Comme il l’a expliqué lundi, le Premier ministre français souhaite la suppression « immédiate » des contenus racistes et antisémites sur Internet. Outre-Rhin, la procédure fonctionne mais est-elle applicable dans le cadre juridique hexagonal ?
En présentant son nouveau plan gouvernemental de lutte contre le racisme et l’antisémitisme le 19 mars au Musée parisien de l’immigration, Edouard Philippe a confirmé ce que le président Emmanuel Macron avait déjà annoncé lors du dîner du CRIF, au début de ce mois. En l’occurrence, il faudrait parler plutôt d’intentions que d’annonces. Rien n’est vraiment acté. L’exécutif attend les conclusions de la mission ad hoc confiée par l’Elysée à l’écrivain franco-algérien Karim Amellal, à la députée La République en marche Laetitia Avia et au vice-président du CRIF Gil Taieb.
Le chef du gouvernement a assuré surtout que la législation serait modifiée afin de « renforcer le signalement, la suppression et la prévention des contenus numériques illicites et haineux. »
Paris se battra à l’échelon européen pour des avancées sérieuses face aux géants du Net, afin de les contraindre à la censure nécessaire des messages injurieux, complotistes et discriminatoires.
Entre-temps, le gouvernement souhaite s’inspirer, au plan intérieur, des mesures drastiques entrées en vigueur en Allemagne le 1er janvier dernier.
« On ne me fera pas croire que les réseaux sociaux sont des espaces hors-sols, a lancé le locataire de Matignon. Tout ce qui est publié et diffusé en France doit répondre aux lois de la République (…). De nos jours, il semble plus facile de retirer la vidéo pirate d’un match de football que des propos antisémites ! »
L’idée principale serait de permettre à chacun de qualifier lui-même le mobile raciste ou antijuif de son agression, comme outre-Rhin. « Nous voulons que les victimes portent plainte. Sans plainte, pas d’enquête, pas de responsable, pas de sanction. Dès la fin du semestre en cours, nous rendrons opérationnel un système de pré-plainte en ligne pour ce genre d’infractions », a promis Edouard Philippe.
Mais est-ce possible dans le cadre juridique français ? Le Conseil constitutionnel ne risque-t-il pas de retoquer l’exécutif sur ce point ? Il faut espérer que non mais Emmanuel Macron lui-même en doutait lorsqu’il s’est adressé le 7 mars aux invités du CRIF.
De quoi s’agit-il ? Désormais, un appareil procédural sans pitié interdit en Allemagne aux plates-formes d’échanges numériques telles que YouTube, Facebook ou Twitter de diffuser des messages haineux ou véhiculant de fausses informations. Dès l’alerte enclenchée (la plainte d’un seul individu suffit), l’opérateur dispose de vingt-quatre heures pour supprimer le texte incriminé et de sept jours si le cas est litigieux ou complexe. La sanction peut s’élever à… cinquante millions d’euros ! Le résultat est là : dès la promulgation de la loi, la députée de l’AFD (extrême droite) Beatrix von Storch a été censurée. Un tweet insultant qu’elle avait « posté » à l’encontre des migrants a été effacé quasi-immédiatement.
Explication : les affaires sont censées se plaider a posteriori. Quand la plainte est déposée en ligne, l’entreprise du web doit réagir sans attendre. Si elle ne supprime pas le contenu supposément haineux, elle s’expose à une forte amende par la suite. Par prudence économique, les opérateurs – pour l’essentiel américains – sont donc intraitables et plusieurs responsables publics s’insurgent déjà contre une « dérive » d’autant plus « liberticide » que la censure émane de fait de sociétés privées, qui décident dans un premier temps en lieu et place de la justice. Le plus grand syndicat de journalistes et le quotidien de gauche Neues Deutschland font campagne pour l’abolition de pratiques « incontrôlées et potentiellement disproportionnées » supplantant dans leur esprit l’Etat de droit. Le cabinet d’Angela Merkel promet une « évaluation » au début de l’été.
En attendant, la haine sur Internet a reculé de façon spectaculaire outre-Rhin.
Axel Gantz