrai que Shemouel Marciano a été un précurseur. Il est entré au conseil alors que nous posions les bases d’Aleinou et sa nomination nous a remplis de joie. D’autant plus que c’est un homme exceptionnel et nous espérons qu’il sera réélu. Dans l’ensemble, Aleinou a conclu des alliances pragmatiques avec toutes les formations à Bat Yam nous sommes alliés au Likoud. A Guivat Shmouel avec le Foyer Juif et à Hadéra avec Shass et à Tel Aviv avec Judaïsme de la Torah. A chaque fois ce qui nous guide c’est le bien de la communauté francophone.
– N’est-ce pas paradoxal qu’alors que la classe politique israélienne prend enfin conscience du poids de l’alya de France, celle-ci accuse une baisse douloureuse ?
– Les deux sont étroitement liés. Je suis persuadé que la chute de l’Alya est liée aux difficultés d’intégration des olim de France. Les pouvoirs publics et en particulier le ministère de l’Intégration ne font pas assez pour intégrer les olim de France et plus nous faciliterons, avec notre force politique, l’intégration des olim, plus la alya de France sera importante.
Propos recueillis par DANIEL HAÏK