Il y a 25 ans, Israël pénétrait subitement, sans préparation, dans l’ère d’Oslo. En quelques journées dramatiques du 27 août au 13 septembre 1993, les Israéliens découvraient avec stupéfaction que l’ennemi d’hier, Yasser Arafat allait devenir, selon la formule initiée par Its’hak Rabin, le partenaire de demain. Haguesher revient sur les premiers pas de ce processus qui a modifié la face d’Israël mais a très vite représenté une cruelle désillusion.
Le mois d’août 1993 touchait à sa fin. Ecoliers et lycéens se préparaient à la rentrée des classes 5754. L’actualité estivale en Israël restait relativement calme. Le calme avant la tempête. Une tempête déclenchée brusquement, le vendredi 27 août, par le scoop incroyable du correspondant politique du Yediot A’haronot Shimon Schiffer : « L’OLP et Israël ont signé un accord de reconnaissance mutuelle,
il y a quelques jours à Stockholm ». On le saura très vite, cette manchette était (quasiment) exacte : en fait Schiffer (ou ses sources) avaient confondu entre la capitale de la Suède et celle de la Norvège, Oslo. Mais l’essentiel était bel et bien vrai. Incroyable mais vrai ! Israël avait concluun accord de principe avec celui qui était jusqu’à cet instant précis, son ennemi public numéro 1, le leader historique de l’OLP Yasser Arafat ! Cet accord avait été ratifié secrètement le 20 août entre Yossi Beilin alors vice-ministre des Affaires Etrangères, et Mahmoud Abbas, alors bras droit du rais palestinien à l’issue de 6 mois de pourparlers très discrets dans un paisible chalet norvégien. Les pourparlers avaient été menés par Ouri Savir alors directeur général du ministère des Affaires Etrangères et Abou Ala, alors l’un des plus proches conseillers d’Arafat. Shimon Pérès alors chef de la diplomatie israélienne dans le gouvernement Rabin était présent à la signature de cet accord. Quant à Rabin luimême, il n’avait été mis dans le secret que quelques semaines auparavant lorsque les tractations avaient nettement progressé. Au début, ce dernier n’était pas seulement sceptique : il était farouchement opposé à une reconnaissance de l’OLP parce qu’il considérait qu’il fallait régler le conflit au travers d’un dialogue franc avec les Palestiniens de l’Intérieur et non avec les dirigeants corrompus de ce que l’on appelait alors OLP-Tunis. Mais finalement au fil des mois, le Premier ministre va assimiler le caractère historique du processus de l’Oslo et il deviendra l’un de ses plus farouches défenseurs. Par contre, et il est important de le rappeler, à l’occasion de ce 25e anniversaire, Its’hak Rabin restera jusqu’à son dernier souffle, opposé à l’idée d’un véritable Etat palestinien indépendant. Le document signé le 20 août en Norvège sera traduit en deux lettres de reconnaissance mutuelle qui seront officialisées les 9 et 10 septembre : Israël reconnaissait l’OLP comme représentant légitime du peuple palestinien et l’OLP reconnaissait l’existence de l’Etat d’Israël. Pour la gauche israélienne alors au pouvoir, cette double reconnaissance était la concrétisation d’un rêve idéologique et la preuve que les deux peuples, israélien et palestinien, allaient pouvoir vivre côte à côte. D’un seul coup, Yasser Arafat s’élevait au rang d’Anouar El Sadate, premier artisan de la réconciliation. Dans un éditorial en seconde page du Yediot A’haronot l’écrivain Amos Oz qui avait poussé Shimon Pérès à dialoguer avec l’OLP, « de crainte qu’un jour elle disparaisse et soit remplacée par plus radicale », écrira sur un ton poétique : « Nous sommes au stade où Israéliens et Palestiniens
vont chacun construire leur partie du pont. Dans l’avenir, on dira qu’en 1993, se sont terminées 100 années de solitude israélienne ». Plus intéressante encore est la mise en garde faite à ce stade du processus de paix par Amos Oz : « Attention, si les Palestiniens entendent nous duper et poursuivre le terrorisme même après notre départ (de la Cisjordanie) alors nous n’hésiterons pas à fermer la Palestine et à l’annuler… ! » Des propos qui se rapprochaient de ceux tenus deux ans auparavant par Yossi Sarid, l’un des leaders de la gauche idéologique : « Si le futur État palestinien devait menacer les Israéliens nous n’aurions aucun mal à le reconquérir en 24 heures. » C’est dire l’ampleur de l’euphorie qui s’était
alors emparée de la gauche israélienne, et de ses alliés au sein des médias. Le 13 septembre date de la signature de la Déclaration de Principes sur les pelouses de la Maison Blanche, et de la fameuse poignée de mains entre Arafat et Rabin, les manchettes des quotidiens israéliens sont toutes focalisées sur le formidable espoir de paix et de réconciliation qui se dessine au Proche-Orient. Le Yediot A’haronot de ce matin-là publie un croquis sur lequel on voit l’accord de principe représenté tel un tronc d’arbre sur lequel colombe déploie ses ailes… Le Maariv nous montre lui, Rabin et Arafat portant ensemble un panneau sur lequel on peut lire Chana Tova, à l’occasion de la nouvelle année qui devait débuter peu après. Le Davar, l’organe de presse du parti travailliste ira même plus loin dans la verve poétique : « Chalom à vous, les Anges de la paix », « Chalom Aleikhem, Malakhé Hachalom ». Personne ne mentionne l’assassinat terroriste quelques jours plus tôt de 4 Israéliens dans le Gouch Katif… Ils seront considérés par les dirigeants israéliens comme les premières « victimes de la paix ». Seul, dans ce concert de louanges et d’allégresse, ‘Hagaï Segal aujourd’hui rédacteur en chef du Makor Rishon et alors jeune éditorialiste à Aroutz 7 la radio des implantations juives, le 12 septembre, donne un judicieux conseil à ses auditeurs : « Ne jetez pas les journaux de cette semaine. Conservez les manchettes en bleu et blanc des quotidiens qui semblent annoncer l’arrivée du Machia’h : conservez les louanges de ‘Haïm Heffer, les textes élogieux d’A.B. Yéochoua, les recommandations d’Amos Oz, les larmes de joie de Yoram Kaniouk et les accolades d’Ouri Avnéri. Gardez tout, car si vous les jetez à la poubelle ou si vous vous en servez pour envelopper du poisson, vos petitsenfants ne vous croiront pas lorsque vous leur raconterez ce qui a été écrit à l’occasion de cet événement fou qui va se tenir demain à Washington. Personne ne nous croira lorsque nous expliquerons que des gens apparemment intelligents ont accepté de conclure un marché avec un type aussi douteux qu’Arafat et surtout de considérer ce marché comme une vision de la fin des Temps »… Ouri Elitzour zal, alors rédacteur en chef de Nekouda, la revue des implantations juives écrira : « Ces jours-ci sont des jours de grands rêves et de clichés lourds. On a comme l’étrange impression que la Logique a pris le maquis et que le Bon Sens est parti en vacances. Mais, écrit Elitzour, je l’ai retrouvé et je lui ai posé la question: «Est-ce que cet accord amènera la paix» ? Le Bon Sens m’a répondu : «Ceux qui rêvent affirment qu’il apportera la paix mais ceux qui sont logiques savent qu’il sera porteur des germes de la guerre» ! » Malheureusement, ‘Hagaï Segal, Ouri Elitzour et les quelques autres belles plumes de la droite israélienne auront raison.
Peu à peu, l’euphorie consécutive à la poignée de mains entre Rabin et Arafat, va retomber. En fait, c’est la poursuite des attentats terroristes qui va nettement tempérer l’enthousiasme général alimenté par une presse et des médias devenus des sortes de porte-paroles officieux du gouvernement Rabin. Peu à peu les Israéliens découvrent que loin de résoudre le problème du terrorisme, le processus d’Oslo n’a fait que l’amplifier. En particulier avec la contribution sanglante du Hamas : le premier attentat suicidaire à la voitur piégée se déroule près de Bet El en Samarie le 4 octobre 1993. Fort heureusement,
aucun israélien n’est tué mais l’attentat secoue l’opinion publique. Durant ce mois
d’octobre, plusieurs soldats et civils israéliens seront assassinés dans le Gouch Katif, sur le Wadi Kelt près de Jéricho, à Bet El, et même dans un verger du Sharon. Face à ces attentats, les artisans d’Oslo promettent que lorsque l’Autorité Palestinienne aura sa police elle neutralisera, elle-même, ces terroristes… Les attentats vont se poursuivre. Le chanteur Yéhouda Poliker reflètera l’état d’esprit national, en cette fin d’année 93, en chantant une chanson intitulée : le prochain sur la liste… A ‘Hanouka, c’est l’ensemble de la population qui découvre choquée l’assassinat à Kyriat Arba de Mordekhaï Lapid et de son fils Chalom. Le médecin qui arrive le premier sur les lieux de l’attentat s’appelle Baroukh Goldstein. Deux mois plus tard, le jour de Pourim, et après avoir soigné encore plusieurs victimes d’attentats dans la région de Hévron, Goldstein pénètrera dans le Caveau des Patriarches à l’heure de la prière des Musulmans et ouvrira le feu sur des fidèles, en tuant 29, avant d’être lynché par les autres. De telle sorte que ceux qui prétendent aujourd’hui avec le recul de l’histoire que les grands attentats terroristes palestiniens sont intervenus après le crime inacceptable de Goldstein se trompent. Les attentats avaient redoublé d’intensité avant Hévron, mais ils se sont « sophistiqués » dans l’horreur après, comme le prouvent par exemple les attentats suicidaires à Hadéra puis à Afoula. Cette dégradation constante du sentiment de sécurité s’est donc développée avant même que le gouvernement israélien ne signe au Caire en mai 94, les premiers accords d’Oslo qui prévoyaient le retrait israélien de « Gaza et de Jéricho, d’abord ». Yossi Beilin l’un des principaux artisans d’Oslo avait dit que le succès du processus sera conditionné par les quantités de sang qui couleront ou ne couleront pas alors. Sur ce point, mais sur ce point seulement, il avait entièrement raison. Bien avant le déclenchement de la seconde Intifada en octobre 2000, avec son immense cortège de plus d’un millier
de victimes israéliennes, une partie de l’opinion publique israélienne avait déjà perdu toute confiance en Oslo. C’est d’ailleurs pour rassurer et consolider les indécis que des militants de la paix comme le français Jean Friedman ont organisé le rassemblement du 4 novembre 1995 sur la place qui portera
pour la dernière fois ce soir-là le nom de Place des rois d’Israël et qui se terminera par l’assassinat du Premier ministre. Mais au-delà de ce drame traumatisant, la meilleure preuve que cette opinion publique doutait profondément de la viabilité d’Oslo, en particulier après les attentats de l’hiver 95-96, a été l’élection surprise en 1996, de Binyamin Nétanyaou alors principal opposant de ceprocessus. Déjà alors le sort du processus d’Oslo était joué.
DANIEL HAÏK