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Des mois & des maux
Si la configuration du calendrier hébraïque avait été à l’ordre du jour lors du prochain colloque du LFPJ (Lobby féministe du peuple juif), on peut aisément s’imaginer que la succession de certains mois aurait donné lieu à de houleuses récriminations. Quant à ceux d’Adar et de Nissan, il y a fort à parier qu’ils auraient fait l’objet d’une demande de mesure d’éloignement d’au moins une saison, si ce n’est pas deux…
Eh oui, quelle fée du logis aspirante peut-elle donner le coup d’envoi à la grande méchante chasse au ‘Hamets alors que son garde-manger n’a jamais été aussi bourré de bretzels, brownies, brioches, bisslis, bières et boulous, qu’en ces joyeux lendemains de Pourim ?!
Quelle balabusta confirmée peut-elle envisager une demeure étincelante pour Pessa’h alors que son sol n’a jamais été tellement jonché de confettis, ses murs aussi ornés de traces de chocolat et ses vitres autant garnies de marques de rouge à lèvres déposées par une reine Esther en devenir ?
DPP, quand tu nous tiens !
Mais hélas, au risque de vous fendre le cœur, ô mes compagnons d’infortune, le LFPJ n’a jamais existé et il n’existera jamais. Et puis, histoire de vous remuer le couteau dans la plaie, sachez que même si cela avait été le cas, ce n’est pas à lui que l’on aurait confié le privilège et la responsabilité de fixer le planning des fêtes juives. Ce sont nos sages qui en ont l’apanage, alors nous avons intérêt à nous tenir sages…
Mais n’en sombrons pas pour autant dans la DPP (initiales au choix : dépression post-Pourim ou dépression pré-Pessah). C’est que la Paracha de la semaine a justement eu une belle pensée pour nous. Laquelle va nous prouver que si la fête de Pourim est suivie de si près par celle de Pessa’h, ce n’est pas pour nous rendre la tâche plus difficile. Plutôt pour nous enseigner une leçon mémorable que voici.
Un chef de projet tout juste Bar-Mitsva
Dans la Parachat Ki Tissa, les Enfants d’Israël sont réunis autour de leur dirigeant, Moché Rabbénou, pour apprendre l’identité du futur « chef de projet architectural » du Tabernacle. Et si vous supposez que l’heureux élu est frais émoulu d’une grande école d’architecture et d’urbanisme, détrompez-vous. Pour tout vous dire, il vient tout juste de fêter sa Bar-Mitsva. Mais cela ne l’empêchera pas de décrocher le « poste » du siècle. Et de devenir l’architecte chargé de mener à bien cette mission suprême ; celle de bâtir une demeure terrestre pour Celui que même les Cieux ne peuvent contenir.
Une ascendance en guise de CV
Ce mystérieux adolescent porte le nom de Betsalel. Et son CV a beau être vierge, le Tout-Puissant s’est chargé de le « rédiger » à sa place ; Il l’a « rempli d’une inspiration divine, d’habileté, de jugement de science et d’aptitude pour tous les arts. Il saura combiner les tissus ; mettre en œuvre l’or, l’argent et le cuivre, mettre en œuvre et enchâsser la pierre, travailler le bois, exécuter toute espèce d’ouvrage. » (Chémot 31, 3-5)
Reste à savoir par quel mérite il a eu droit à un tel « avancement professionnel » ?
La réponse se cache dans le verset qui annonce son élection : « Vois j’ai désigné expressément Betsalel, fils d’Ouri, fils de ‘Hour, de la tribu de Yéhouda. » (Ibid. 2)
D’ordinaire, lorsque la Torah énonce le nom d’un personnage, elle se contente de préciser le nom de son père. C’est le cas notamment du sous-chef de projet du Tabernacle qui, quelques versets plus tard, nous est présenté comme « Aholihav fils d’Akhisamakh ». En revanche, dans le cas de Betsalel, l’Écriture tient à remonter son ascendance jusqu’à son grand-père, ‘Hour.
Résistant avant l’heure
Pour le Midrach Rabba, cette singularité est révélatrice. Elle vient nous enseigner que la désignation de Betsalel à ce poste prestigieux est la conséquence directe d’un acte de bravoure effectué par son aïeul. Il s’avère en effet que lorsque le peuple juif s’adonna à la confection du veau d’or, ce fameux ‘Hour protesta avec fougue et véhémence contre cette créature blasphématoire. Mais c’était sans compter la foule d’adorateurs déchaînée qui le tuèrent de sang-froid. Ce Résistant avant l’heure ne parvint peut-être pas à empêcher l’impensable de prendre forme ; mais son héroïsme fut loin d’être vain. Il mérita que son petit-fils Betsalel entre dans l’histoire en devenant l’architecte du Tabernacle.
Le Zohar nous révèle d’ailleurs qu’après avoir été présenté au peuple d’Israël, le visage de Betsalel se métamorphosa soudainement pour épouser les traits de ‘Hour ! Comme pour rappeler au peuple que la nomination de ce (très) jeune homme n’avait rien d’aléatoire puisqu’elle puisait sa source dans l’extraordinaire abnégation de son ancêtre.
Impossible n’est pas juif !
Cette réponse ne vous a pas entièrement satisfaites ? Bonne nouvelle ; c’est la preuve que votre esprit est désormais libéré de l’emprise des vapeurs d’alcool pourimesques. (Ou peut-être qu’il n’est heureusement pas encore paralysé à la perspective de l’esclavage féminin pré-pessa’hique…) Mais quelle que soit l’origine de votre perspicacité, il ne fait nul doute que vous vous interrogez sur le lien profond qui peut bien unir ce grand-père qui s’est illustré dans la « Résistance » et son petit-fils qui s’est distingué dans l’Architecture. Où se trouve le parallèle dans tout cela ?!
Le rav Issakhar Frand vient à votre rescousse. Il souligne que pour le peuple d’Israël, la construction du Tabernacle s’apparentait à une mission impossible. Pour commencer, s’ils étaient peut-être dotés d’une longue expérience en matière de construction de pyramides, ils n’avaient absolument aucune compétence dans les arts et ouvrages extrêmement sophistiqués nécessaires à la construction du Tabernacle, comme la sculpture des différents ustensiles ou la confection des vêtements sacerdotaux.
En outre, la simple notion d’accueillir la Présence Divine au sein d’une résidence terrestre, aussi somptueuse fût-elle, semblait relever d’une utopie.
Il a fallu donc que Moché Rabbénou les convainque que le mot « impossible » ne figure tout simplement pas dans le lexique juif. Que même un espoir qui semble irrationnel peut finalement se matérialiser. À une seule condition ; d’en avoir la ferme volonté !
Et s’il fut un personnage qui incarna à merveille ce message, ce fut bien ‘Hour.
À contre-courant
Imaginons la multitude désordonnée, bruyante et frénétique, qui s’agglutine autour des nombreux anneaux d’or destinés à la confection du veau d’or. Quelle est la probabilité qu’un seul homme – aussi persuadé et persuasif soit-il – réussisse l’exploit d’imposer sa position ? De leur faire entendre raison alors qu’ils se sont laissés détourner par leurs cœurs ? Une probabilité nulle. Mais notre héros ne s’embarrasse pas de ces calculs. Même si son acte est irrationnel, et il le sait pertinemment, ‘Hour s’oppose à la foule. Il va à contre-courant et n’hésite pas à revendiquer, haut et fort, la cause de D.ieu. Parce qu’il croit fermement à ce qu’il dit. Et surtout parce qu’il n’hésite pas à agir conformément. Bref, là où d’autres voient une « Mission impossible », ‘Hour voit une Mission tout court. Quitte à y payer de sa vie.
Et on comprend désormais pourquoi au moment de bâtir la Demeure qui va défier toutes les logiques – comme celle de transformer du jour au lendemain des forçats en artistes, tout comme celle d’accueillir l’Infini dans le fini – nul ne sera mieux senti comme chef de projet du Tabernacle que Betsalel, fils d’Ouri et surtout, petit-fils de ‘Hour.
Pessa’h : Mission impossible
Mais revenons donc à nos balais et plumeaux ! Il est vrai qu’aux dires des membres imaginaires du LFPJ, la juxtaposition du « branle-bas de combat » de Pourim au « remue-ménage » de Pessa’h a toutes les bonnes raisons de donner naissance à une « Mission impossible » ou du moins difficilement possible.
Alors c’est peut-être pour couper court à ce genre de pensées défaitistes que la Paracha de la semaine a jugé bon de saluer héroïque le souvenir de ‘Hour, l’homme qui ne s’avoua jamais vaincu, tout comme de celui de son petit-fils, qui fut l’architecte de la Maison de tous les espoirs.
Bref, du balai au découragement ! Parce qu’à l’impossible nous sommes tenues…
Ora Marhely