YonathanBendennoune
Nous connaissons tous bien le célèbre commentaire de Rachi au sujet du mot décret employé dans ce verset : « Comme le Satan et les nations du monde raillent Israël en disant : “Quel est donc ce commandement et quelle en est la raison ?” il est écrit à son sujet : “décret”, [suggérant :] “C’est une décision émanant de Moi, et tu n’as pas le droit de la remettre en cause !” »
L’objecteur de conscience
De prime abord, le Satan – à savoir le mauvais penchant qui siège à l’intérieur de chaque individu – ne se contente pas de « poser des questions », comme pour entamer un débat philosophique. C’est en vérité un « objecteur de conscience » : son but est de nous pousser à rejeter le joug des mitsvotet de nous inciter à nous rebeller. Aussi, lorsqu’il demande ce que signifie et représente ce commandement, il insinue par là qu’il s’agit d’une loi dispensable, que l’on peut contester et transgresser, dans la mesure où son sens nous échappe. S’il en est ainsi, quelle est donc la réponse que donne D.ieu à ce sujet : « C’est une décision émanant de Moi, et tu n’as pas le droit de la remettre en cause » ? Cette déclaration ne fait apparemment que renforcer les arguments du Satan : puisqu’il s’agit d’un « décret » dépourvu pour nous de signification, nous serions encore plus enclins à écouter les provocations délétères du mauvais penchant !
« Justifier » la Torah
Selon notre maître, Rav A.Y.L. Steinmanzatsal, c’est en réalité la démarche même de chercher des explications qui est ici mise en cause. En nous interrogeant sur les raisons de ce commandement, le Satan ne cherche pas directement à nous pousser à la rébellion. Son objectif est en fait que nous nous interrogions sur les mitsvot et que nous les passions au crible de notre intellect : il veut nous faire adopter une attitude intellectualiste, considérant que ce qui est incompréhensible n’a pas de raison d’être. Or, le penchant au mal sait pertinemment que nous ne sommes pas en mesure de trouver de réponse à ses questions, comme l’a déclaré le roi Chlomo au sujet de la vache rousse : « J’ai tout essayé par la sagesse, je m’étais dit : “Je vais me rendre maître de la sagesse !”, mais elle est restée loin de moi » (Kohélet7, 23).
Dès lors, à partir du moment où nous arrivons à la conclusion que le sens de ce précepte nous échappe absolument, nous en viendrions fatalement – conformément à cette démarche intellectuelle – à la rejeter.
Cette approche est malheureusement beaucoup plus commune qu’on ne le croit. De nombreuses personnes ont cette volonté systématique de « justifier » les lois de la Torah, en montrant comment le savoir et la science confirment la valeur de telle ou telle mitsva. Même si leur intention est louable, cette démarche comporte cependant un aspect extrêmement périlleux : elle suppose que les mitsvotdoivent être comprises et confirmées pour mériter d’être respectées. Et si l’on ne parvient pas à leur trouver un sens – comme c’est le cas de la vache rousse – nous pourrions tout simplement en faire l’économie !
Voilà pourquoi le Midrach que cite Rachi place ces mots dans la bouche du Saint béni soit-Il : « C’est une décision émanant de Moi, et tu n’as pas le droit de la remettre en cause ! » En clair, ne vous aventurez pas dans cette voie consistant à chercher la signification des mitsvot, car celle-ci revient à douter de leur légitimité…
Des questions qui n’en sont pas…
Dans le prolongement de cette idée, nous savons que le précepte de la vache rousse nous semble incompréhensible notamment en raison de l’une de ses lois apparemment antinomique : ses eaux purificatoires, avec lesquelles on purifie les hommes ayant été en contact avec un cadavre, rendent elles-mêmes impur celui qui les manipule ! C’est cette contradiction interne qui fit dire au roi Chlomo que la sagesse est « restée loin de lui ».
En vérité, le principe même de contradiction relève de notre existence dans ce bas monde, et de notre éloignement du Créateur qui est Un et Unique. C’est en raison de la « multiplicité » régnant ici-bas que nous avons souvent le sentiment que les choses se séparent et se contredisent les unes les autres. Mais plus on s’élève spirituellement et l’on se rapproche de la Source unique de toute l’existence, plus les contradictions se résorbent jusqu’à disparaître.
À cet égard, nos Sages enseignent que le sens du précepte de la vache rousse échappe à tout esprit humain, à l’exception de Moché, à qui D.ieu a révélé la signification. En effet, son niveau prophétique et spirituel était tel que pour lui, il n’existait tout bonnement pas de contradiction.
En ce sens, il est connu que dans le Monde futur – le Monde de la Vérité à l’état pur – nous ne trouverons pas simplement des « réponses » à nos questions. Car dans cette existence où tout s’unifie et revient à la Source première, le principe même de« contradiction » n’existe pas ! C’est la raison pour laquelle il est absolument vain de chercher des réponses à certaines questions, puisque dans l’absolu, la seule véritable réponse est qu’il n’y pas de question…