Comme on pouvait s’y attendre, la « guerre des mots » entre les deux pays a été déclenchée la semaine dernière par Erdogan quand, s’offusquant de la mort d’une soixantaine de Palestiniens déchaînés qui essayaient par tous les moyens de franchir la frontière de Gaza en violant le territoire souverain d’Israël, il a qualifié l’Etat hébreu d’« Etat terroriste coupable d’un génocide » en accusant personnellement le Premier ministre Nétanyaou d’« avoir beaucoup de sang palestinien sur ses mains » et de « commettre des crimes de guerre »…
Des échanges de mots peu ordinaires entre hommes d’Etat
Il s’en est suivi deux nouveaux échanges assez peu ordinaires entre les deux hommes d’Etat quand Nétanyaou lui a répliqué le lendemain qu’« Erdogan étant l’un des plus fervents supporters du Hamas, pas de doute qu’il s’y entendait en matière de terrorisme et de massacre ». Le président turc devait ensuite lui répondre sur Twitter en écrivant : « Nétanyaou est le Premier ministre d’un Etat d’apartheid qui occupe depuis plus de 60 ans les terres d’un peuple sans défense en violation des Résolutions de l’ONU. Il ne peut dissimuler ses crimes en s’attaquant à la Turquie, et s’il veut une leçon d’humanité, il n’a qu’à lire les Dix Commandements ! » Nouvelle réplique de Nétanyaou : « Un homme qui envoie des milliers de soldats turcs pour perpétuer l’occupation du nord de l’île de Chypre et qui a envahi la Syrie ne saurait nous donner des leçons alors que nous faisons que nous défendre contre les tentatives d’invasion du Hamas. Quelqu’un dont les mains dégoulinent du sang de nombreux Kurdes en Turquie et en Syrie est le dernier à pouvoir nous prêcher des remontrances éthiques ! ».
Résultats de cet acerbe duel de mots très peu amènes : après que l’ambassadeur israélien à Ankara, Eytan Naveh, a été expulsé grossièrement le 15 mai de Turquie et qu’Erdogan rappelait aussi son ambassadeur à Tel-Aviv « pour consultations », Israël demandait quelques heures plus tard dans les mêmes termes au consul-général turc en poste à Jérusalem, Husnu Gurcan Turkoglu – un ardent défenseur des intérêts palestiniens et de l’AP à l’est de la capitale israélienne – de « quitter temporairement le pays » : une mesure très rarement prise par la diplomatie israélienne ces dernières années !
Le tout pendant que la Turquie mettait en berne tous ses drapeaux en hommage « aux victimes de Gaza », que l’un des proches conseillers d’Erdogan, Ibrahim Kalin, s’offusquait « des célébrations et des chants honteux à la nouvelle ambassade américaine de Jérusalem alors que Gaza enterre ses morts », et que deux partis politiques turcs – le Parti démocratique du Peuple et le Parti républicain du Peuple – ont demandé au parlement d’annuler tous les accords avec Israël et de lui imposer des sanctions économiques…
Mais que veut-donc Erdogan !?
En fait, ce n’était pas la 1ère fois qu’Erdogan débordait d’une telle haine envers Israël. Ainsi, lorsque des émeutes ont fait irruption à Gaza le 30 mars dernier, le président turc a aussitôt accusé Israël de « massacre ».
Pas étonnant donc qu’Erdogan ait écrit le 15 mai sur Twitter que « le Hamas n’est pas une organisation terroriste, mais un mouvement de résistance qui défend la patrie palestinienne comme un pouvoir occupant ».
Quant au parti d’Erdogan, l’AKP (Parti de la Justice et du Développement), il a depuis longtemps soutenu – tout comme le Qatar – le Hamas en tant qu’« organisation politique légitime », ainsi que sa « maison-mère », la confrérie des Frères musulmans (FM) égyptiens lors des élections législatives au Pays du Nil. Et ce, contrairement à l’Arabie Saoudite et aux Emirats arabes Unis restés fermement opposés aux FM.
Voilà aussi des années que la Turquie d’Erdogan soutient avec insistance – pour des raisons religieuses et politiques – la revendication palestinienne demandant que Jérusalem devienne la « capitale » du futur Etat de l’AP, tout en manifestant publiquement sa sympathie pour la cause palestinienne et le président de l’AP, Mahmoud Abbas.
Alors que la Turquie fut le premier pays musulman à reconnaître en 1949 le tout jeune Etat d’Israël et que les liens militaires et économiques entre les deux pays attinrent leur paroxysme dans les années 1990 et jusqu’au milieu des années 2000 (y compris au début du long règne d’Erdogan qui se rendit lui-même en visite en Israël et y condamna l’antisémitisme), cette entente bilatérale vola en éclat en 2009 lors du Forum économique mondial de Davos quand Erdogan fit une « sortie » très agressive contre Shimon Pérès à propos de la 1ère grosse opération militaire de Tsahal à Gaza, « Plomb durci », menée quelques mois plus tôt contre le Hamas. Or, depuis, Erdogan n’a pas raté une occasion d’insulter Israël, de soutenir le Hamas et de promouvoir la « juste cause palestinienne ».
L’islamisation forcenée de la Turquie
Il faut dire que ce tournant opéré par Erdogan, malgré la reprise des discussions entre les deux pays sur une éventuelle coopération énergétique, va de pair avec sa politique d’islamisation forcenée de la Turquie – promouvant désormais le « Djihad » auprès des citoyens du pays aux plans religieux, éducatif et institutionnel – qui n’a fait que s’accélérer depuis 2010 et s’amplifier encore après le coup d’Etat manqué de juillet 2016 quand Erdogan a été doté de pouvoirs exceptionnels, voire despotiques qui le font ressembler à un véritable sultan moderne…
Une islamisation officielle transforme peu à peu la Turquie en une version développée, sophistiquée et donc encore plus dangereuse que celle prônée par l’organisation sunnite extrémiste Al Qaïda alors que ce pays – toujours membre de l’OTAN – situé aux confins de l’Europe et du Moyen-Orient a toujours une importance stratégique déterminante.
Il faut dire qu’Erdogan a dû être encore plus éméché par le fait que les Kurdes du nord de l’Irak ont brandi des drapeaux israéliens après la victoire du « oui » au référendum sur l’indépendance, et surtout par la déclaration du président Trump de décembre dernier reconnaissant Jérusalem comme « capitale historique » d’Israël et annonçant un prochain transfert de l’ambassade US. !
Plus subtilement, la décision de l’AKP de ne pas annuler l’accord de 2016 sur l’indemnisation (à hauteur de 20 millions de dollars) des familles des victimes turques de l’arraisonnement, par la marine de Tsahal, du bateau islamiste Marmara – membre de la « flottille » qui voulut forcer en mai 2010 le blocus de Gaza – ainsi que sur le rétablissement des liens diplomatiques Israël-Turquie, tient en fait à la ferme intention d’Erdogan lui-même de pouvoir aider concrètement les Palestiniens sur le terrain (notamment ceux de Jérusalem-Est) par l’intermédiaire de son consul-général en poste dans la capitale israélienne, bien plus qu’à une réelle intention de raviver les relations bilatérales entre les deux pays… Richard Darmon