.All You Need Is Love Nous sommes le 25 juin 1967. Alors que la guerre du Vietnam fait rage, les Beatles se proposent de rétablir la paix dans le monde à leur façon. Et de scander à tue-tête le slogan « All You Need Is Love… » (Tout ce dont tu as besoin c’est d’amour) face à quelque 700 millions de téléspectateurs lors de la toute première émission diffusée en direct par satellite dans le monde entier. Un titre que ne tarderont pas à s’arracher les partisans du Flower Power, ce mouvement qui revendique la non-violence avec force fleurs glissées dans des grands méchants canons de fusils…Il suffisait qu’on s’aime Côté judaïsme, on n’a certainement pas eu besoin d’attendre ce « tube » du légendaire quatuor de Liverpool pour connaître la toute-importance de l’amour. Après tout, quel bambin d’école juive ou de Talmud Torah n’a-t-il jamais entonné – et avec un rythme ô combien plus endiablé – ce célèbre passage du Sifra : « Amar Rabbi Akiva : véhaavta léréakha kamokha ; zé klal gadol batorah – Rabbi Akiva a enseigné : tu aimeras ton prochain comme toi-même ; c’est le principe fondamental de la Torah. » ? From me to you, si ça ne s’appelle pas du plagiat…Mais laissons donc à l’Observatoire européen de l’audiovisuel le soin de sanctionner cette flagrante atteinte à la propriété intellectuelle. Et contentons-nous de rendre à Rabbi Akiva ce qui appartient à Rabbi Akiva en nous penchant de plus près sur la signification profonde de ce leitmotiv talmudique. Quand on a que l’amour C’est dans la seconde des deux sections que nous lirons cette semaine, celle de Kédochim, qu’apparaît ce commandement-phare de la Torah : « Ne te venge ni ne garde rancune aux enfants de ton peuple, aime ton prochain comme toi-même : je suis l’Éternel. » (Vayikra 19, 18) Il est vrai que dans le traité Avot, nos maîtres nous exhortent : « Applique toi à observer les préceptes les plus aisés autant que les plus rudes, car tu ne peux préjuger de l’apport attaché à l’accomplissement de chacun d’eux. »(Chapitre II, Michna I) Mais cela n’empêche visiblement pas Rabbi Akiva de sélectionner un commandement, parmi les six-cent-treize que compte la Torah, comme étant celui qui, à lui seul, en résume la quintessence ; celui d’aimer son prochain comme soi-même. Le speed-converting, vous connaissez ? A propos, Rabbi Akiva n’est pas le seul à revendiquer la prééminence de cette injonction. Dans le traité Chabbat, le Talmud nous raconte la requête pour le moins loufoque d’un étranger qui vint un jour se présenter devant Chamaï : « Convertis-moi au judaïsme à la condition que tu m’apprennes
toute la Torah sur un seul pied. » Mais le partisan du rigorisme est loin d’entrer dans son petit jeu. Se saisissant de son mètre de maçon, il repousse aussitôt l’opportun. Lequel décide alors de tenter sa chance chez l’autre sage de l’époque ; Hillel. Fidèle à sa légendaire souplesse, ce dernier l’accueille à bras ouverts sous les ailes de la Providence. Non sans lui avoir dispensé une formation (très) accélérée en judaïsme : « Ce qui est haïssable à tes yeux, ne le fais pas à ton prochain. Voici toute la Torah et le reste n’est que commentaire de ce passage. Va et étudie ! » Bref, vous qui connaissiez les joies du speed-dating, vous avez désormais découvert celles, non moins palpitantes,du…speed-converting ! Plus facile à dire qu’à faire Tout cela est délicieusement romantique, me direz-vous. Mais comment passer de la théorie à la pratique ? Comment aimer quand notre cœur fait tout pour nous souffler le contraire ? Comment se prendre d’affection pour cette voisine dont la « tête ne nous revient pas », mais alors pas du tout ?! Comment éprouver des sentiments positifs, voire même tout juste cordiaux, envers cette collègue qui semble nous prendre de haut depuis le premier jour où l’on a fait sa connaissance ? Et comment avoir à la bonne cette (ex-)amie qui nous « snobe » depuis que son mari est devenu PDG ? Plus facile à dire qu’à faire, n’est-ce pas ? Croyez-le ou non, la réponse tient à trois mots. Trois tous petits mots apparemment anodins qui vont révolutionner notre rapport à l’autre : « Amar Rabbi Akiva » ! Car il s’avère que ces trois mots n’ont pas pour seul objectif de nous renseigner quant à l’identité du sage qui plaide la prééminence du commandement d’aimer son prochain comme soi-même. Ils viennent aussi – et surtout – nous révéler que c’est Rabbi Akiva, plus que n’importe quel autre sage, qui possédait l’état d’esprit nécessaire pour mener à bien cette mission suprême. Les explications du Rav Issakhar Frand…Gloire et déclin de la plus grande Yéchiva de tous les temps Comme vous le savez certainement, Rabbi Akiva fut l’un des plus grands Raché Yéchiva (directeurs de Yéchiva) de tous les temps. Le Talmud nous raconte qu’à l’apogée de sa « carrière », il était à la tête d’une académie talmudique ne comptant pas moins de 12 000 binômes d’étude. Un chiffre phénoménal qui dépasse de loin les effectifs pourtant exceptionnels des grandes « centrales à Torah » que sont la Yéchiva de Mir à Jérusalem ou encore le Beth Midrach Gavoa de Lakewood, aux Etats-Unis…Mais cette période d’or de la transmission de la Torah se solda par un deuil d’une ampleur apocalyptique. Ces 24 000 disciples répartis aux quatre coins de la terre d’Israël trouvèrent tous la mort entre Pessa’h et Chavouot ! Et c’est d’ailleurs à la suite de cette terrible tragédie que nous respectons des coutumes de deuil pendant les jours du Omer. Un drame national et individuel
Or quand on se penche sur les retombées de cette épidémie fatale, on a tendance à se focaliser sur la perte spirituelle d’ordre national occasionnée par la disparition de ces maillons irremplaçables de la chaîne de la transmission de la Torah. Ce qu’on oublie peut-être de relever c’est la dimension personnelle que ce drame a dû revêtir aux yeux de Rabbi Akiva ; celui qui n’était autre que leur père spirituel. Peut-on ne serait-ce que s’imaginer le sentiment d’affliction et d’anéantissement, de chagrin et de consternation, de désespoir et de dépression qui ont dû s’abattre sur le Roch Yéchiva en apprenant que la quasi-totalité de ses élèves avaient été décimés ? Que l’institution qu’il avait mise sur pied au prix d’innombrables sacrifices, notamment la séparation interminable avec son épouse Ra’hel, s’était effondrée comme un château de cartes ? Que les paroles de profonde sagesse qu’il avait inculquées avec tant de passion à ceux qu’il croyait être ses héritiers spirituels avaient été emportées avant l’heure dans leurs tombes ? On prend les autres et on recommence ! On pourrait donc s’attendre à ce que le Roch Yéchiva endeuillé mette la clé sous le paillasson, qu’il plie bagage et s’enfuie dans les hauteurs du Galil pour pleurer sa gloire déchue. Mais ce serait mal connaître Rabbi Akiva… À peine les funérailles de son dernier disciple achevées, Rabbi Akiva se met en route pour le Sud d’Israël. Non pas pour fuir son échec mais pour embrasser sa prochaine réussite ! Le voilà qui se met en quête des cinq luminaires qui ont échappé à l’épidémie et entreprend de reconstruire le monde de la Torah. Mais quel est donc le secret de son incroyable résilience ? Eh bien, c’est sa capacité à déceler un soupçon d’espoir là ou d’autres ne voient que désolation. 24 000 géants en Torah sont morts ? C’est triste. Terriblement triste même. Mais par bonheur, il en reste encore 5 ! Alors il n’en faut pas plus à Rabbi Akiva pour décider de recommencer à zéro ! D’ailleurs c’est ce même Rabbi Akiva qui, apercevant un renard dans les ruines du Temple, éclatera de rire tandis que ses compagnons éclatent en sanglots…Déceler le bien en chacun La force de Rabbi Akiva, c’est donc la capacité à voir le bien qui se cache dans chaque situation, aussi désespérée paraisse-t-elle. Or c’est précisément cet état d’esprit qui va nous permettre de métamorphoser nos relations sociales ! Et par la même occasion d’accomplir le commandement le plus important de toute la Torah. En effet, chaque individu possède à la fois des qualités et des défauts. Mais reste à savoir sur lesquelles nous nous attarderons… Si la perspective d’aimer notre voisine/collègue/ex-amie comme nous-même nous paraît relever de l’utopie, c’est la preuve que Rabbi Akiva a bien des leçons à nous donner. C’est la preuve que nous devons apprendre à déceler ce brin de bonté, ce soupçon de sympathie qui se cache derrière cette façade de froideur ou cette muraille de malveillance.
All You Need Is Love, qu’ils chantaient. Mais pour y parvenir, encore faut-il apprendre à aimer. Ne rien faire qu’apprendre à aimer…